Pour Amazon, SpaceX et OneWeb, déployer des flottes de satellites pléthoriques en orbite basse constitue le meilleur moyen de connecter les 3 milliards d’humains privés d’internet… et l’occasion de débloquer de juteux modèles d’affaires.
La course à l’espace est de retour. Cette fois-ci, elle n’oppose plus les États-Unis à l’URSS, mais deux sociétés américaines, SpaceX et Amazon, qui veulent chacune déployer une armée de satellites en orbite terrestre basse pour apporter une connexion internet depuis l’espace.
Amazon vient de recevoir le tampon de la Commission fédérale des communications (FCC) américaine pour son projet Kuiper, et prévoit ainsi de faire décoller celui-ci en lançant ses premiers satellites en mai. Elle accuse un certain retard face à sa concurrente, puisque la constellation Starlink de SpaceX compte déjà quelque 3 800 satellites en orbite, qui fournissent une connexion internet à un million de clients.
Un marché de plus en plus dynamique
Si Amazon et SpaceX sont les deux mastodontes de cette course à l’espace 2.0, d’autres entreprises entendent également obtenir leur part du gâteau. Citons par exemple OneWeb, société britannique qui compte la multinationale indienne Bharti, l’opérateur de satellites français Eutelsat, le groupe japonais Softbank et le gouvernement britannique parmi ses propriétaires, et peut aujourd’hui se targuer d’une constellation de 500 satellites. Contrairement à celui de Starlink, son service internet n’est cependant pas encore disponible.
Mais aussi l’américain Astra Space, qui à l’origine produit des lanceurs, mais veut se diversifier dans l’internet par satellite. La Space Development Agency, qui fait partie du département de la Défense américain, a par ailleurs attribué des contrats d’une valeur cumulée de plus d’un milliard de dollars à Lockheed Martin, Northrop Grumman et York Space pour construire un réseau global de communications en orbite basse composé de 126 satellites.
Comment l’internet par satellite a quitté l’atmosphère
L’internet par satellite est en réalité presque aussi vieux que l’internet lui-même : dès 1993, la société Hughes Aircraft reçoit ainsi l’autorisation de la FCC pour sa constellation Spaceway. Des sociétés comme l’américain Viasat proposent depuis déjà des années un service d’internet par satellite grâce à une poignée de gros appareils déployés en orbite haute. Mais l’internet par satellite a longtemps été à la fois lent et coûteux, ce qui a freiné son développement.
Au cours des dernières années, l’évolution technologique a toutefois contribué à changer la donne et à rendre cette alternative plus intéressante, selon Farooq Sabri, directeur associé et spécialiste du spatial au sein du cabinet de consulting London Economics. «Les frais nécessaires pour mettre une constellation en orbite ont chuté, grâce à la baisse des coûts de lancement, conséquence de l’arrivée de SpaceX sur le marché, et à une standardisation dans la production des satellites qui permet de réduire leur prix de fabrication. Cette baisse des coûts de mise en orbite permet, en outre, de déployer de larges quantités de petits satellites. Enfin, l’industrie a bénéficié de l’arrivée de milliardaires comme Elon Musk et Jeff Bezos, capables de mobiliser leur fortune et de convaincre d’autres investisseurs de lever des fonds importants.»
Détail pas anodin, là où les satellites traditionnels ont une durée de vie qui varie entre 15 et 20 ans, celle de ces petits satellites va de 7 à 10 ans. En revanche, parce qu’elles sont déployées en orbite basse, autrement dit plus près de la Terre, ces nouvelles constellations permettent de réduire drastiquement le taux de latence (de 25 à 40 ms, contre 600 à 700 ms pour l’internet par satellite traditionnel), et donc de fournir une meilleure expérience utilisateur.
Connecter l’humanité
L’une des grandes promesses de l’internet par satellite est d’apporter une connexion internet aux êtres humains qui en sont aujourd’hui privés, ce qui représente tout de même près de 3 milliards de personnes dans le monde, en couvrant les zones qu’il est difficile ou peu rentable d’atteindre par des infrastructures terrestres: cercle polaire arctique, zones désertiques ou très faiblement peuplées, populations vivant dans des pays ou régions mal dotés en infrastructure… Même dans un pays aussi riche que les États-Unis, environ 42 millions de personnes sont dépourvues d’une connexion haut débit, dont une partie n’a pas accès à l’internet du tout.
L’internet par satellite promet de changer cela. «Starlink cible les 5% de la population mondiale les plus difficiles à atteindre», affirmait ainsi Elon Musk lors du Mobile World Congress 2021.
Au-delà de ce nouveau marché d’utilisateurs, le déploiement de l’internet par satellite pourrait permettre à Elon Musk de s’assurer que ses Tesla soient connectées en permanence, offrant ainsi une valeur ajoutée supplémentaire à ses clients par rapport à la concurrence. Du côté d’Amazon, on pourrait imaginer que la connexion fournie par Kuiper soit incluse dans l’abonnement Prime, augmentant l’attractivité de celui-ci, sans compter le fait que davantage d’internautes signifie également plus de clients pour le commerce en ligne.
En attendant, la présidente de SpaceX, Gwynne Shotwell, a récemment affirmé qu’elle s’attendait à ce que Starlink génère pour la première fois de l’argent cette année, preuve, si cela se confirme, que le marché de l’internet par satellite peut s’avérer rentable rien qu’à travers les abonnements.
Star Wars
La guerre en Ukraine a également prouvé que le domaine militaire constitue un autre marché fertile pour l’internet par satellite. La constellation Starlink a en effet permis aux Ukrainiens de conserver une connexion après que la Russie a ciblé les infrastructures terrestres du pays, dans ce qui aurait autrement plongé l’Ukraine dans un black-out. La Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) américaine vise ainsi à créer un internet à usage strictement militaire via des communications laser entre satellites.
«Starlink a prouvé aux militaires qu’ils pouvaient faire confiance aux constellations de satellites en orbite basse, ouvrant ainsi un nouveau marché à celles-ci, explique Luigi Scatteia, expert espace chez PWC. Cela va aussi bénéficier à ses concurrents comme OneWeb, Telesat, etc., mais Starlink aura une longueur d’avance. D’autant qu’il a l’avantage de contrôler toute sa chaîne de valeur, y compris le lancement, ce qui lui donne un avantage en termes de cadences et coûts de lancement. Par exemple, dû à des problèmes liés à l’usage des fusées russes Soyouz, OneWeb a subi un retard de trois trimestres sur son agenda, ce qui lui a coûté environ 100 millions de dollars »
Bien conscient de cette opportunité, SpaceX a lancé l’an passé Starshield, une division qui vise à fournir des services adaptés aux gouvernements et à l’armée. La société d’Elon Musk compte notamment l’US air force parmi ses clients. De la course à l’espace à la guerre des étoiles, il n’y a qu’un pas.
https://www.statista.com/chart/26952/spacex-starlink-satellites-in-orbit
https://www.statista.com/statistics/262635/revenue-of-the-global-satellite-industry/