La société estonienne Single.Earth a un projet fou: générer des revenus à partir des forêts sans en abattre les arbres. Le marché de compensation des émissions de carbone est en forte croissance et leur plateforme numérique basée sur la blockchain pourrait être le point de départ d’une petite révolution. Aperçu dans cet article.

Par Charles-Henry Monchau, CFA, CMT, CAIA – CIO de FlowBank

 

Le projet Single.Earth

Créée en 2019 avec un siège social à Tallinn, Single.Earth a un objectif simple mais on ne peut plus ambitieux: sauver la planète.

Leurs outils: des terrains naturels à protéger, la blockchain, la tokenisation et une bourse d’échange de jetons numériques.

Le contexte: un marché mondial de la compensation des émissions de carbone en pleine croissance qui devrait atteindre 500 milliards d’euros d’ici 2050, contre 600 millions en 2019, selon les prévisions de Berenberg.

Le résultat: la création des premiers instruments financiers adossés à des actifs naturels.

En termes plus simples, les propriétaires fonciers de forêts et zones irriguées émettent des jetons numériques adossés à leur propriété. A travers la plateforme digitale développée par Single.Earth, des investisseurs peuvent acheter ces jetons numériques qui permettent d’inciter les propriétaires fonciers à préserver leurs forêts ou zones irriguées. L’avantage pour les investisseurs? Obtenir une compensation de leur empreinte carbone.

Au final, la plate-forme digitale développée par Single.Earth permet à tout le monde d’y trouver son compte: les propriétaires, les investisseurs mais aussi la biodiversité. La plateforme Single.Earth transforme les avantages environnementaux que procurent les arbres, tels que l’absorption du CO2 et l’augmentation de la biodiversité, en un actif négociable. Cela incite les propriétaires fonciers à protéger l’environnement, tout en étant rémunérés pour le faire. Le tout, sans abîmer un seul arbre, ou mettre en danger la vie des espèces animales et végétales.

La tokenisation de l’espace naturel et des émissions carbones

La blockchain Ethereum permet à des investisseurs d’acheter et détenir une partie des droits de propriété via des « token » sans nécessairement devoir investir des sommes importantes. En quelque sorte, cette technologie permet de titriser de nombreux actifs illiquides – dont l’espace naturel.

En plus de la multipropriété, un des grands avantages de la technologie Blockchain est l’absence d’intermédiaire et par conséquent la baisse des barrières à l’entrée. Un concept très intéressant pour de nombreux marchés dont celui des émissions carbones.

Un marché qui consiste à attribuer des « quotas » d’émissions aux entreprises dans le but de réduire leur impact sur l’environnement. Les entreprises qui utilisent moins de quotas peuvent les revendre, et vice versa.

Une des limitations actuelles de ce marché est qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de plateforme mondiale pour le marché carbone. En effet, les marchés existants présentent des stades d’évolution et des réglementations très différents. Il existe d’autres problèmes tels que le manque de transparence, des fraudes, de double comptage, etc.

La blockchain et la tokenisation d’actifs naturels pourraient permettre de résoudre une bonne partie de ces problèmes et aboutir à un marché mondial standardisé, simplifiant les transactions et permettant aux ménages et entreprises de s’échanger des allocations carbones afin de respecter leurs objectifs d’émission respectifs.

La plateforme digitale de Single.Earth

Le processus de tokenisation, de certification des terres et d’entretien est assez simple et se déroule de la manière suivante :

  1. Les propriétaires fonciers entrent leurs titres de propriété sur la plateforme de Single.Earth;
  2. Single.Earth délègue une équipe de biologistes pour évaluer la valeur écologique – et non économique – des parcelles;
  3. L’entreprise crée des tokens (jetons numériques) adossés à la propriété;
  4. Les investisseurs – entreprises ou particuliers – peuvent acheter ces jetons et obtenir des crédits de compensation carbone;
  5. Les investisseurs sont désormais légalement propriétaires d’une fraction de la parcelle qu’ils ont achetée;
  6. Les propriétaires fonciers sont en mesure d’extraire de la valeur de leurs parcelles en les laissant intactes (pas de coupe d’arbres ou d’exploitation des ressources naturelles);
  7. Les jetons génèrent un profit grâce à la compensation carbone mais peuvent également être échangés comme n’importe quel autre actif, avec une valeur fluctuante;
  8. Pour s’assurer que la valeur de l’investissement est maintenue et que l’actif naturel est resté intact, Single.Earth surveille les terres à l’aide de satellites, de capteurs de qualité de l’air et ainsi que d’autres mesures.

