Le marché connaît certes un ralentissement passager, mais les tendances de long terme favorisent clairement sa croissance au détriment des voitures à essence.

Donald Trump n’a guère d’affection pour les véhicules électriques. Dans l’éventualité de son retour à la Maison-Blanche, l’ancien président américain a affirmé qu’il reviendrait sur les politiques de Joe Biden incitant à l’achat de ces dernières. L’ancien locataire de la Maison-Blanche les accuse, en vrac, d’être trop chères, de disposer d’une autonomie trop faible et d’être difficiles à charger.

À en croire l’actualité récente, il n’est pas le seul à penser ainsi. Aux États-Unis, les livraisons de véhicule électrique stagnent depuis trois ans. Dans l’UE, le tableau n’est guère plus reluisant: en mai, les immatriculations de voitures électriques comptaient pour 12,5% du marché, contre 13,8% un an plus tôt. Tesla, le premier constructeur de véhicules électriques au monde, a également vu ses ventes baisser au premier trimestre, avec 387’000 véhicules vendus, contre 423’000 à la même période l’an passé. L’entreprise d’Elon Musk s’en sort pourtant mieux que ses concurrents. Comme le rapporte The Economist, cinq jeunes pousses du secteur, valorisées collectivement à 400 milliards de dollars en 2021, ne valent plus qu’un total de 58 milliards aujourd’hui. BYD, constructeur chinois en qui la plupart des commentateurs voient l’un des principaux rivaux de Tesla, a, lui aussi, vu ses ventes chuter de 42% au premier trimestre.

Face à ce marché en berne, les grands constructeurs commencent à appuyer sur la pédale de frein. Cadillac, qui avait annoncé qu’il ne vendrait plus que des véhicules électriques en 2030, est récemment revenu sur ses déclarations. Ford a repoussé un investissement de douze milliards de dollars dans les véhicules électriques, et Mercedes-Benz affirme désormais qu’il vendra autant de voitures électriques que de véhicules à essence en 2030, cinq ans plus tard que prévu. Plus tôt dans l’année, Apple a abandonné son projet de véhicule électrique et Aston Martin a repoussé le lancement de son premier modèle à 2026.

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Source : Global EV Outlook 2023

Un retournement conjoncturel et non structurel

On aurait pourtant tort d’enterrer trop vite les voitures électriques. D’abord parce que le ralentissement auquel nous assistons actuellement est de nature cyclique et conjoncturelle, plus que structurelle. Les années 2021 et 2022 ont, en effet, été des années exceptionnelles pour le marché, alors que les consommateurs dépensaient leur argent accumulé durant la pandémie et que les entreprises de location de véhicules regonflaient leurs stocks pour faire face à la reprise de l’économie.

Les ventes mondiales ont ainsi doublé en 2021 par rapport à l’année précédente, et progressé de nouveau de 60% en 2022. 14 millions de véhicules électriques ont ainsi été vendus dans le monde en 2023, contre 6,75 millions seulement en 2020. En 2023, toujours, les voitures électriques ont représenté 18% des véhicules vendus dans le monde : en 2018, cette proportion était de 2%. Les chiffres actuels sont donc à relativiser par rapport aux années fastes que nous venons de vivre. Les véhicules qui ne sont pas achetés aujourd’hui l’ont en réalité déjà été au cours des années précédentes.

Mais le ralentissement conjoncturel marque aussi une étape normale dans l’adoption d’une technologie disruptive, selon Lou Shipley, professeur à la Harvard Business School. «À chaque innovation de rupture, il y a des phases d’ajustement à court terme qui jalonnent une progression sur le long terme. Concernant les véhicules électriques, nous sommes actuellement dans la phase où les primo adoptants ont été séduits, sans que l’on touche encore les masses.»

