La seconde présidence Trump va sans conteste bénéficier aux énergies fossiles. Mais, contrairement à ce que la rhétorique climatosceptique du nouveau président pourrait suggérer, elle va sans doute aussi servir le renouvelable.
Donald Trump l’a annoncé sans ambages : son mandat sera marqué par un recours abondant aux énergies fossiles. Dans l’une des hyperboles dont il est coutumier, le nouveau président américain a promis d’apporter aux États-Unis l’énergie la moins chère de la planète, et cela passera par une augmentation massive de la production gazière et pétrolière américaine.
«Drill, baby, drill !» (“Fore, bébé, fore !”) a-t-il ainsi lancé sous les acclamations de la foule lors de son discours à la Convention nationale républicaine, avant de promettre une production pétrolière et gazière «à un rythme jamais vu auparavant». L’expérience montre qu’il tiendra vraisemblablement parole. Son premier mandat a en effet été marqué par une accélération tous azimuts des énergies fossiles et un détricotage de plusieurs régulations protégeant l’environnement. Une politique qui a conduit les États-Unis à devenir le premier producteur de pétrole au monde en 2018, sous la présidence de Donald Trump. Ils sont aussi le plus gros extracteur au monde de gaz naturel, devant la Russie.
Son second mandat devrait être marqué par l’abrogation de davantage de lois environnementales ainsi que par des dérégulations visant à faciliter l’octroi de permis pour forer du pétrole et extraire du gaz, en mobilisant par exemple les terres détenues par l’État américain (qui représentent plus d’un quart du territoire et sont surtout concentrées dans l’ouest du pays). C’est d’ailleurs ce que prévoit le Projet 2025, une feuille de route rédigée par un groupe d’intérêt très conservateur, officiellement désavouée par Trump mais dont certains rédacteurs font partie de son entourage. Un moratoire sur les nouveaux projets d’exportation de gaz liquéfié, signé par Joe Biden début 2024, devrait également passer à la corbeille.
En revanche, l’amour de l’ancien président pour la production énergétique ne s’étend pas aux énergies renouvelables. Climatosceptique, Trump a jadis qualifié le changement climatique d’«arnaque chinoise». Le grand plan d’investissement de Joe Biden dans les énergies propres, l’Inflation Reduction Act (IRA), a quant à lui été qualifié de « green new scam » ( «nouvelle arnaque verte»), un jeu de mot en référence à l’expression de «green new deal», souvent brandie par les avocats d’une politique pro-climat.
Quant aux voitures électriques, Trump les a qualifiées de caprice de riche qui ne marche pas bien. L’éolien en mer, de son côté, a été accusé de tuer les baleines.
Sur le papier, les choses semblent donc écrites d’avance : la seconde présidence Trump sera une période faste pour les énergies fossiles et un désastre pour le renouvelable. Néanmoins, la réalité pourrait bien s’avérer plus contrastée.
Les limites à la hausse des énergies fossiles
Trump le répète comme un mantra : son objectif est la «domination énergétique», terme qui semble impliquer à la fois la souveraineté énergétique pour les États-Unis et leur capacité à conserver une position dominante dans la production mondiale d’énergie, afin de générer davantage de recettes grâce à l’exportation. Or, si la production d’énergie fossile a toutes les chances de bien se porter sous un second mandat de Trump, elle va vite se heurter à des limites.
D’une part, la production domestique de pétrole a continué d’augmenter sous Joe Biden, et est actuellement à son plus haut niveau historique. Il en va de même pour le gaz. Trump propose donc d’accroître encore la production dans un contexte où celle-ci tourne déjà à plein régime. En outre, si Washington peut faciliter le travail des géants du gaz et du pétrole en dérégulant et accélérant l’octroi de permis, il ne peut pas les forcer à forer.
