Crainte d’une récession qui se prolonge, tensions géopolitiques et incertitudes liées à l’élection américaine conduisent les investisseurs à faire preuve de prudence et à se tourner vers le métal précieux pour limiter leur exposition aux risques.
Assiste-t-on à une nouvelle ruée vers l’or? Dans un contexte économique qui demeure incertain, avec une inflation persistante et des taux d’intérêt toujours élevés, les investisseurs, en quête d’une valeur refuge pour stabiliser leur portfolio, se ruent sur le précieux métal. Mi-juillet, son prix a atteint un record historique de plus de 2’451 dollars l’once. «Dans les temps d’incertitude économique ou de récession, les investisseurs se rabattent souvent sur l’or, une valeur sûre», note Harshad Shah, un conseiller financier indépendant spécialisé notamment dans le marché de l’or.
Depuis l’abandon de l’étalon-or en 1971 par le président américain Richard Nixon, l’or est passé du statut de monnaie d’échange à celui de stockage de valeur, et son prix a rapidement augmenté, passant de 40 dollars l’once en 1971 à 2’249 dollars en 1980. Quelque peu négligé durant les années de reprises économiques après la crise de 2008, l’or reprend désormais du poil de la bête, alors que les acteurs économiques craignent de voir la récession s’installer.
Le prix de l’or n’a (sans doute) pas fini de grimper
Et la tendance n’est pas près de s’infléchir. Un rapport de JP Morgan estime ainsi que l’once d’or pourrait atteindre 2’500 dollars d’ici à la fin de l’année et 2’600 dollars en 2025.
«Nombre des facteurs structurels qui conduisent à l’appréciation d’un actif réel comme l’or — parmi lesquels les inquiétudes vis-à-vis du déficit américain, le fait que la banque centrale achète de l’or, la pression inflationniste et un paysage géopolitique incertain — ont conduit à des prix record cette année malgré un dollar fort et des rendements du trésor américain plus élevé. Ils vont certainement persister, quel que soit le résultat de l’élection américaine cet automne», affirme Natasha Kaneva, Head of Global Commodities Strategy at J.P. Morgan.
Harshad Shah estime pour sa part que le précieux métal pourrait atteindre 5’000 dollars l’once d’ici à 2028. «La lutte des banques centrales, y compris la Fed, contre l’inflation a conduit à une inquiétude accrue, et donc à d’avantage d’investissements dans l’or et les marchés obligataires pour la protection des portfolios. Ainsi, malgré la récente appréciation du dollar, l’or continue d’attirer les investisseurs qui cherchent à protéger leurs avoirs. Alors que la pression inflationniste se maintient, le rôle historique de l’or comme protection contre la dépréciation de la monnaie devient de plus en plus pertinent. Le climat économique actuel, qui n’est pas sans rappeler l’inflation des années 1970-1980, suggère un environnement favorable pour l’or», affirme-t-il.
Mais une baisse des taux d’intérêt afin de relancer l’économie pourrait également doper la demande d’or. «Il est probable que les taux d’intérêt soient bientôt baissés aux États-Unis, en Europe et en Inde. Si les investisseurs s’attendent à de futures baisses de ces taux, il est possible qu’ils achètent de l’or en couverture de risque»
Le facteur géopolitique
Parmi les facteurs qui conduisent à la hausse de la demande d’or, l’incertitude économique est en effet en tête de liste. Si elle est redescendue depuis les pics de l’après-Covid, l’inflation demeure persistante aux États-Unis et en Europe, mais aussi dans des pays émergents comme l’Inde et le Brésil.
Mais les niveaux de dette publique records atteints dans de nombreux pays, qui font craindre une nouvelle crise financière, figurent également en bonne place. La dette publique américaine augmente désormais de 1’000 milliards de dollars tous les cent jours et le paiement des intérêts dépasse 100% du PIB américain. En conséquence, des acheteurs traditionnellement très friands de la dette américaine ont ralenti la voilure et diversifié leurs achats au profit… de l’or.
