Ce qu’il faut retenir du Natixis Investment Forum Genève du 3 décembre 2024.
L’analyse et les opinions ci-dessous sont tirées d’un déjeuner-conférence «Les banques centrales soutiendront-elles le monde et les marchés en 2025?» et organisé par les équipes commerciales de Natixis Investment Managers en charge de la distribution en Suisse romande le mardi 3 décembre 2024 à l’hôtel des Bergues à Genève. Les experts de Natixis Investment Managers et DNCA ainsi que Dominique Moïsi y ont partagé leurs perspectives pour 2025 et les grandes tendances d’allocation de portefeuille.
Donald Trump réussira-t-il à mettre en œuvre l’intégralité de son programme et quel sera son impact sur les marchés? C’est l’une des grandes questions pour 2025. Selon Mabrouk Chetouane, responsable de la stratégie des marchés chez Natixis Investment Managers Solutions, Donald Trump devra primo composer avec les marchés pour financer son programme dont les estimations médianes indiquaient qu’il ajouterait 7500 Mds $ sur les dix prochaines années à une dette dont le stock avoisine 34000 Mds $. Le Trésor américain aura donc besoin d’émettre et de placer une grande quantité de bons du Trésor dans un contexte où le niveau du déficit américain pourrait commencer à susciter des questions. L’anticipation par les marchés d’un regain d’inflation issue de la hausse des droits de douane semble par ailleurs excessive. Le surplus d’inflation importée, s’il se manifeste, devrait être gérable pour la Fed. Une taxation à 60% des importations menacerait d’abord les entreprises américaines de taille petite ou moyenne, pour qui il est plus difficile de trouver des alternatives aux importation de biens intermédiaires chinoises. Quant à la question migratoire, la fermeture des frontières et les expulsions promises par Trump de travailleurs immigrés en situation irrégulière, si tant est que cela soit matériellement possible, provoquerait un choc d’offre négatif sur l’économie américaine. Ces décisions aux effets inflationnistes iraient à l’encontre des promesses du Président Trump d’amélioration du pouvoir d’achat. Mabrouk Chetouane estime que la Fed devrait à l’issue de la baisse des taux escomptée en décembre adopter une posture attentiste. L’appréciation du dollar vis-à-vis de l’euro qui en résultera permettra de neutraliser l’effet inflationniste d’une hausse des droits de douane. L’élection de Trump n’aura- dans un premier temps au moins- pas d’impact sur l’indépendance de la Fed, Jerome Powell comptant aller jusqu’au bout de son mandat en 2026.
Le programme de Donald Trump, s’il est appliqué, fera s’envoler la dette américaine et monter les taux d’intérêt. La dépense médiane pourrait atteindre 700 milliards $ par an dans les 10 prochaines années, dans un contexte où l’épargne de pays jusqu’ici structurellement acheteurs des bons du Trésor américains comme le Japon et l’Allemagne pourrait progressivement délaisser le financement du déficit américain au profit de leurs propres déficits. «La question de la soutenabilité de la dette américaine ne se pose pas aujourd’hui.», rassure Mabrouk Chetouane compte tenu du niveau de croissance nominale des Etats-Unis (entre 5 et 5,5%). La situation de la France, qui a un niveau de déficit public équivalent, est plus inquiétante, du fait de sa moindre croissance nominale qui obère sa capacité à rembourser sa dette. La dette publique européenne plus généralement pâtit d’une moindre attractivité auprès des investisseurs que la dette américaine compte tenu d’un potentiel de croissance moindre.
La performance insolente du S&P 500 depuis le début de l’année (+26% au 28/11/2024) contraste avec celles des marchés européens (+6% au 28/11/2024 pour l’Euro Stoxx 50). C’est aussi le cas pour l’économie. La production manufacturière allemande continue de souffrir de la faiblesse de la demande chinoise et de la cherté de l’énergie, consécutive à l’arrêt de la livraison du gaz russe bon marché aux européens, qui pèse sur la compétitivité de l’industrie outre-rhin. Le salut pour l’Allemagne pourrait venir de la poursuite de l’assouplissement monétaire de la BCE, la politique restrictive menée jusqu’en juin ayant pénalisé les industries intensives en capital, ou bien du sursaut de la politique budgétaire allemande ou bien des deux.
