La saison des résultats est jusqu'à présent décevante. Pour la première fois depuis dix ans, les résultats des entreprises européennes sont inférieurs aux prévisions du consensus. Les mauvaises surprises n'ont toutefois été que de 2%, il n'y a donc pas lieu de paniquer dans l'immédiat. La question se pose toutefois de savoir dans quelle mesure les marges sont durables à ce stade du cycle. On peut s'attendre à un ralentissement modéré de la croissance économique mondiale ("soft landing") et à une quasi-stagnation en Europe. Dans ces conditions, il est peu probable qu'une croissance des marges soit possible sur un large front.
Par Laurent Denize, Co-CIO
Différences sectorielles attendues dans l’évolution des marges
Il existe des différences notables entre les différents secteurs – un scénario d’atterrissage en douceur n’est pas toujours synonyme de baisse des marges. Par exemple, les prévisions de bénéfices dans le secteur technologique sont clairement différentes de celles du secteur chimique, qui est toujours sous pression après la forte hausse des coûts de l’énergie. Selon lui, une analyse fondamentale approfondie est indispensable pour identifier les entreprises qui profitent davantage du cycle. On peut faire le calcul suivant : Une hausse de 1% des coûts salariaux unitaires entraîne une baisse de 0,5% des marges, tandis qu’une hausse de 1% des prix de vente augmente la marge de 0,3%. L’effet net correspond à une baisse de la marge totale de 0,2%. Ainsi, si les coûts salariaux unitaires et les prix de vente augmentent au même rythme, la marge diminue automatiquement. Ce calcul ne tient pas compte des éventuels gains de productivité, d’un pouvoir de fixation des prix supérieur à la moyenne du marché ou d’une baisse des impôts.
L’intelligence artificielle: phénomène de mode ou moteur de marché?
En termes d’augmentation de la productivité, les systèmes d’intelligence artificielle générative offrent un énorme potentiel. Toutefois, il faudra encore un certain temps avant que tous les secteurs ne profitent de ces possibilités. On peut privilégier les secteurs qui profiteront du développement exponentiel de l’intelligence artificielle. La tendance à long terme n’en est toutefois qu’à ses débuts. Après le secteur des semi-conducteurs, la tendance fait maintenant son entrée dans le secteur des logiciels. Des secteurs très gourmands en données comme la santé ou l’automobile suivront dans les années à venir. La préférence est donc donnée aux sociétés de logiciels plutôt qu’aux semi-conducteurs, aux sociétés permettant l’IA plutôt qu’aux utilisateurs de l’IA, aux États-Unis plutôt qu’à l’Europe et aux pays émergents, et aux grandes capitalisations plutôt qu’aux petites capitalisations. En outre, ODDO BHF AM commence à opérer un léger rééquilibrage en faveur du secteur de la santé (Life Science).
Pouvoir de fixation des prix – choc brutal pour les secteurs à faibles barrières à l’entrée
En ce qui concerne le pouvoir de fixation des prix, après le phénomène intersectoriel de « greedflation » – des entreprises de tous les secteurs ont imposé des hausses de prix supérieures à l’inflation – un choc brutal est en train de se produire dans la réalité pour les secteurs à faibles barrières à l’entrée. Il est possible d’investir dans des entreprises qui peuvent imposer des hausses de prix dans n’importe quel contexte économique. Le secteur du luxe s’y prête bien, mais dans le haut de gamme. Des marques comme Burberry ou Kering n’ont pas les mêmes barrières à l’entrée que Richemont ou LVMH par exemple, sans parler de Ferrari ou Hermès qui bénéficient de faibles volumes et donc de délais d’attente de plusieurs années. Derrière l’achat de produits de superluxe se cache le désir d’appartenir à un groupe exclusif, l’aspect prix passe donc au second plan.
Les gains de productivité et le pouvoir de fixation des prix comme indicateurs de l’évolution des marges
Les gains de productivité et le pouvoir de fixation des prix offrent l’avantage de s’affranchir du cycle économique et, dans une certaine mesure, de se protéger de l’incertitude géopolitique, à condition d’avoir une vision optimiste de la croissance et de la création de valeur future des entreprises. Des multiplicateurs à deux chiffres sont tout à fait justifiés tant que la croissance trimestrielle des bénéfices des entreprises concernées est au moins deux fois supérieure à la croissance nominale mondiale. Il convient d’éviter les segments ou les secteurs qui pourraient être potentiellement affectés par des mesures gouvernementales, comme les télécommunications, les services publics, mais aussi le secteur bancaire.