La Chine a ainsi vendu l’équivalent de 22,7 milliards de dollars en bons du trésor en février dernier. Si l’Empire du Milieu demeure le second plus gros détenteur de la dette américaine, derrière le Japon (qui diversifie également ses achats), il pourrait, au rythme où vont les choses, bientôt être dépassé par le Royaume-Uni : la Chine détient actuellement pour 775 milliards de bons du trésor américain, contre 1 100 milliards en 2021.
Une stratégie sans doute nourrie par des inquiétudes vis-à-vis de la dette américaine, mais aussi certainement par la volonté de limiter l’exposition du pays au dollar, une arme redoutable utilisée par les États-Unis dans le cadre des relations internationales. Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les États-Unis ont gelé 300 milliards de dollars d’actifs russes détenus en dollars, euros et livres sterling dans les banques américaines, et menacent régulièrement de confisquer définitivement ces actifs pour les donner à l’Ukraine. Pour la Chine, qui a pris le parti de la Russie dans le conflit ukrainien et a des vues sur Taïwan, cette perspective a de quoi susciter des sueurs froides.
D’où une entreprise de mitigation des risques s’appuyant sur l’achat massif d’or au détriment du dollar. Entre octobre 2022 et avril dernier, la Banque populaire de Chine a acheté pour environ 300 tonnes d’or. Un chiffre qui pourrait en réalité être encore plus élevé. De nombreux experts soupçonnent en effet que la Chine détienne des milliers de tonnes de réserves supplémentaires via un fonds chargé de gérer les réserves de changes de la Chine, le State Administration of Foreign Exchange. Plus généralement, un contexte géopolitique instable et polémogène, avec un risque d’embrasement au Moyen-Orient, dans le cadre du conflit israélo-palestinien, et dans le Détroit de Taïwan, génère de l’incertitude économique qui incite les investisseurs à se tourner vers des valeurs sûres pour minimiser les risques de pertes. À cela s’ajoute l’élection américaine qui aura lieu en novembre, ajoutant encore de l’incertitude, avec la perspective d’un retour de Donald Trump dans le Bureau ovale.
Ce contexte géopolitique défavorable pourrait, à terme, également nuire à la suprématie du dollar, entraîner sa dépréciation et conduire encore davantage d’acteurs à se tourner vers l’or comme valeur refuge. «Il est probable que le dollar se déprécie dans un contexte de découplage entre les blocs. L’Arabie saoudite et plusieurs pays du Golfe producteurs de pétrole ont par exemple cessé leur soutien aux pétrodollars», note Harshad Shah.
La demande d’or dopée par les banques centrales
La Banque centrale chinoise n’est pas la seule à empiler les lingots. «Outre les baisses imminentes des taux d’intérêt et la hausse des tensions géopolitiques, les banques centrales ont largement contribué à la hausse des prix de l’or en 2023, et continueront de le faire en 2024», note ainsi l’étude de JP Morgan.
Au total, les banques centrales ont acheté pour 1’037 tonnes d’or en 2023, selon cette même étude, et 2024 suit d’ores et déjà le même cap avec 290 tonnes achetées au premier trimestre, soit 70 tonnes de plus qu’au dernier trimestre 2023, et ce en dépit d’une hausse de 5% du prix moyen de l’or sur cette même période. Les banques centrales entendent ainsi diversifier leur portfolio en réduisant leur dépendance au dollar, et donc les risques, en période d’incertitude à la fois économique et géopolitique.
L’Inde, notamment, a acquis 19 tonnes d’or au premier trimestre 2024, soit davantage que les 16 tonnes achetées au cours de l’intégralité de l’année précédente. Avec 8’133 tonnes d’or détenues, les États-Unis sont le pays qui possède les réserves d’or les plus importantes, devant l’Allemagne, l’Italie, la France et la Russie.
Tous les facteurs semblent donc en place pour que l’or demeure une valeur refuge et continue de s’apprécier dans les mois à venir. La nouvelle ruée vers l’or n’est pas près de s’enrayer.