Un retournement de tendance progressif sur le front macroéconomique et de l’inflation est à anticiper. Il se traduira par un changement de régime sur les marchés obligataires comme d’actions, à la faveur du recul attendu des taux.
Par Frédéric Leroux, Responsable Équipe Cross Asset
Les taux d’intérêt prennent leur temps avant d’emboîter le pas aux phases de désinflation transitoire, nous apprend l’analyse du comportement relatif des taux obligataires et de l’inflation en ambiance inflationniste structurelle (voir notre Note de septembre). L’inflation recule ainsi depuis plus d’un an aux Etats-Unis (elle est passée de 9% à 3%), tandis que les taux à 10 ans américains n’ont cessé de monter depuis avril dernier (de 3,25% à 5%). Cependant, depuis leur pic du 23 octobre, ils ont abandonné jusqu’à 50 points de base1. Peut-on alors considérer qu’ils se sont enfin orientés à la baisse et anticiper les conséquences potentielles de ce retournement sur les marchés d’actions pour les prochains mois ?
Des indicateurs économiques prémices d’un affaiblissement de la conjoncture
Les dernières données relatives au marché de l’emploi et à l’activité manufacturière projetée semblent avoir été les accélérateurs de ce début de retournement des taux à long terme, (tant attendu que nous l’avions «identifié» trop tôt dans notre Note de septembre !). L’indice ISM manufacturier, très regardé par la communauté financière pour mesurer la direction future de l’activité industrielle aux Etats-Unis, a connu une surprenante décrue de ses composantes emploi et nouvelles commandes. Dans le même temps, les créations d’emplois effectives connaissaient une progression plus faible qu’attendu et les salaires horaires voyaient leur progression ralentir. Le maillon le plus fort de l’économie américaine étant son marché du travail, ces premières indications de son affaiblissement ont eu un impact notable, susceptible d’infléchir progressivement la position peu amène de la banque centrale américaine à l’égard de l’inflation, même si elle s’en défend. Il est fort probable qu’une confirmation de cette tendance le mois prochain crédibiliserait enfin le scénario d’un ralentissement économique. Une situation qui permettrait aux taux d’intérêt à long terme d’emboîter le pas à la désinflation des 12 mois écoulés. La résilience de l’emploi américain, due essentiellement aux soutiens de la politique fiscale induite par le Covid et à l’inadéquation entre capacité de travail disponible et offre d’emploi, pourrait ainsi s’estomper. La normalisation économique serait alors en marche et la perspective d’un ralentissement momentanément désinflationniste, serait renforcée. Notre analyse économique interne entrevoit, pour sa part, un ralentissement et une désinflation très graduels.
Ces inflexions devraient s’avérer suffisamment marquées pour occasionner un changement de régime sur les marchés de taux et d’actions, par rapport à celui des trois derniers mois caractérisé par une poursuite du recul des obligations, après déjà deux ans de tendance baissière, et une correction des marchés d’actions où seules les plus robustes des sociétés cotées pouvaient être épargnées par la perspective d’un ralentissement économique couplée à une hausse des taux d’intérêt obligataires. Ainsi, les «sept magnifiques», telles qu’elles sont désignées outre Atlantique, ont tiré leur épingle du jeu : Apple, Microsoft, Google, Amazon, Meta, Nvidia et Tesla, qui pèsent à elles seules près de 30% de la capitalisation de l’indice S&P 5002, ont vu leur valorisation presque doubler en moyenne cette année, pendant que le reste du marché faisait du sur place.
Plusieurs segments des marchés actions devraient retrouver des couleurs
Or, alors que désormais les taux d’intérêt baissent, de nombreuses alternatives d’investissement apparaîtront au sein des marchés d’actions, dès que les marchés seront rassurés sur l’arrêt du ralentissement de l’activité. Nombre de secteurs et de sociétés jugés moins résistants ont connu des parcours boursiers très défavorables, qui constitueront autant d’opportunités de gains que les investisseurs audacieux ne manqueront pas de saisir et de nourrir. Parmi celles-ci, citons les valeurs technologiques non profitables, pour lesquelles les effets de la hausse des taux sur l’actualisation des profits futurs ont été assassins, les sociétés endettées, les valeurs immobilières qui connaîtront une respiration salvatrice. Les petites capitalisations pourraient aussi profiter d’une pause dans leur sous-performance à l’égard des plus grandes sociétés. De même, les pays émergents sont aussi susceptibles de retrouver un peu de couleur face aux économies avancées, dans l’hypothèse d’un dollar plus faible.
Ainsi, une tendance haussière qui se propagerait au-delà des « sept magnifiques » et des valeurs de la santé traitant de l’obésité, semble envisageable, même si la baisse des taux entrevue devrait continuer de favoriser ces grandes valeurs de croissance, aux mérites incontestables. Une telle concentration d’investissements sur un si petit nombre de sociétés nécessite en effet de faire preuve de prudence. La diversification est dans cette perspective, la première réponse à apporter. Alors, si l’environnement s’y prête, pourquoi s’en priver ? Le retour du cycle économique exige de la mobilité.
1 Un point de base correspond à un centième d’un pourcentage et s’utilise fréquemment pour mesurer les changements de pourcentages d’un instrument financier. Une variation de 1% équivaut ainsi à une variation de 100 points de base.
2 Le S&P 500 est un indice boursier basé sur 500 grandes sociétés cotées sur les bourses aux États-Unis.
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