Pour Dominique Moïsi, politologue et géopoliticien, conseiller spécial à l’Institut Montaigne, l’influence de Trump, pas encore intronisé, est déjà prégnante sur les conflits géopolitiques en cours, jouant un rôle d’accélérateur pour les belligérants qui cherchent à maximiser leurs gains dans l’attente de l’ouverture des négociations. Conformément à son approche transactionnelle de la géopolitique, Trump pourrait essayer de convaincre Zelensky d’abandonner 20% du territoire occupé par les Russes contre la promesse que le reste du territoire à l’Ouest resterait ukrainien. Si l’élection de Trump, qui affiche plus de proximité avec les autocrates que Joe Biden, fait en théorie les affaires de Poutine, sa personnalité imprévisible pourrait néanmoins inviter le dirigeant russe à la prudence et laisser présager plus de fermeté que ne l’aurait fait Biden si Poutine venait à le contrarier. Dominique Moïsi regrette que la géopolitique ne soit pas la priorité du couple franco-allemand à l’heure d’un possible retrait du parapluie sécuritaire en Europe. L’Amérique était depuis 80 ans l’assurance-vie des Européens en matière de sécurité et un modèle démocratique. Les Etats-Unis risquent avec l’élection de Donald Trump de ne plus l’être. «Depuis 80 ans, l’Allemagne s’est reposée sur les Etats-Unis en matière de sécurité, sur la Russie en matière d’énergie et sur la Chine en matière de commerce. Il y a une érosion de ces 3 piliers. L’Allemagne se retrouve en pleine crise identitaire, face à elle-même. Il devrait y avoir plus d’Europe à l’heure du moins d’Amérique. Il y a hélas plus de Trump et moins d’Europe». La montée du populisme en Europe, que ce soit en Autriche, aux Pays-Bas, en Roumanie, en Allemagne et en France, menace les démocraties libérales en Europe. «La victoire de Trump, c’est la victoire de l’illibéralisme sur les démocraties libérales classiques.», estime Dominique Moïsi, pour qui les dirigeants européens et nationaux portent une lourde responsabilité dans la polarisation des sociétés, citant la «tri-polarité» politique française en exemple.
Les politiques monétaires menées par les banques centrales sont-elles trop restrictives? Ce n’est pas tout à fait ce que pense Pascal Gilbert, gérant obligataire chez DNCA Finance. Si l’on regarde de près les taux réels anticipés à 2 et 10 ans, les spreads de crédit et les valorisations des actions, les conditions monétaires sont plutôt neutres depuis deux ans. Les conditions de financement sont plutôt bonnes pour les entreprises. Il ne faut donc pas trop attendre d’un éventuel coup de pouce sur l’économie délivré par les baisses de banques centrales en 2025. Des taux réels plus bas, donc implicitement négatifs, seraient d’ailleurs préjudiciables aux prêteurs.
DNCA utilise un outil propriétaire de mesure du risque dénommé RATP (Risk Adjusted Term Premium) pour évaluer l’attrait relatif des obligations à long terme au regard du risque pris, en calculant la prime de risque offerte pour l’horizon d’investissement supérieur à 3 ans, un seuil au-delà duquel il n’y a pas de prévision économique. L’indicateur RATP étant le résultat du surplus de rendement offert sur la courbe des taux divisé par la volatilité de l’actif, il représente en quelque sorte la rémunération de l’incertitude. Ces deux facteurs au numérateur et au dénominateur influencent son évolution. Le redressement général des courbes de taux et la baisse de la volatilité ont ainsi contribué à son augmentation depuis le début de l’année, même s’il reste à ses yeux insuffisant pour une exposition obligataire significative.