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Source : Global EV Outlook 2024

Les tendances à long-terme favorisent les véhicules électriques

Reste que l’avenir est bien davantage du côté des véhicules électriques que de leurs homologues à essence. Avec leur empreinte climatique moindre, ils seront de plus en plus attractifs pour les consommateurs et favorisés par les gouvernements à coups d’incitations, comme des crédits d’impôt ou des primes à l’achat. Donald Trump lui-même a récemment retourné sa veste sur le sujet, affirmant vouloir simplement augmenter les droits de douane sur les voitures électriques fabriquées en Chine et au Mexique pour promouvoir la production américaine. Un revirement auquel son rapprochement avec Elon Musk n’est peut-être pas étranger.

À l’avenir, la raréfaction du pétrole va augmenter le coût des véhicules à essence, tandis que celui des véhicules électriques va baisser. La production de batteries en masse diminue leur coût, tandis que l’augmentation des capacités à miner du lithium a également fait chuter le prix de ce matériau essentiel à la production de batteries. Il y a cinq ans, un SUV électrique coûtait deux à trois fois plus cher que son homologue à essence. Aujourd’hui, le consommateur américain peut acquérir une Ford F-150 Lightning pour 40’000 dollars, à peine 4’000 de plus que la version à essence.

La baisse des prix constitue le nerf de la guerre pour doper rapidement les ventes de véhicules électriques, selon Ben Harwood, analyse chez New Street Research, un cabinet d’intelligence de marché spécialisé dans les nouvelles technologies. «Le prix des véhicules électriques est aujourd’hui le principal frein à l’adoption. En Chine, où le taux de pénétration de ces véhicules est plus élevé, ils sont au même prix, voire moins chers que les véhicules à essence.»

De ce point de vue, Tesla devrait bientôt sortir un modèle qui pourrait changer la donne. «Lors de sa dernière conférence téléphonique sur les résultats trimestriels de Tesla, Elon Musk a annoncé pour 2025 un véhicule qui doit servir de pont entre le Modèle 3 et le Modèle 2 (prévu pour 2026/2027). L’idée est de prendre certaines innovations du Modèle 2 qui sont déjà prêtes (dont l’utilisation d’un onduleur hybride silicium/carbure de silicium plutôt qu’un onduleur 100% carbure de silicium, ce qui réduit significativement les coûts) et de les commercialiser sur ce modèle intermédiaire. C’est un excellent choix stratégique dans la mesure où Tesla a actuellement de la capacité disponible dans ses usines pour tirer profit d’innovations existantes. Cela devrait lui permettre de continuer à croître rapidement jusqu’à la sortie du Modèle 2.»

Après le prix, un autre gros frein à l’achat des véhicules électriques est la peur de tomber en panne en l’absence d’une borne où recharger son véhicule (la fameuse «range anxiety»). Sur ce point aussi, les choses sont en nette amélioration. Aux États-Unis, le nombre de stations de recharge disponibles augmente rapidement, dopé par les investissements des constructeurs et les incitations fiscales dans le cadre de l’Inflation Reduction Act. On en compte désormais 200’000, soit deux fois plus qu’en 2020. Dans l’UE, les choses s’accélèrent également: la Commission souhaite que le Vieux Continent compte 3,5 millions de stations de recharge d’ici à 2030.

La dernière raison d’être optimiste pour l’avenir du marché des voitures électriques est que les constructeurs traditionnels sont de plus en plus performants dans la production et la commercialisation de ces véhicules. «General Motors a recruté Jonathan McNeill, un ancien cadre de Tesla, au sein de son comité de direction. Il a fait un excellent travail. Le constructeur n’a pas encore rattrapé Tesla, mais les performances de ses véhicules, en termes d’autonomie et d’efficacité des batteries, se sont grandement améliorées. Mercedes, qui a toujours été bien positionné sur les véhicules haut de gamme, est également bien placé sur la voiture électrique, avec en particulier un logiciel très performant», affirme Lou Shipley. Quant aux constructeurs en retard sur cette technologie, ils pourraient se rattraper en rachetant une jeune pousse prometteuse, comme le californien Lucid.

Si la route semble actuellement quelque peu difficile, le marché a donc bien un boulevard devant lui pour les décennies à venir.