«Ce qui pousse les entreprises à forer ou non dépend entièrement du ratio entre les coûts impliqués et le prix du pétrole, deux facteurs sur lesquels le gouvernement n’a aucun impact. La marge de manœuvre de Trump en la matière est donc assez limitée. Sachant que les États-Unis sont, en outre, déjà le premier producteur mondial», analyse Safak Yucel, professeur à la Georgetown University’s McDonough School of Business, spécialisé dans les questions énergétiques.
Si les réformes de Trump s’accompagnent d’une hausse du prix du pétrole, il est fort probable que de nouveaux projets pétroliers émergent aux États-Unis, mais il y a très peu de chances pour que l’on assiste à une véritable révolution en la matière.
Trump pourrait bien être forcé de se tourner vers le renouvelable
Si Trump veut accroître la production domestique pour bénéficier d’une énergie abondante et bon marché, il devra donc vraisemblablement aussi compter sur les énergies vertes, d’autant que la réalité économique parle largement en faveur de celles-ci, selon Safak Yucel.
«Si l’on mesure le coût actualisé de l’énergie, le moyen le moins cher de générer de l’électricité aux États-Unis est le photovoltaïque, suivi de l’éolien. Et cela sans tenir compte d’aucune subvention. C’est ce qui explique qu’au cours des dix dernières années, la part du renouvelable dans le mix énergétique américain soit passée de 10 à 22 %, alors même que la production de pétrole et de gaz a continué d’augmenter. Si je suis un investisseur qui ne réfléchit qu’à son strict intérêt économique, je vais logiquement investir dans le renouvelable.»
Le parti républicain sait à cet égard se montrer pragmatique. Le Texas est à la fois un État solidement ancré à droite, un géant de la production de pétrole et un champion des énergies renouvelables.
De même, la volonté de Trump de conserver aux États-Unis leur statut de poids lourd de l’énergie, capable d’utiliser celle-ci pour assurer son autonomie et peser encore davantage sur la scène internationale, peut difficilement se baser uniquement sur le fossile, à l’heure où son grand rival, la Chine, investit à tour de bras dans l’éolien, le photovoltaïque et le nucléaire.
«L’objectif de Trump est la domination énergétique, et il compte utiliser tous les atouts disponibles pour parvenir à ses fins, ce qui inclut le fossile, mais aussi le renouvelable. Il a commencé à nommer des personnes très compétentes, à des postes clefs, comme Doug Burgum ou encore Chris Wright. Ces individus maîtrisent très bien le fonctionnement du marché de l’énergie et savent que toutes les pièces du puzzle doivent être mobilisées pour que les choses fonctionnent. Cela montre que cette administration saura être pragmatique, et ce pragmatisme inclut nécessairement les énergies propres», analyse Frank Maisano, expert énergie chez Bracewell, un cabinet d’avocats texan spécialisé dans les questions énergétiques.
Des soutiens industriels favorables aux énergies propres
Jusqu’à l’agenda “America first” du président pourrait se combiner harmonieusement avec les énergies propres. «Qu’y a-t-il de plus américain que le vent américain, que le soleil américain?» s’interroge Safak Yucel.
On peut certes souligner les liens de Trump avec l’industrie pétrolière et gazière, et l’intérêt qu’auraient ces dernières à freiner les projets d’énergie renouvelable. Ce serait toutefois ignorer que ces entreprises ont elles-mêmes largement commencé à investir dans la transition énergétique. La Southern Company, géant des énergies fossiles, est récemment devenue l’un des leaders de l’éolien aux États-Unis. En 2023, Shell a investi 5,6 milliards de dollars dans les énergies bas-carbone, ce qui représente près d’un quart de ses investissements sur l’année. Exxon, de son côté, a récemment affirmé que ses activités en lien avec la décarbonation allaient bientôt dépasser le pétrole dans son modèle d’affaires.
Enfin, rappelons que parmi les principaux soutiens de Donald Trump, on compte également Elon Musk, le patron de Tesla, premier vendeur de voitures électriques au monde, qui investit dans de nombreux projets d’électrification de la grille énergétique. Autant d’indices qui pointent vers une seconde présidence Trump qui pourrait bien bénéficier à plein régime aux énergies propres.