Les avancées de la recherche scientifique ouvrent la possibilité dʼagir sur les cellules pour retarder le vieillissement et nous permettre de vivre plus longtemps en bonne santé. Un nombre croissant de jeunes pousses sʼengouffrent désormais dans la brèche.

Notre santé est-elle vouée à décliner inexorablement jusquʼà ce que survienne notre dernière heure? Sauf si lʼon sʼappelle Brad Pitt ou Dorian Gray, le vieillissement semble bel et bien une fatalité. Mais un nombre croissant de jeunes pousses, sʼappuyant sur les récentes avancées de la recherche génétique, sont persuadées du contraire. Loin des délires transhumanistes qui voudraient nous rendre immortels, ces entreprises, qui se basent sur des travaux sérieux, sont convaincues du fait que la mort est inéluctable.

En revanche, elles pensent que le fait de vieillir dans de mauvaises conditions ne lʼest pas. Certains restent ainsi forts et vigoureux jusquʼà un âge très avancé, profitant jusquʼau bout de leurs vieux jours, tandis que dʼautres accumulent les problèmes de santé et requièrent une assistance au quotidien. Le pari de ces nouveaux biohackers? Démocratiser la vigueur dans le troisième âge, en permettant au plus grand nombre dʼaccroître son espérance de vie en bonne santé et ainsi de profiter jusquʼau bout des plaisirs de lʼexistence.

2023.04.25.Longevity startups

Le rôle de la sénescence des cellules dans le vieillissement

«Nous avons de plus en plus de raisons de penser que le vieillissement est un processus qui résulte dʼune programmation et sʼopère via des mutations. On peut donc raisonnablement supposer que lʼon soit à terme capable de lʼatténuer», affirme ainsi Lorna Harries, professeure de génétique moléculaire à lʼuniversité dʼExeter.

«Je pense notamment que nous sommes aujourdʼhui en bonne position pour étendre la proportion de notre existence durant laquelle nous sommes en bonne santé. Nous avons récemment acquis une meilleure compréhension de la façon dont le vieillissement se déroule à lʼéchelle moléculaire et cellulaire, avec par exemple le rôle joué par la sénescence, ce qui ouvre des opportunités.»

La sénescence est lʼétat dans lequel entrent nos cellules lorsquʼelles vieillissent, cessent de se diviser et développent ainsi des fonctions qui ne sont pas bénéfiques à la santé. Elles causent alors des inflammations, elles-mêmes associées à la plupart des pathologies qui surviennent avec lʼâge, comme la baisse de la vue, lʼostéoarthrite, les fibroses dʼorganes, ainsi que les maladies cardiovasculaires et neurodégénératives. Des expériences menées sur des souris ont montré que celles qui recevaient des manipulations visant à éliminer leurs cellules sénescentes subissaient moins de conséquences négatives associées au vieillissement et vivaient plus longtemps.

De la sénolytique à la reprogrammation cellulaire

Cʼest pourquoi plusieurs jeunes pousses sʼefforcent de cibler ces cellules sénescentes pour retarder le vieillissement. Certaines cherchent purement et simplement à les supprimer: cʼest ce que lʼon nomme la sénolytique. Cʼest le cas dʼUnity Biotech, jeune pousse américaine issue des travaux de la Mayo Clinic de Rochester, qui compte actuellement deux médicaments en phase de développement. Son cofondateur, Ned David, a notamment affirmé que sa technologie pourrait permettre dʼéradiquer un tiers des pathologies actuellement présentes dans les pays développés.

Cependant, les cellules sénescentes peuvent aussi jouer un rôle positif: lorsquʼil affecte des cellules cancéreuses, ce processus de sénescence évite par exemple de développer des tumeurs. Cʼest pourquoi dʼautres entreprises cherchent à atténuer les effets pervers de ces cellules plutôt quʼà les supprimer. Cʼest notamment le cas de Senisca, start-up britannique dont Lorna Harries est la cofondatrice.

