Une année s’achève, une nouvelle s’apprête à débuter. Pour l’occasion, on fait le point sur plusieurs secteurs qui ont connu des bouleversements importants en 2023, en s’interrogeant sur ce que 2024 a en réserve.
Dans un premier article (https://www.investir.ch/article/video-a-la-demande-voyage-industrie-pharmaceutique-trois-marches-a-suivre-de-pres-en-2024/), nous évoquions la vidéo à la demande, le voyage et l’industrie pharmaceutique. Cette fois-ci, place aux réseaux sociaux, aux semi-conducteurs et à la consommation discrétionnaire.
Réseaux sociaux et information
Entre le débarquement de l’intelligence artificielle (IA) générative, le lancement par Meta de Threads, application rivale de X (anciennement Twitter) et les empoignades avec les différentes autorités régulatrices sur la modération des contenus, 2023 a été une année agitée sur le marché des réseaux sociaux.
En 2024, les plateformes en ligne, de X à Meta en passant par Tiktok, ainsi que les moteurs de recherche, Google en tête, continueront naturellement d’être un canal hautement stratégique pour les départements marketing des entreprises. Selon une étude de l’entreprise Hootsuite, l’usage de l’IA dans cette optique va continuer de monter en flèche en 2024. Les entreprises sondées prévoient ainsi de doubler leur usage de l’IA pour éditer des messages publiés sur les réseaux sociaux, et de quadrupler son usage pour produire des réponses de service client sur ces mêmes réseaux. Dans 61% des cas, les entreprises affirment avoir recours à l’IA pour alléger le travail des community managers débordés.
Hootsuite prédit également que les entreprises, qui ont eu tendance à trop étirer leurs ressources entre un maximum de plateformes, vont en 2024 chercher à rationaliser leurs dépenses en se focalisant sur quelques medias stratégiques, dont elles peuvent attendre le meilleur rendement. LinkedIn, Instagram, WhatsApp et Facebook (dans cet ordre) sont les plateformes dans lesquelles les marques ont le plus confiance pour obtenir un bon retour sur investissement. Thread est bon dernier, jugé avec confiance par 16% seulement des entreprises interrogées, très loin derrière le numéro 1, Linkedin (70%) mais aussi derrière X (ex-Twitter), également mal classé (30%).
Les réseaux sociaux sont aujourd’hui devenus la voie royale d’accès à l’information, ce qui attire l’attention des régulateurs. La Commission européenne vient ainsi d’ouvrir une enquête contre X dans le cadre du Digital Services Act (DSA), qui impose depuis fin août de nouvelles obligations en matière de modération aux grandes plateformes Internet. Si l’UE avait déjà mis en garde Elon Musk quant à sa politique de modération qu’elle juge insuffisante, l’enquête fait suite au déclenchement des hostilités entre Israël et le Hamas qui a entraîné une explosion de la désinformation et des contenus haineux sur X. Instagram, TikTok et YouTube sont également dans le collimateur de la Commission et pourraient être visés à leur tour.
Enfin, 2024 sera une année d’élection aux États-Unis, avec Donald Trump bien parti pour être le candidat républicain, ce qui représentera un risque certain pour les plateformes, dans un contexte ultra-polarisé. Laisser une liberté d’expression totale à Donald Trump, adepte des provocations, et à ses partisans pourrait provoquer la colère et la fuite des utilisateurs de gauche, tandis qu’une politique de censure pourrait à l’inverse braquer le camp conservateur. Pour rappel, Facebook, YouTube et Twitter avaient banni l’ancien président suite à l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021. Tous ont depuis levé sa suspension.
Consommation discrétionnaire
Malgré la guerre en Ukraine, l’inflation galopante et l’annonce d’une récession imminente par les économistes, les Américains ont largement continué de consommer en 2023, contribuant à soutenir la croissance du pays. Les dépenses ajustées de l’inflation ont par exemple crû de 0,4% en août, puis de nouveau en septembre. En outre, les Américains ont augmenté leurs dépenses sur les biens durables (meubles, équipements, bijoux et bagages) au troisième trimestre, des dépenses discrétionnaires qui ont tendance à être sacrifiées lorsque les consommateurs sont inquiets vis-à-vis de l’avenir. Le Black Friday et le Cyber Monday ont également connu des chiffres de vente records. L’économie américaine a quant à elle cru de 4,9% au troisième trimestre.
Derrière cette hausse, un marché du travail solide, avec un taux de chômage qui reste historiquement bas, sous la barre des 4%, ce qui permet aux travailleurs de négocier des hausses de salaire : depuis l’an dernier, les salaires ont ainsi crû plus vite que l’inflation aux États-Unis. Mais aussi une bonne santé des marchés boursiers et immobiliers, qui contribue à assainir les finances des ménages.