Des tokens adossés à des actifs réels

Le projet Single.Earth ambitionne de « tokeniser » (titriser) des terres, des forêts, des marécages ou toute autre zone avec une forte valeur écologique.

Les « tokens » (jetons numériques) de Single.Earth sont basés sur des actifs réels tout comme les métaux précieux ou des biens immobiliers.

Ces tokens ont donc une valeur beaucoup plus tangible que celle d’autres tokens comme les cryptomonnaies. Si l’on prend l’exemple du Bitcoin, sa valeur est certes dérivée de la puissance d’un calcul mais ce concept reste relativement abstrait pour de nombreux investisseurs.

Dans le cas des tokens traités sur la plateforme digitale de Single.Earth, il s’agit de rendre négociable l’espace naturel. Dans sa forme brute, il n’est ni « liquide », ni transférable, ni divisible. Mais la blockchain et la tokenisation permettent d’amener la nature dans notre système capitaliste, non pas pour l’exploiter, mais dans le but de la protéger en la rendant négociable.

Des premiers pas en Estonie. Avant le reste du monde?

Single.Earth est basé à Tallinn, en Estonie, et non sans raison. En effet, l’Estonie est un pays riche en forêts, avec plus de la moitié de son territoire couvert d’arbres. Malheureusement, l’Europe a récemment connu une forte augmentation de l’abattage d’arbres, une question qui préoccupe profondément les fondateurs de Single.Earth.

Si le projet rencontre le succès escompté en Estonie, Single.Earth a l’intention de s’étendre à toute l’Europe et aux autres continents. Selon le Forum économique mondial, le marché des crédits de carbone (c’est-à-dire de compensation de l’empreinte carbone) pourrait atteindre 500 milliards de dollars d’ici 2050, contre seulement 600 millions en 2019. « La compensation carbone et la compensation de la biodiversité sont des marchés qui fonctionnent déjà aujourd’hui, mais ils ne sont pas accessibles à la plupart des propriétaires forestiers et fonciers », a déclaré Mme Valdsalu, directeur général de Single.Earth. Elle a également ajouté que le rendement des projets de compensation pourrait générer un rendement annuel de 5 % pour les investisseurs.

Jusqu’à présent, la société a levé 3,9 millions de dollars, auprès de la start-up Pipedrive. Les trois fondateurs de Pipedrive cherchaient à investir de l’argent non seulement dans les banques et les marchés boursiers, mais aussi dans la biodiversité et les ressources naturelles. Single.Earth espère bientôt atteindre un financement de 10 millions de dollars.

Tokeniser la planète

La jeune entreprise ne manque pas d’ambition, bien au contraire: « Notre objectif final est d’ouvrir la voie à des opérations bancaires adossées à l’espace naturel, car c’est ainsi que nous pourrons intégrer la préservation de la biodiversité dans notre vie quotidienne, de sorte que ce soit désormais l’économie qui vienne en soutien de la planète, et non le contraire », déclare M. Valdsalu. « Notre plateforme devrait faciliter le bon fonctionnement de ce système ».

La question qui se pose naturellement est la suivante: devons-nous procéder à la tokenisation de l’ensemble de la planète?

« Oui » réponds M.Valdsalu, sans l’ombre d’une hésitation. « D’une certaine manière, il est en effet triste que nous ne puissions pas valoriser la nature si nous n’en extrayons pas ses ressources, alors qu’en même temps, il est assez intéressant que nous puissions valoriser la nature dans notre économie capitaliste en lui attribuant nous-mêmes une valeur ».

En ce qui nous concerne, nous n’avons aucune visibilité sur la viabilité de cette entreprise et de leur vision. Quoi qu’il en soit, nous saluons cette initiative, qui en cas de succès contribuera à sauver la biodiversité et l’avenir de notre planète.

 

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