Une troisième option consiste à manipuler les cellules pour les reprogrammer et leur faire ainsi retrouver leur prime jeunesse. Cette technique suscite actuellement de nombreux espoirs. Elle est toutefois encore à un stade plus expérimental, le fait de cibler des gènes bien précis à un moment particulier pour leur faire accomplir ce que lʼon veut nʼétant pas une mince affaire. Plusieurs entreprises se sont toutefois lancées sur ce créneau, dont Shift Bioscience, Celularity ou encore Altos Labs, société californienne qui a levé trois milliards de dollars début 2022, dont elle sʼest servie pour recruter des scientifiques de premier ordre, parmi lesquels Juan Carlos Izpisúa Belmonte, lʼun des pionniers de la reprogrammation cellulaire.

«Notre objectif est de restaurer la santé et la résilience des cellules grâce à la programmation cellulaire, afin de guérir les maladies, blessures et handicaps qui apparaissent au cours de lʼexistence. Pour cela, nous rassemblons le meilleur du monde universitaire et du privé», confie un porte-parole dʼAltos.

Compagnies bio

Les promesses de Crispr

Parmi les pionniers de la reprogrammation cellulaire, citons encore Retro Biosciences, qui affirme vouloir ajouter dix années à notre espérance de vie et dans laquelle Sam Altman, directeur général dʼOpenAI, a récemment investi 180 millions de dollars. Son objectif est notamment de régénérer les lymphocytes T, qui jouent un rôle clef dans le système immunitaire.

Les progrès effectués autour de la manipulation du génome, notamment à travers la technologie Crispr-Cas9, ouvrent également la porte à des expérimentations dans ce domaine. La société suisse-américaine Crispr Therapeutics, cofondée en 2013 par la généticienne française Emmanuelle Charpentier, mise ainsi sur lʼédition génomique pour cibler les gènes responsables du vieillissement des cellules. Elle compte le géant allemand Bayer parmi ses investisseurs.

Quand les milliardaires mettent la main au portefeuille

Sam Altman nʼest pas le seul investisseur à miser sur cette nouvelle tendance. Jeff Bezos, le patron dʼAmazon, aurait également investi dans Altos Labs et Unity Biotech, société dans laquelle Peter Thiel a lui aussi placé des billes. Ce dernier, convaincu que les avancées de la recherche médicale permettront un jour de vaincre la mort, a fait de lʼinvestissement dans les jeunes pousses de ce domaine lʼune de ses spécialités.

Il possède un fonds dʼinvestissement, le Breakout Labs, dédié aux projets les plus fous et disruptifs, et constitue lʼun des principaux argentiers de la Fondation Methuselah, une organisation à but non lucratif qui explore différentes techniques visant à lutter contre le vieillissement.

Fund raising

Lʼan passé, le gouvernement saoudien sʼest de son côté engagé à investir pas moins dʼun milliard de dollars par an dans la recherche visant à ralentir le vieillissement.

Mais le pionnier du domaine est sans doute Google qui, à travers son laboratoire Calico, sʼefforce depuis 2013 de financer la recherche de pointe sur les biotechnologies et les sciences du vivant, afin notamment dʼaccroître lʼespérance de vie en bonne santé. Très secret, celui-ci nʼa toutefois pour lʼheure lancé aucun produit sur le marché.

La liste est bien sûr non-exhaustive, tant ce secteur croît aujourdʼhui rapidement: le cabinet dʼétudes de marché IMARC estime ainsi que lʼindustrie vaudra 93.1 milliards de dollars dʼici 2027, et connaîtra un taux de croissance de près de 7% durant cette période.

« Le secteur évolue à vive allure et les dix prochaines années verront dʼimportants progrès se réaliser. À mon avis, de nouveaux traitements capables dʼattaquer les causes du vieillissement plutôt que ses conséquences seront rendus disponibles en clinique au cours de la décennie », prédit Lorna Harries.