Pascal Gilbert est convaincu que la dette souveraine présente toujours peu de valeur intrinsèque, qu’il n’y a plus d’actif obligataire sans risque et qu’aucun filet de sécurité ne viendra protéger les marchés obligataires en cas d’inflexion macroéconomique.
Pour Julien Dauchez, Head of Portfolio Consultants and Advisory chez Natixis Investment Managers Solutions, l’année 2024 a été un très bon cru tant en termes économiques que financiers. L’activité économique a fait mentir les pessimistes du début d’année en faisant preuve de résilience tandis que les actifs risqués (Dax, Nasdaq, S&P 500, Nikkei, Euro Stoxx 600) volaient de record en record dans un contexte géopolitique pourtant incandescent, notamment au Proche orient. Cet optimisme des marchés est tempéré par l’envolée de l’or, signe de fébrilité. La forte hausse de l’indice Vix Skew de CBOE, qui quantifie les risques extrêmes sur les marchés, depuis l’élection de Donald Trump n’est-il pas annonciateur d’une tempête à venir?
Les sources de préoccupation pour les investisseurs ne manquent pas. Comme en 2022, la géopolitique pourrait en 2025 avoir un impact substantiel sur les marchés et l’allocation des portefeuilles clients, si la situation venait à se dégrader encore davantage au Proche-Orient ou si l’Administration Trump 2.0 mettait en place des politiques intrinsèquement inflationnistes. La trajectoire inquiétante des dettes publiques dans le monde contribue elle aussi à dessiner une toile de fond anxiogène pour les investisseurs, et qui pourrait annoncer le retour des bond vigilantes. La progression de l’or et du monétaire ainsi que la réduction de la duration dans les portefeuilles traduisent cette inquiétude.
L’analyse de portefeuille des clients permet de faire ressortir certaines grandes tendances. Si les actions et obligations suisses libellés en CHF étaient privilégiés dans les portefeuilles jusqu’à début novembre, l’élection de Trump a déclenché une hausse significative de la part de la poche actions américaines. La très grande concentration des indices US a poussé les clients déjà exposés à cette classe d’actifs à rechercher une diversification par style ou taille de capitalisation (Value et Small Cap par exemple) ou en recourant à des indices équipondérés. On observe également avec la baisse des taux des banques centrales un glissement de l’allocation des clients du monétaire vers le crédit court terme, motivé par une recherche de rendement additionnel. Ces tendances se voient dans les flux de collecte.
Ce biais domestique, que l’on retrouve dans toutes les régions du monde, présente néanmoins un coût d’opportunités en se coupant d’opportunités potentielles hors de sa zone domestique et peut – sans rebalancement – déformer dans le temps l’allocation initiale du portefeuille.
L’envolée des taux longs américains résultant d’une anticipation d’un regain d’inflation ou de croissance est un autre corollaire de l’élection de Trump. Des taux longs élevés font néanmoins mauvais ménage avec les actions. Si les taux longs venaient à dépasser les 5%, les investisseurs actions pourraient délaisser les actions -aux primes de risque proches de zéro- pour les taux.
Les thèmes clés pour 2025 pourraient être la recherche de rendement et la diversification. La démocratisation des actifs privés pourrait aider les investisseurs à répondre à ce double objectif, comme on peut déjà le constater dans des portefeuilles de clients fortunés ou dans les produits d’épargne complémentaires.
Un retournement de tendance est en cours dans les gestion active, dont les flux en Europe excèdent à nouveau ceux de la gestion passive. Ce phénomène se conjugue à des études récentes montrant que, dans le monde obligataire, la surperformance de la gestion active est manifeste, et s’appuie sur des facteurs tant structurels (transfert d’alpha vers les investisseurs non-contraints) que circonstanciels (gestion active du risque à la baisse). Cet alpha, dynamique, a pu être mesuré avec précision dans le segment du Crédit Investment Grade européen.
Achevé de rédiger en décembre 2024.
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