Ce modèle basé sur une logique de service et des revenus récurrents va bénéficier de la démocratisation de technologies de pointe comme l’intelligence artificielle et l’internet des objets.
Un modèle économique qui était jadis l’apanage des media et du logiciel s’est infiltré depuis quelques années dans tous les secteurs de l’économie, des voitures électriques au vêtement haut de gamme, en passant par les ordinateurs et même les jets privés: il s’agit du modèle de l’abonnement, qui consiste à payer régulièrement pour un service plutôt que d’acheter ponctuellement un produit.
En lieu et place d’acquérir une Tesla, il est par exemple possible de la louer pour plusieurs années moyennant un abonnement mensuel, auquel on peut ajouter des options comme le chargement illimité ou une connexion premium. À la fin du contrat, le client peut choisir d’acheter le véhicule ou de poursuivre sur une formule d’abonnement avec un modèle plus récent.
D’autres constructeurs, comme Renault, remplacent gratuitement les batteries des véhicules «loués» lorsqu’elles commencent à perdre de l’autonomie. L’économie de l’abonnement inclut aussi les «boxes», ces services qui permettent de se faire livrer chaque mois une sélection de vins biodynamiques, de café d’exception, de vêtements ou de produits de beauté.
Citons encore la chaîne de supermarchés américaine Costco, qui a construit son succès sur un modèle très original pour une grande surface: les clients doivent s’acquitter d’un abonnement annuel pour avoir le droit de pénétrer dans ces magasins. En échange de ce précieux sésame, ils gagnent l’accès à des produits vendus à des tarifs très compétitifs grâce à une chaîne de valeur optimisée et millimétrée, ainsi qu’à des achats en gros. L’idée de faire payer ses clients pour qu’ils viennent dépenser de l’argent chez vous peut sembler suicidaire. Pourtant, cela fonctionne à merveille: l’entreprise affiche une excellente santé financière et continue de croitre alors même que le secteur de la grande distribution connaît des temps difficiles.
Pourquoi l’abonnement fait tourner toutes les têtes
Concept popularisé il y a quelques années par Tien Tzuo, le fondateur et dirigeant de Zuora, une société américaine qui fournit une solution logicielle aux entreprises souhaitant opter pour le modèle de l’abonnement, la «subscription economy» cartonne, en particulier chez les plus jeunes. Aux États-Unis, 70% des 18-44 ans utilisent au moins un service par abonnement, contre 55% des plus de 65 ans. Du fait de sa popularité auprès du grand public, ce paradigme économique est promis à un bel avenir. Son taux de croissance annuel moyen dans le monde est estimé à 16% jusqu’à 2030, la taille de marché de ce modèle devrait atteindre 1 500 milliards de dollars d’ici 2025, et les entreprises proposant une solution logiciel pour l’abonnement croissent en moyenne de 30 à 50% par an.
L’une des raisons qui poussent les entreprises à opter pour ce modèle est sa prédictibilité, particulièrement utile en des temps économiques incertains. En conférant aux entreprises des abonnés plutôt que des utilisateurs ou acheteurs ponctuels, il leur garantit des revenus récurrents et ainsi une meilleure capacité à se projeter dans l’avenir, donc à affiner leur stratégie de croissance. Le modèle permet également aux entreprises de mieux connaître leurs clients, en collectant et analysant davantage de données les concernant, et ainsi de leur proposer des offres mieux adaptées à leurs besoins, affirme Jagjeet Gill, expert chez Deloitte. «Les professionnels peuvent ainsi obtenir des informations plus fines quant à la manière dont les clients utilisent le service, ce qui leur permet non seulement d’améliorer leurs produits, mais aussi de vendre plus facilement d’autres services aux clients.»
Autre avantage: «la possibilité de déployer de nouvelles fonctionnalités beaucoup plus rapidement.» Tesla est par exemple capable de mettre à jour le logiciel de ses véhicules à distance, d’améliorer ainsi l’expérience de conduite de ses voitures au fil de l’eau et de tester en permanence de nouvelles fonctions pour voir comment ses clients y réagissent et les utilisent.
Enfin, le fait d’avoir des clients réguliers et non ponctuels diminue le besoin d’acquérir en permanence de nouveaux consommateurs et donc les efforts marketing à déployer.
L’essor de ce modèle a fait le beurre de Zuora, ainsi que celui d’autres services qui se sont spécialisés dans les services logiciels aux entreprises souhaitant lancer un modèle d’abonnement. La société de paiements Stripe a par exemple lancé l’offre Stripe Billing en 2018, une API de facturation notamment destinée aux sociétés souhaitant adopter un modèle de revenus récurrents.
«Les modèles d’abonnement différent profondément des modèles traditionnels et requièrent des capacités et process différents au sein de l’entreprise, en matière de stratégie de prix, de ventes, de facturation, de taxation et de succès client», affirme Jagjeet Gill.
