Depuis quelques mois, le mouvement de désinflation a ralenti aux Etats-Unis et le niveau actuel de l’inflation n’est pas assez bas pour donner à la Fed le feu vert pour assouplir sa politique. De quel côté penche la balance des risques d’inflation? A court terme, nul ne peut jamais exclure un risque haussier causé par un choc exogène. Les marchés de l’énergie jouent souvent ce rôle. A moyen terme, ce qui importe à la Fed, ce sont les anticipations d’inflation et l’évolution des salaires. La grande majorité des indicateurs d’inflation anticipé sont rentrés dans le rang en 2023. Ce n’est pas encore le cas des salaires. A ce stade, cela ne plaide pas pour un assouplissement monétaire fort et rapide.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2024.01.15.US Inflation
US : anticipations d’inflation (mesure synthétique)

La convergence de l’inflation sur sa cible de 2% (ou tout près de sa cible) est la condition sine qua non pour que la Fed assouplisse sa politique monétaire. Dans cette optique, les chiffres des derniers mois ne sont pas entièrement satisfaisants. La désinflation se poursuit certes mais lentement. Le taux d’inflation sous-jacent avait baissé de 1.5 point entre mars et septembre, il n’a reculé que de 0.2 point entre septembre et décembre. A 3.9% sur un an, son niveau reste élevé. A moins d’un chocs ponctuel touchant les marchés de l’énergie (risque géopolitique), il n’y a pas lieu de remettre en question la poursuite de la désinflation. Cela suppose néanmoins que la hausse des prix de services, notamment des services de logements, continue de se modérer, et pour cela, il faut que les anticipations d’inflation restent bien ancrées au voisinage de la cible de la banque centrales et que les salaires ralentissent. Quelle est la situation sur ces deux points?

2024.01.15.US wages
US : salaires et coûts du travail (mesure synthétique)

Concernant les anticipations d’inflation, on peut affirmer qu’elles sont revenues à des niveaux proches de la décennie précédant la pandémie (graphe) . Il subsiste quelques écarts selon la mesure que l’on privilégie et l’horizon, mais ces écarts sont minimes. Dans les services, les entreprises affichent ainsi des attentes de hausse de prix un peu supérieures à la normale mais sans commune mesure avec les tensions de 2022; dans le manufacturier, les attentes sont un peu au-dessous de la normale. Les anticipations des ménages se normalisent aussi. Selon la dernière enquête de la Fed de New York, ils voient l’inflation à 3% dans un an et 2.6% à trois ans (pics respectifs récents: 6.8% et 4.2%)

Concernant les hausses de salaires ou de coût du travail, le freinage est encore loin d’être suffisant (graphe). Les enquêtes auprès des entreprises pointent à une poursuite de la normalisation. Les tensions du marché du travail se sont réduites par un double mouvement de hausse de l’offre (participation) et de réduction de la demande (postes vacants). Mais l’ajustement est lent. On peut douter qu’il soit suffisant d’ici la réunion du FOMC en mars pour donner le feu vert à une baisse des taux directeurs.

Economie

2024.01.15.Variation de l'emploi
US : variation de l’emploi par secteurs en 2023

Le marché du travail US ressemble au fameux « chat de Schrödinger » enfermé dans une boîte et dont on ne sait dire, tant que la boîte reste fermée, s’il est plus probable qu’il soit vivant ou mort. Les deux états sont équiprobables, ils se superposent. On est confronté au même problème concernant les conditions d’emploi. Il ne s’agit pas ici de vie ou de mort mais de robustesse ou de faiblesse. La boîte à statistiques est pourtant bien ouverte, on dispose d’une pléthore de données mais elles ne pointent pas toutes dans le même sens.

Le marché du travail est-il toujours aussi solide comme semblent l’indiquer le rythme des créations d’emplois (>200k en décembre), le très bas niveau du taux de chômage (3.7%) et des gains salariaux qui se raffermissent un peu (à 4.1% sur un an) ? Ou bien, vient-il de basculer dans une crise sévère comme le laisse à penser l’ISM-emploi du secteur des services qui a chuté de 7.4pts à 43.3 en décembre–l’ampleur de la baisse comme le bas niveau de l’indice sont inégalés depuis le printemps 2020 ? Ou bien, troisième possibilité, est-il toujours sur une trajectoire de normalisation graduelle comme le décrit le rapport JOLTS sur les offres d’emploi, les recrutements et les démissions? Le signal venant de l’ISM est trop unique à ce stade pour qu’on y souscrive totalement.

2024.01.15.US payrolls
US : variation de l’emploi entre secteurs cycliques et non-cycliques

Il est indéniable toutefois que les gains en emplois sont moins bien répartis sur l’ensemble des secteurs qu’ils ne l’étaient l’an passé. En 2023, sur les 2.2 millions d’emplois créés, 79% venaient de trois secteurs, loisirs-restauration, santé et gouvernement, une part qui est le double de leur poids dans l’emploi total (graphe). La contribution des autres secteurs, supposés plus cycliques ou plus sensibles aux conditions de taux, n’a cessé de diminuer pour se rapprocher de zéro (graphe).

