Ses excès, sa mégalomanie et sa conception très personnelle de la gouvernance ont fait d’Elon Musk un personnage particulièrement clivant. Que l’on apprécie ou pas le personnage, il n’en reste pas moins que le plan de décarbonation de l’économie présenté par Tesla le mois dernier mérite qu’on s’y intéresse.
Par Bruno Allain, Spécialiste produit
Elon Musk, un entrepreneur à la réussite insolente devenu gourou pour les uns, symbole d’un capitalisme débridé pour les autres.
Tous devraient cependant s’accorder sur ses qualités de visionnaire et on ne peut que regretter, qu’à l’heure où nous devons emprunter un chemin qui s’annonce aussi complexe que périlleux pour limiter le réchauffement, on ne profite pas de ses lumières.
Un arbre (les polémiques incessantes) cache désormais la forêt (un plan ambitieux de décarbonation de l’économie)
Le plan présenté par Tesla le mois dernier, modestement baptisé «Master Plan 3», aurait ainsi mérité d’être relayé plus largement. Sous-titré Sustainable Energy for All of Earth, ce document d’une quarantaine de pages[1], est en réalité une feuille de route pour aller vers une économie décarbonée.
De nombreux organismes, AIE[2] en tête, présentent régulièrement ce type de projections et communiquent sur ce à quoi pourrait/devrait ressembler une trajectoire net zéro. Mais si la démarche n’est pas nouvelle, il n’en demeure pas moins que certains éléments du Plan présenté par Tesla méritent d’être mentionnés.
Que trouve-t-on dans le Master Plan 3?
L’étude propose une «voie» vers une économie décarbonée («a path to reach a sustainable economy») tout en en chiffrant le coût et en en estimant la faisabilité.
Le plan pour éliminer les énergies fossiles
Tesla/Musk proposent six étapes pour la plupart assez classiques (comme le passage à une génération d’électricité 100% renouvelable ou la migration vers les pompes à chaleur ou encore l’électrification des transports). Plus innovant, le sixième point étudie l’aspect industriel de la transition. Autrement dit: comment bâtir les capacités de production nécessaires pour la transformation de l’économie?
Ce dernier point est devenu une pierre d’achoppement majeure dans le débat sur le climat. En effet, de futures pénuries de minerais, le manque d’usines ou de travailleurs qualifiés, sont régulièrement évoqués pour remettre en cause la faisabilité de la transition… ou justifier un certain immobilisme.
Tesla apporte une réponse circonstanciée sur ces sujets et juge que, sur la problématique industrielle, la transition sera certes coûteuse (voir plus loin) mais qu’elle est parfaitement réalisable. Difficile de balayer d’un revers de main l’avis de Tesla sur ce sujet si l’on songe que le succès de la société est notamment lié à son excellence opérationnelle au niveau de la production.
Les résultats du modèle
Le Plan insiste sur l’inefficience de notre modèle énergétique reposant sur les énergies fossiles. Seule 36% de l’énergie primaire est aujourd’hui transformée en chaleur ou énergie «utile» pour l’économie. Par exemple les véhicules électriques (VE) sont 4 fois plus efficaces que les véhicules thermiques et les pompes à chaleur sont 3 fois plus efficaces que les chaudières au gaz. C’est pourquoi dans une économie décarbonée nous consommerons beaucoup moins d’énergie.
D’après le Plan, nous pourrons ainsi remplacer 125PWh[3] par an provenant des énergies fossiles par «seulement» 70PWh par an fournis par des énergies renouvelables (soit une baisse de -44% grâce à l’électrification) dont 4PWh pour la production industrielle des renouvelables.
Pour produire une telle quantité d’énergie, et donc d’électricité, il faudrait des capacités totales de 12,1TW d’éolien et de 18,3TW de solaire, soit un total de 30,3TW (dont 4,3TW pour la seule production d’hydrogène vert, soit 14% de la capacité de production mondiale).
Le Plan estime également les besoins totaux en batteries à 240TWh. De manière contre-intuitive, le basculement vers les VE représente moins de la moitié du total nécessaire (112TWh) ce qui confirme les besoins colossaux de stockage pour d’autres secteurs que le transport.
Investissements nécessaires
Le Plan estime les investissements initiaux pour bâtir les infrastructures industrielles nous permettant d’arriver à une économie décarbonée à USD 5’200Md dont USD 890md pour les usines de VE, USD 1’090md pour les usines de batteries ou encore USD 577md pour les électrolyseurs.
En incluant les investissements de maintenance, la «facture» monterait au total à USD 10’000md sur 20 ans. Mais l’étude précise que ces montants sont très inférieurs aux investissements dont auraient besoin les énergies fossiles sur la même période: USD 14’000md, soit une économie potentielle de USD 4’000md.
Activités minières et recyclage
Le Plan met en lumière plusieurs tendances que les experts du secteur soulignent régulièrement :
- Des besoins d’investissements colossaux chiffrés à USD 1’160md
- 57% de ces investissements seraient consacrés à la partie raffinage (contre 43% pour les activités minières elles-mêmes) souvent identifiée comme possible goulet d’étranglement
- Par minerai les investissements les plus importants seront pour le lithium (USD 374md) et le graphite (USD 282md). La production de cuivre, moins souvent évoqué comme un minerai de la transition, aurait besoin de USD 215md
- Les investissements à faire dans le recyclage de minerais sont également très conséquents, estimés à USD 215md, mais décolleront à partir de la prochaine décennie
Le rapport arrive à la conclusion que, sous réserve de faire les investissements susmentionnés, aucun minerai indispensable à la transition ne présente de risque de pénurie durable.
Faut-il encore écouter Elon Musk ?
Nous le croyons. Les cinéphiles français connaissent l’adage suivant: «Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les types de 60 kilos les écoutent.[4]»
Pour paraphraser, nous aurions donc tendance à dire que quand celui qui avait anticipé l’électrification des transports et de l’économie une décennie avant tout le monde parle de la façon dont il voit la transition énergétique, il serait dommage de ne pas l’écouter.
Voici la conclusion du Master Plan 3: «La modélisation révèle qu’un futur électrique et durable est techniquement envisageable et qu’il nécessite moins d’investissements et d’extraction de matières premières que la poursuite de notre modèle économique insoutenable.»
[1] Tesla-Master-Plan-Part-3.pdf
[2] AIE : Agence Internationale de l’Energie
[3] PWh = PetaWatt heure (1 PWh = 1000 TeraWatt heure –RTE estimait la consommation d’énergie française en 2021 à 1600TWh ou 1.6PWh)
[4] Phrase de Michel Audiard tirée du film 100.000 dollars au soleil