Gare à la «suscription fatigue»
Le choix d’un modèle d’abonnement ne va cependant pas sans risques. Lorsque la conjoncture économique est difficile et que particuliers et entreprises cherchent à rationaliser leurs dépenses, les multiples services par abonnement auxquels ils ont souscrit risquent d’être l’une de leurs cibles prioritaires. C’est la «suscription fatigue», que Tien Tzuo décrit en ces termes dans une récente tribune: «Les consommateurs sont débordés par le nombre d’abonnements qu’ils doivent maintenir. Certaines entreprises découvrent qu’elles ont davantage d’applications SaaS que d’employés. Chacun réévalue le bénéfice qu’il tire de ces différents produits.»
Loin de signer la fin de l’économie de l’abonnement, le ralentissement économique offre cependant à celle-ci une opportunité de s’améliorer et de se réinventer, selon le patron de Zuora.
«Aujourd’hui, le simple fait d’avoir un modèle d’abonnement n’est plus suffisant pour garantir de la croissance, un gain de part de marché, la loyauté des clients et un avantage compétitif.»
Les perspectives ouvertes par l’IoT
Selon lui, l’avenir de l’économie de l’abonnement réside dans l’offre de services additionnels démontrant une excellente compréhension des besoins des utilisateurs. Il cite notamment en exemple le New York Times, qui, à son offre d’abonnement traditionnel, ajoute désormais des jeux (The Crossword, Wordle), des recommandations produits (Wirecutter), des recettes de cuisines, des informations sportives, ainsi qu’un grand nombre d’infolettres spécialisées. Une stratégie qui a permis au journal américain de devenir une sorte de portail centralisé offrant à chaque lecteur les informations dont il a besoin sur les sujets qui l’intéressent, de générer 1000 milliards de dollars grâce aux abonnements l’an passé, et de gagner 300’000 abonnés numériques rien qu’au dernier trimestre de l’année 2023, atteignant le chiffre impressionnant de 10,36 millions d’abonnés.
Demain, l’émergence de nouvelles technologies va également favoriser les entreprises qui sauront proposer un modèle d’affaires adapté à celles-ci. Dans l’automobile, les constructeurs sont partis de la rupture technologique que constitue le véhicule électrique pour proposer des modèles adaptés à ce changement, avec des formules incluant le remplacement de la batterie ou la recharge gratuite.
De même, l’émergence de l’internet des objets (IoT), et son essor grâce à la généralisation de la 5G et de l’internet par satellite, ouvrent de nouvelles perspectives fertiles au modèle de l’abonnement. Les capteurs IoT insérés dans les appareils vont permettre de capturer un nombre croissant d’informations en temps réel sur l’usage de ceux-ci, ouvrant la porte à leur traitement via l’intelligence artificielle (IA) et à davantage de formules « par as you go » permettant aux utilisateurs d’économiser de l’argent. Mais aussi d’effectuer de la maintenance prédictive et de remplacer tout ou partie de l’objet avant même qu’il ne tombe en panne dans le cadre d’une formule d’abonnement. Ou encore d’analyser plus finement les usages que les utilisateurs font d’un bien ou service donné grâce à l’IA.
Le pouvoir de l’IA
Car celle-ci constitue, avec l’IoT, une autre rupture technologique susceptible de transformer le modèle de l’abonnement. Une entreprise comme Zoom l’a bien compris, qui a disséminé l’IA un peu partout dans sa suite de produits, afin d’offrir une traduction en direct pendant les visioconférences, de retranscrire et résumer automatiquement celles-ci, de servir d’assistant virtuel pour programmer des meetings et envoyer des rappels à chaque participant, ainsi qu’un partage de l’ordre du jour au début de chaque réunion basé sur un résumé des échanges d’emails précédents…
HubSpot, un développeur de logiciels marketing, a également inséré l’IA dans sa plateforme, par exemple pour permettre de créer des publicités personnalisées en fonction du profil de chaque utilisateur.
L’IA ouvre bien d’autres perspectives : en permettant de collecter et traiter un nombre croissant de données sur les utilisateurs, elle va permettre de pousser encore plus loin le curseur de l’hyper-personnalisation, et ainsi d’offrir à chacun une offre sur-mesure parfaitement adaptée à ses besoins et susceptibles d’évoluer sans friction avec ces derniers. C’est l’une des ambitions de Microsoft avec son logiciel Copilot, qui vise à doter chaque travailleur d’un assistant virtuel ultra-personnalisé capable de l’assister dans les différentes tâches qui composent son quotidien. Autant d’évolutions qui offrent des opportunités de croissance au modèle de l’abonnement, parfaitement adapté à la construction d’une relation à long terme avec chaque utilisateur, ce qui constitue l’une des grandes promesses de l’IA.