En décembre, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 0.3% m/m, et par le jeu des effets de base, le taux d’inflation annuel s’est redressé de 3.1% à 3.4% Si on retire les prix énergétique et alimentaires, la hausse est aussi de 0.3% et traduit pour une large part la contribution du logement, de la santé et du transport aérien. Ces composantes ont un poids plus faible dans la mesure alternative de l’inflation venant du déflateur des dépenses de consommation (indice PCE) où, par ailleurs, elles sont estimées sur la base des prix à la production. En novembre, le CPI-core avait ainsi monté de 0.28% tandis que le PCE-core gagnait seulement 0.06%. Ces arguties techniques ne sont pas indifférentes pour la Fed. Ces derniers temps, la désinflation est un peu plus marquée sur l’indice PCE qui est le préféré de la banque centrale que sur le CPI.

2024.01.15.US CPI

En novembre, après six mois de progression modeste (+4.3Md$ par mois), le crédit à la consommation des ménages a fait un bond inattendu (+24Md$), notamment dans la partie revolving. Ce résultat est peut-être à rapprocher de la date avancée de Thanksgiving et d’un sursaut des dépenses à cette occasion. La tendance du crédit à la consommation continue de ralentir (+2.8% sur un an vs 7.8% en novembre 2022). Les taux d’intérêt sur les prêts personnels ont arrêté leur hausse et sont stabilisés à un niveau élevé (22.8% sur les cartes de crédit).

Politique monétaire et budgétaire

Le 10 janvier, le président de la Fed de New York John Williams livrait son analyse de l’économie US et des implications de politique monétaire. Il considère que le niveau actuel des taux d’intérêt est assez restrictif pour guider l’inflation vers sa cible. Selon lui, il sera alors approprié d’assouplir la politique monétaire quand la Fed aura la conviction que cette convergence est durable. Ce propos ne clarifie guère, sans doute à dessin, le calendrier des baisses de taux. Il ne suggère pas qu’il y a un sentiment d’urgence à agir en ce sens. Selon les futures sur fonds fédéraux, la probabilité de baisse des taux à la réunion du 20 mars est de 69%, en hausse sur la semaine écoulée.

Concernant la politique quantitative, M. Williams ne juge que le niveau actuel des réserves bancaires puisse déjà justifier de ralentir le dégonflement du bilan de la Fed. Sa collègue de la Fed de Dallas, Lorie Logan, évoquait récemment un ralentissement possible du QT. Il peut donc y avoir débat au sein de la Fed. Sur la semaine s’arrêtant au 10 janvier, le portefeuille-titres de la Fed représentait 7186Md$, soit un recul de 915Md$ en un an ou 75Md$ par mois en moyenne. Au passif, sur la même période, le montant des réserves bancaires n’a pas baissé et l’ajustement est venu surtout de la facilité de reverse repo (-1500Md$ environ), les fonds monétaires se détournant de cette facilité pour investir en bons du Trésor. Dès la réunion du 31 janvier, la Fed pourrait discuter d’un changement à sa politique de QT, bien avant de débattre d’un changement de la politique de taux.

Le 7 janvier, les chefs de majorité au Congrès, le républicain Mike Johnson pour la Chambre et le démocrate Chuck Schumer pour le Sénat, ont annoncé avoir conclu un accord sur le niveau des dépenses fédérales en 2024. Il leur reste à convaincre leurs troupes de voter cet accord dans un délai très court puisque la prochaine date limite pour éviter un government shutdown est fixée au 19 janvier (une autre date limite est fixée au 2 février). Une douzaine d’élus républicains du Freedom Caucus ont immédiatement jugé cet accord inacceptable, signe que le nouveau Speaker n’a pas une position plus facile que son prédécesseur dont ils avaient obtenu la tête en octobre dernier.

2024 Election Watch

Le 10 janvier, Chris Christie s’est retiré de la campagne à l’investiture républicaine. L’ancien gouverneur du New Jersey s’affichait jusqu’alors comme le seul candidat anti-Trump, s’aliénant de ce fait la base électorale du parti. Son retrait est vu parfois comme donnant un léger avantage à Nikki Haley dans la primaire du New Hampshire qui se tiendra le 23 janvier.

Comme d’habitude, c’est le caucus de l’Iowa le 15 janvier qui ouvre le processus de sélection des candidats. C’est une terre largement acquise à Trump donné à 50% des intentions votes, devant Ron DeSantis et Nikki Haley tous les deux entre 15 et 20%. Le nombre de délégués désignés dans l’Iowa n’est que de 1.6% du total. On y verra bien plus clair une fois passé le Super Tuesday le 5 mars car alors 44% des délégués auront été désignés.

A suivre cette semaine

La semaine verra la parution des données « dures » pour décembre : ventes au détail et production industrielle (17 janvier), permis et mises en chantier de logements (18). Du côté des enquêtes, il y aura certains indices manufacturiers régionaux (NY, Philadelphie), l’indice NAHB du moral des promoteurs (17), le moral des consommateurs selon l’Université du Michigan (19) et surtout le Livre Beige de la Fed préparatoire à la prochaine réunion du FOMC. Christopher Waller du Board de la Fed, proche de la pensée de Jerome Powell, donnera son analyse de l’économie et de la politique monétaire (16 janvier).

 

Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, ODDO BHF Securities