Un grand « ouf » de soulagement: telle a sans doute été la première réaction qui a parcouru les conseils d’administration de plusieurs grandes entreprises de la tech américaine après le dernier rendu de la Cour suprême des États-Unis.

La plus haute autorité juridique du pays a en effet décidé de ne pas remettre en cause l’Article 230, qui procure un bouclier juridique aux plateformes en ligne comme YouTube, Twitter, Facebook, Instagram et Snapchat.

Issu d’une loi mise en place en 1996, l’article protège ces plateformes de deux manières. D’une part, si l’un de leurs utilisateurs publie un contenu de nature illicite, c’est lui qui peut être attaqué en justice, et non la plateforme. D’autre part, si ses modérateurs suppriment un contenu posté par un internaute, parce qu’ils le considèrent comme offensant, immoral ou allant à l’encontre des règles d’utilisation, la plateforme ne peut pas non plus être attaquée en justice pour atteinte à la liberté d’expression, défendue par le premier amendement de la Constitution américaine.

Fait rare dans un paysage politique américain en proie à d’importantes divisions, l’Article 230 fait depuis quelques années l’unanimité contre lui, chez les républicains comme chez les démocrates. Mais pour des raisons opposées. Les premiers espèrent que, privés de leur bouclier juridique, les réseaux sociaux seront plus enclins à faire respecter la liberté d’expression, sous peine de voir les procès pour censure se multiplier à leur encontre. Les républicains accusent en effet depuis plusieurs années les plateformes, dont les cadres et les employés votent très majoritairement à gauche, de faire taire les voix conservatrices.

Les démocrates pensent de leur côté que la mesure aura l’effet inverse : juridiquement responsables des contenus illégaux circulant sur leurs plateformes, les réseaux sociaux pourraient selon eux avoir la main plus lourde en matière de modération, et donc censurer davantage de contenus violents, haineux, ou pratiquant la désinformation. Les élus démocrates reprochent en effet de longue date aux réseaux sociaux d’attiser les dissensions et de favoriser la viralité des infox.

On comprend, dans ce contexte, que le jugement de la Cour suprême était attendu avec anxiété par les dirigeants des géants technologiques que sont Alphabet, Facebook, Twitter et Snapchat. Celle-ci avait été saisie par les familles de deux victimes d’attentats terroristes, à Paris en 2015 et à Istanbul en 2017, qui reprochaient respectivement à YouTube et Twitter d’avoir hébergé et favorisé, via leurs algorithmes de recommandation, la viralité de contenus faisant l’apologie du terrorisme.

Un jugement favorable aurait donc été un premier clou planté dans le cercueil de l’Article 230, la jurisprudence jouant un rôle clef dans le système de common law qui prévaut aux États-Unis. Les plateformes auraient alors été contraintes de revoir leur politique de modération, mais aussi de réviser de fond en comble le fonctionnement des algorithmes d’intelligence artificielle sur lesquels s’appuie la recommandation, algorithmes qui ont contribué à la fortune de ces sociétés en accroissant l’engagement des utilisateurs et encourageant les marques à réaliser d’importantes dépenses de publicité sur ces plateformes. Mais les juges de la Cour suprême ont rejeté à l’unanimité les requêtes des familles.

2023.06.01.Modération
Part des adultes aux États-Unis qui pensent que les plateformes de médias sociaux devraient avoir des politiques de modération de contenu plus strictes en mai 2022, par groupe d’âge
Source : https://www.statista.com/statistics/1361043/us-adults-opinion-social-media-content-moderation-by-age/

Si ce n’est pas le mot de la fin concernant l’Article 230, ses opposants n’ayant nullement l’intention de rendre les armes, du moins ces plateformes peuvent-elles souffler: leur modèle de fonctionnement, et donc leurs profits, demeurent pour l’heure en sécurité.

2023.06.01.Marché de la modération
Marché mondial de la modération
Source : https://www.alliedmarketresearch.com/content-moderation-services-market-A31650