Rupert Kimber est rentré récemment d'un voyage au Japon. Voici ses observations.
Pénuries de main d’œuvre, surenchère salariale et consolidation de l’industrie
La concurrence sur le marché de l’embauche s’observe particulièrement au niveau des jeunes diplômés, pour lesquels les salaires de départ ont augmenté de plus de 15 % pour la deuxième année consécutive.
Les hausses de salaire ont fait la une des journaux ces dernières semaines, non seulement en raison de leur ampleur (jusqu’à 10 % voire plus), mais aussi parce que les entreprises qui les pratiquent font fi de la convention historique qui encourage des hausses similaires au sein d’un même secteur. Certaines grandes entreprises vont même jusqu’à proposer des accords salariaux plus généreux que les demandes des syndicats.
Les petites entreprises n’ont, quant à elles, pas les moyens d’augmenter les salaires comme le font les grandes entreprises. Elles ont du mal à retenir leur personnel et à investir pour automatiser. La situation est telle que certains évoquent dans la presse la possibilité d’imposer aux grands groupes des conditions particulières quand ils commercent avec des petites sociétés : ils devraient payer davantage, de manière à permettre à ces petites entreprises d’augmenter elles aussi les salaires de leur personnel.
En outre, les entreprises et le gouvernement ont l’intention d’augmenter le nombre de travailleurs étrangers.
L’une des principales conclusions est que les grandes entreprises vont continuer à mettre l’accent sur les gains de productivité et pourraient ainsi combler l’écart avec les entreprises américaines et européennes, en investissant massivement dans la technologie.
Les entreprises japonaises ne cessent d’améliorer leur position concurrentielle au niveau mondial, ce qui laisse présager une nouvelle croissance des bénéfices et une amélioration des marges et des flux de trésorerie qui devraient continuer d’alimenter les rendements pour les actionnaires.
Une activité économique domestique forte
L’activité économique domestique est soutenue par des investissements importants liés à la construction de nouvelles usines dans des secteurs tels que les semi-conducteurs. Ces nouvelles usines nécessitent des chaînes d’approvisionnement élargies. Leur construction a donc un effet multiplicateur, qui devrait s’étendre dans de nombreux secteurs sur plusieurs années.
La tendance à se retirer de la Chine se poursuit. Certains chefs d’entreprise que j’ai rencontrés se sont efforcés de souligner qu’ils n’avaient aucune exposition à la Chine, et en semblaient très soulagés.
Le tourisme est très dynamique. Les chiffres de février sont en hausse de 8% par rapport à février 2019, au point que les touristes n’auront pas accès à certains quartiers de Kyoto à partir d’avril. La faiblesse du yen rend le Japon absurdement bon marché et Londres ou New York ridiculement chères en comparaison. La faiblesse du yen décourage aussi les voyages à l’étranger et favorise la consommation locale
Il existe cependant de grandes variations dans la consommation domestique. En me rendant dans certaines villes éloignées pour visiter des entreprises, j’ai pu constater à quel point les niveaux de consommation des petites villes du nord de l’île d’Hokkaido sont éloignés de ceux de Tokyo.
Taux d’intérêt/Yen
La BOJ a pris des mesures mineures pour supprimer le YCC (Yield Curve Control), mais il ne s’agit pas encore de la fin définitive des taux d’intérêt zéro. Le yen a repris sa tendance baissière et elle pourrait encore s’accentuer.
Même à un niveau de 150 JPY/USD, les fabricants japonais seront étonnamment rentables, d’autant plus que les coûts sous-jacents des intrants importés sont en baisse, de sorte qu’un yen légèrement plus faible et la pression des coûts importés peuvent être pris en compte sans peser sur les marges. C’est de mauvais augure pour les concurrents européens.
Les États-Unis restent très protectionnistes et M. Biden semble avoir fait échouer le projet d’acquisition de US Steel par Nippon Steel. Il sera intéressant de voir comment cela affectera les grandes fusions-acquisitions à l’étranger prévues par les entreprises japonaises. Les milliardaires asiatiques sont à Tokyo, à la recherche d’opportunités, en partie attirés par la faiblesse du yen.
Quelques points sur le marché boursier
- L’intérêt des investisseurs étrangers, notamment asiatiques, reste très élevé.
- Les investisseurs domestiques japonais se réengagent rapidement, car ils recherchent des rendements plus élevés que des liquidités sans rendement, pour compenser l’inflation.
- Les entreprises réduisent leurs participations croisées, mais il y a des acheteurs.
- La Bourse de Tokyo continue d’accroître la pression sur la gouvernance d’entreprise et les activistes continuent de traquer les entreprises mal gérées.
- De nouveaux MBO et de nouvelles fusions sont probables.