Une centaine de fonds distribués en Europe sont exposés de près ou de loin à la guerre en Ukraine en raison des sanctions occidentales et de la fermeture de la Bourse russe. Il s’agit souvent de fonds Actions pour un encours global de près de 10 milliards d’euros au 21 mars 2022 selon Quantalys. Mais d’autres catégories sont concernées: fonds obligataires, fonds diversifiés, SCPI… Valorisation, liquidités, side-pocket… : comment les gérants peuvent-ils gérer cette situation vis-à-vis des investisseurs?
Par Jean-François Bay , Directeur Général, Développement international
Une trentaine de fonds «Actions Russie» pour 3 milliards d’encours sont gelés
Les plus directement touchés sont les fonds de la catégorie Actions Russi » chez Quantalys. On en dénombre une trentaine pour un encours de 3 milliards d’euros environ. Ces produits sont pour l’instant «gelés» en raison de la fermeture de la Bourse de Moscou, c’est-à-dire que les souscriptions et les rachats sont impossibles pour les investisseurs. L’objectif: éviter des retraits de capitaux qu’ils ne pourraient honorer faute de liquidité sur le marché.
Les plus gros fonds comme BNP Paribas Russia Equity avec 350 millions d’encours sous gestion fin février ou Pictet Russian Equities avec 568 millions d’euros d’encours sous gestion ont écrit aux actionnaires dès fin février ou début mars.
«Au vu de la situation actuelle entre l’Ukraine et la Russie, qui évolue constamment, les circonstances politiques et les contraintes de liquidité font qu’il est impossible pour les courtiers de négocier des titres à la Bourse russe… C’est pourquoi le conseil d’administration de Pictet (le «Fonds») a décidé de suspendre le calcul de la valeur nette d’inventaire des actions du Compartiment à partir du 28 février 2022 et jusqu’à décision contraire du conseil d’administration (la «Période de suspension»), et de suspendre les souscriptions, rachats et conversions d’actions au cours de la Période de suspension.»
Une trentaine de fonds «Actions Europe Emergente incl. Russie» pour 3 milliards d’encours sont en partie gelés
Quantalys a dénombré également une trentaine de fonds Actions de la catégorie «Actions Europe Emergente incl. Russie» qui seront impactés indirectement par la situation en Europe de l’Est. Le poids de la Russie pour ces fonds n’est pas souvent négligeable étant donné la taille du marché russe, de la capitalisation boursière, des volumes d’échanges et surtout de la montée en puissance de la thématique «Commodities» dans les allocations. Il n’est donc pas rare de retrouver la Russie en tête des allocations géographiques et de valeurs comme Gazprom ou Lukoil dans la liste des top 10 holdings.
Certains de ces fonds ont eux aussi suspendu la valorisation et la liquidité.
Parmi les plus gros fonds, on notera le fonds JP Morgan Emerging Europe Equity avec 273 millions d’euros d’encours sous gestion et une exposition à la Russie de 54% en février, le fonds Schroder Emerging Europe avec 576 millions d’euros d’actifs gérés et une exposition à Russie de 63% contre 60% pour l’indice de référence MSCI EM Europe 10/40 NR ou iShares MSCI Eastern Europe avec 96 millions d’euros et exposé à 67% à la Russie.
iShares communique dans ce sens dès le 2 mars dernier:
«À compter du 2 mars 2022, le fonds suspend temporairement les nouvelles créations et les rachats de ses actions jusqu’à nouvel ordre. Veuillez vous référer à l’annonce RNS pour plus de détails.
- À compter du 4 mars 2022, les transactions sur le marché secondaire des actions du Fonds sont suspendues par Euronext.
- À compter du 7 mars 2022, les transactions sur le marché secondaire des actions du Fonds sont suspendues par Deutsche Börse et LSE.
- À compter du 8 mars 2022, les échanges sur le marché secondaire des actions du Fonds sont suspendus sur SIX Swiss Exchange.»
Pour les autres, il est vraisemblable que la majorité de ces autres fonds plus ou moins exposés à la Russie fassent l’objet d’un cantonnement. Selon le journal Les Echos, plusieurs sociétés de gestion françaises et l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) réfléchissent effectivement à cantonner les actifs russes de ces fonds dans des poches spécifiques (ou «side pockets» en anglais) afin de les séparer des actifs sains, qui continueraient à être gérés normalement dans le fonds initial.
D’autres gérants, étant donné le faible niveau d’exposition à la Russie, pourraient décider de garder en portefeuilles les actifs décotés jusqu’à ce que le marché russe ouvre à nouveau.
Une vingtaine de fonds «Actions Europe Emergente excl. Russie» pour 1.5 milliards d’encours ont été impactés mais restent liquides
Quantalys a dénombré aussi une vingtaine de fonds Actions de la catégorie «Actions Europe Emergente excl. Russie». Ces fonds investissent majoritairement dans des sociétés cotées en Pologne, République Tchèque, Hongrie, Roumanie, Etats Baltes, Autriche…
Ces fonds comme l’ETF Lyxor MSCI Eastern Eur exRussia ETF avec 143 millions d’euros d’encours) ou le fonds ODDO BHF Métropole Frontière Europe A ( avec 11 millions d’euros d’encours ont décroché jusqu’à -25% dans la crise fin février et début mars mais ont toujours été liquides.
D’autres fonds de catégories diverses peuvent être également impactés: Soyez vigilant!
En dehors des fonds Actions, d’autres catégories Quantalys peuvent également être impactées comme la catégorie «Dette Europe Emergente» , «Obligations Monde», «Global Macro», «Fonds flexibles» ou «Multi-stratégies». Certaines sociétés de gestion comme Carmignac ont communiqué dans ce sens. A fin février, la dette souveraine russe pesait encore 4,3% chez Carmignac Portfolio EM Debt contre 10,3% fin janvier.
La société de gestion a déclaré: « Les montants concernés ne justifient en aucun cas la création de «side pockets» qui a ramené les expositions nettes de ses fonds entre 0 et 2% au 14 mars, grâce à l’achat de protections sur les marchés obligataires et de change.
On notera aussi la contre-performance des fonds Barings EM Debt (-16% YTD) ou H2O Multi-Emerging Debt (-26%). Rappelons en effet que H2O AM était à l’achat sur le rouble et les devises émergentes et à la vente sur les emprunts d’Etat européens. Résultat: H2O Multibonds et Multi Emerging Debt ont affiché une chute brutale de plus de 15% entre les deux valeurs liquidatives du 25 février et du 28 février. H2O Multistrategies et Vivace reculent eux de plus de 13% en une séance.
Enfin, pour être totalement complet, n’oubliez pas également de vérifier les expositions géographiques de vos fonds! Il n’est pas rare de constater une exposition sur l’Europe de l’Est ou les pays Baltes.
Conclusion
Actions, devises, dettes souveraines, dettes d’entreprises, immobilier… : cette crise s’annonce comme une mèche lente qui devrait avoir des répercutions sur l’industrie de la gestion à court terme mais aussi sur le long terme.