Alors les actions japonaises étaient prisées des sociétés de gestion suisses à la fin des années 80, la 4ème économie mondiale a aujourd’hui pratiquement disparu de nos portefeuilles. Le moment est peut-être venu de se tourner à nouveau vers le Soleil Levant, car après un long hiver boursier, le Kabuto-Cho pourrait bien connaître une nouvelle aube resplendissante.
Par Jean Keller, CEO
Malgré la reprise boursière de ce début d’année, il est difficile pour les investisseurs de trouver un marché dans lequel investir avec confiance, tant les nombreuses incertitudes géopolitiques pèsent sur le sentiment général. Il faut dire qu’entre la fièvre de l’inflation qui ne fait pas mine de retomber, la hausse généralisée des taux, la guerre en Ukraine qui devrait entrer dans une nouvelle phase avec l’imminente contre-attaque ukrainienne, les facteurs d’inquiétude ne manquent pas.
L’Asie suit une dynamique à part
Dans cet environnement agité, l’une des régions du monde apparemment épargnée par les vicissitudes actuelles est l’Asie, qui est de plus en plus influencée par des facteurs locaux et qui évolue ainsi dans un cycle différent du reste du monde. La reprise de l’économie chinoise, dopée par la fin des mesures anti-Covid et une politique monétaire plus expansive, se fait sentir à travers tout le continent. C’est notamment le cas au Japon, qui a subi une longue période de déflation mortifère et a ainsi été le marché le plus défavorisé ces deux dernières décennies.
La chute d’Icare
A fin 1989, le marché japonais battait record sur record, soutenu par une folle rotation des thèmes d’investissement entretenue par les courtiers nippons et l’émission continue des fameux « warrants japonais ». Il pesait plus de 35% de la capitalisation boursière mondiale et était totalement incontournable dans tout portefeuille international digne de ce nom. Trente ans plus tard, il représente moins de 8% du total. Malgré quelques faux départs au fil des années, le marché japonais ne s’est jamais remis de l’éclatement de la bulle spéculative en 1989 et a pratiquement disparu des écrans radars des investisseurs. En 2012, les investisseurs étrangers avaient fondé des espoirs sur l’adoption de nouvelles politiques conjoncturelles par le gouvernement de Shinzo Abe. Mais les flux générés par les perspectives d’une reprise sont tous retournés d’où ils venaient et les investisseurs internationaux sont à nouveau largement sous-pondérés dans le pays du Soleil Levant.
Le Japon a bien changé
Pourtant, même si le marché n’en est pas encore conscient, le Japon a effectué des changements en profondeur dans son économie. Sur le plan macro-économique, l’une des transformations les plus visibles a été l’évolution du marché du travail : avec la pénurie de main d’œuvre, les entreprises ont été obligées d’offrir des hausses de salaires inhabituelles dans un pays où la fidélité des travailleurs n’est plus acquise. Parallèlement, des modèles de rémunération basés sur la performance ont été introduits, une tendance nouvelle au Japon. Cette augmentation des salaires sur la durée devrait enfin soutenir une consommation intérieure qui est restée anémique ces dernières années. Elle devrait principalement favoriser les jeunes générations qui arrivent sur le marché du travail. Avec l’abandon probable des mesures monétaires non-conventionnelles, le Japon se dirige également vers une nouvelle ère macroprudentielle, qui devrait favoriser la tenue du Yen sur les marchés des capitaux. La nomination d’un nouveau gouverneur de la Banque centrale devrait formaliser ce changement structurel de politique monétaire.
Une gouvernance modernisée
De manière plus significative, le Japon a considérablement transformé sa gouvernance économique. De fait, poussés par le vieillissement de la population et l’endettement important de l’économie, les récents gouvernements ont adopté des mesures pour relancer les investissements en actions et ainsi soulager un marché de la dette déjà totalement surexploité. Le Japon a dès lors promulgué un nouveau code de gouvernance d’entreprise qui favorise la maximisation de la valeur actionnariale. L’arrivée d’investisseurs activistes et de fonds de Private Equity a permis de dynamiser certaines entreprises dont les rentabilités du capital étaient insuffisantes et de dénouer beaucoup d’actionnariats croisés, un mal endémique au Japon. En parallèle, des programmes de dividendes ou de rachats de titres ont vu le jour pour soutenir les valorisations du marché des actions. La nécessité d’augmenter la productivité a engendré des investissements technologiques importants et les fusions et acquisitions permettent désormais d’entamer le nécessaire processus de consolidation dans une économie encore trop fragmentée. Toutes ces mesures devraient entraîner une amélioration importante des liquidités des entreprises et les perspectives boursières à moyen terme nous semblent excellentes.
La cerise sur le gâteau
Mais le changement le plus important – et qui est passé presqu’inaperçu – réside dans la modification des règles de cotation sur la bourse de Tokyo. En effet, celle-ci vient d’exiger de toutes les entreprises cotées sur le premier marché (la partie la plus prestigieuse de la cote) qu’elles mettent en œuvre une stratégie de croissance destinée à améliorer la rentabilité de leur capital. Les sociétés qui auraient un ratio «Price-to-Book» inférieur à 1 sur la durée (c’est-à-dire une valeur boursière inférieure à leur valeur comptable) se verraient obligées d’abandonner l’indice «Prime» pour se voir reléguées dans un segment de la cote de moindre importance. L’obligation pour les entreprises de publier leur politique de gouvernance et d’améliorer la transparence envers les investisseurs constitue ainsi l’un des changements les plus significatifs sur le plan de la culture d’entreprise au Japon et devrait porter des fruits sur la durée.
Depuis plus de trente ans, le Japon a traversé un long hiver boursier. S’il y a bien eu des périodes de reprise, elles sont restées insuffisantes pour faire revenir les investisseurs en masse. Il était donc facile d’ignorer ce marché et dès lors, la plupart des investisseurs internationaux se sont totalement désinvestis du marché japonais. Pourtant, le Japon est en pleine transformation et cette transformation devrait amener des changements structurels en faveur des investisseurs en actions. Pour notre place boursière, pionnière historique de l’investissement international, c’est peut-être le moment de se tourner à nouveau vers le marché nippon. Il ne fait jamais aussi froid que juste avant l’aurore et le pays du Soleil Levant pourrait bien présenter une aube resplendissante!