Si les chiffres sont moins bons dans la zone euro, davantage affectée par la hausse des coûts de l’énergie entraînée par la guerre en Ukraine et la politique de sanctions contre la Russie, elle semble malgré tout bien partie pour éviter la récession en 2023.
Pour l’année qui s’ouvre, les consommateurs semblent décidés à dépenser leurs revenus disponibles en choses à faire plutôit qu’à posséder : d’après un sondage de Paysafe réalisé sur 14 500 individus européens, nord-américains et latino-américains, 42% prévoient de consacrer moins d’argent aux biens physiques et davantage aux expériences. La tendance est particulièrement prononcée aux États-Unis (41%). 43% des interrogés prévoient également de dépenser plus pour leurs vacances et 41% davantage en billets d’avion.
Mais si l’économie mondiale a mieux résisté que prévu aux chocs successifs, 2024 pourrait bien être l’année où les prédictions des économistes finiront par se réaliser, selon Nicholas Economides, professeur d’économie à la Stern School of Business: «Les consommateurs américains ont accumulé de l’épargne durant le Covid grâce aux chèques délivrés par Trump et Biden, au gel du remboursement des prêts étudiants ainsi qu’à l’annulation partielle de certains. Mais cette épargne est en train de se tarir, comme le montre la hausse des achats faits à crédit cet automne. En outre, la guerre entre Israël et le Hamas pourrait embraser tout le Moyen-Orient et impliquer directement les États-Unis. Le commerce international et les chaînes de valeur commencent déjà à être affectés.»
Semiconducteurs
2023 a été une excellente année pour les semi-conducteurs, et les entreprises du secteur peuvent remercier OpenAI. Alors que la période faste entamée avec la pandémie semblait en passe de s’achever, les ventes de PC et de smartphone se tassant après que les consommateurs eussent profité du Covid pour s’équiper, la vague de l’IA générative, emmenée par ChatGPT, est venue apporter un second souffle au marché des semi-conducteurs. Nvidia, dont les puces graphiques (GPUs) sont devenues nécessaires pour entraîner les grands modèles linguistiques sur lesquels repose l’intelligence artificielle générative, fait partie des grands gagnants. Fin décembre, son action s’était appréciée de 200% par rapport à la même période l’an passé. Guère étonnant quand on sait que, pour entraîner ChatGPT, pas moins de 10 000 GPUs de Nvidia ont été nécessaires, utilisées sur plusieurs semaines. De Micron à TSMC en passant par Intel, les autres grands fabricants de semi-conducteurs ont également connu une excellente année. Mais la vague de l’IA générative n’a pas bénéficié qu’aux grands acteurs.
«Cela a profité aux entreprises bien établies comme aux jeunes pousses, et pas seulement dans le domaine des processeurs d’IA, mais aussi des infrastructures, de la mémoire, des composants, des centres de données ainsi que des applications en périphérie», note Mike Demler, analyste indépendant spécialisé dans l’industrie des semi-conducteurs.
Si les risques ne sont bien entendu pas inexistants, la plupart des voyants sont selon lui au vert pour ce marché en 2024. «Les retombées de la vie politique, alors que les États-Unis entrent dans une année électorale, constitueront le principal risque l’an prochain. Il y a déjà des problèmes liés au conflit avec la Chine, qui incite le pays à développer ses propres technologies. Mais la hausse des applications autour de l’IA devrait continuer à être un vecteur de croissance pour de nombreuses entreprises.»
Si l’IA générative fait couler beaucoup d’encre, il ne faut toutefois pas résumer le marché des semi-conducteurs à l’entraînement des grands modèles linguistiques, qui ne constitue qu’une partie du marché. «Beaucoup oublient que tout l’objectif est de développer des modèles utilisés pour de l’inférence, dans le cloud ou sur les appareils connectés en périphérie. C’est là que se trouvera le plus gros volume de croissance.»
Enfin, le marché automobile n’est pas non plus à négliger: de Tesla aux grands constructeurs traditionnels comme BMW et General Motors, les véhicules intègrent un nombre croissance de semi-conducteurs, alors que les logiciels d’assistance à la conduite se développent et se généralisent. La Chine mettant les bouchées doubles sur la voiture électrique et ses constructeurs commençant à exporter en Europe, les fournisseurs de technologie chinois, comme Black Sesame et Horizon Robotics, pourraient également connaître de belles performances en 2024.