Après un mois de juillet morose, les marchés actions ont entamé le mois d’août par une baisse brutale.
Par Enguerrand Artaz, gérant de fonds
De nombreux indices sont à présent entrés en correction (c’est-à-dire un renversement de tendance associé à une baisse de plus de 10%) et les indices japonais ont même chuté de plus de 20% sur un mois. Le VIX, l’indice de volatilité de la bourse américaine, a dépassé les 60 au cours de la journée du 5 août, un niveau jamais atteint depuis la crise Covid et avant cela depuis celle de 2008.
Que s’est-il passé?
Bien que les deux dernières semaines de juillet aient vu une dégradation progressive du sentiment, la brutale accélération à la baisse de ce début août tient à quatre catalyseurs survenus presque concomitamment:
- Des inquiétudes grandissantes sur la croissance américaine ces derniers mois, les marchés avaient pris l’habitude de prendre comme de bonnes nouvelles les déceptions économiques aux Etats-Unis, considérant que cela irait dans le sens d’une posture plus accommodante de la Réserve fédérale américaine (Fed). A présent qu’il paraît acquis que la Fed commence à baisser ses taux lors de sa réunion de septembre, les investisseurs recommencent à considérer les mauvais chiffres macroéconomiques pour ce qu’ils sont: des éléments d’inquiétude sur la trajectoire de croissance. Le dernier rapport sur l’emploi américain, marqué notamment par une hausse surprise du taux de chômage à 4,3% et par l’activation du signal de récession baptisé «Règle de Sahm»(1), a servi de catalyseur à ce changement d’état d’esprit des marchés.
- Une forte Hausse surprise des taux de la Banque du Japon: le 31 juillet, à l’issue de la dernière réunion, la Banque du Japon a annoncé une hausse de son principal taux directeur, qui est passé de 0-0,10% à 0,25%, alors que les investisseurs anticipaient un statu quo. En réaction, le Yen s’est fortement réapprécié contre la plupart des devises, atteignant par exemple le niveau de 143 Yens pour un dollar, proche de son niveau de début d’année, contre près de 162 début juillet. Conséquence : les actions japonaises, en forte hausse depuis le début de l’année notamment grâce à un affaiblissement continu de la devise nippone, se sont brutalement effondrées. Ainsi, après avoir gagné jusqu’à 27% depuis le début de l’année (en devise locale), le Nikkei est à présent en baisse de -5% YTD(2).
- Des doutes sur les géants américains de la technologie: après les publications en demi-teinte de certains des «7 magnifiques», notamment Microsoft (déception sur les résultats de la division cloud) et Amazon (mauvais résultats sur la partie consommation dans toutes les zones du globe), une rumeur sur la valeur star des derniers trimestres, Nvidia, est venue mettre le feu aux poudres. En effet, selon le média spécialisé The Information, citant des sources anonymes chez Nvidia et Microsoft, le nouveau processeur du géant américain, baptisé Blackwell B200 et dédié aux tâches d’intelligence artificielle, verrait sa sortie, prévue pour les tous prochains mois, repoussée à début 2025. Une perspective qui fait d’ores et déjà craindre aux investisseurs d’autres mauvaises nouvelles lors de la prochaine publication des résultats trimestriels de Nvidia prévue le 28 août.
- Une intensification des tensions géopolitiques au Moyen-Orient: après la mort du chef du Hamas et du haut commandant du Hezbollah dans des attaques vraisemblablement dirigées par Israël, la situation s’est fortement durcie au Moyen-Orient, faisant craindre une escalade militaire dans laquelle pourraient être impliqués le Liban et l’Iran. De nombreux pays occidentaux ont appelé leurs ressortissants à quitter ces deux pays tandis que les Etats-Unis ont renforcé leur dispositif militaire dans la région. Si les conséquences potentielles en termes économiques sont peu claires à ce stade, la perspective d’un possible conflit militaire d’ampleur au Moyen-Orient vient renforcer la prime de risque dans un contexte déjà particulièrement fébrile.
La situation peut-elle continuer à se détériorer?
Les raisons de cette baisse brutale des actions sont donc d’ordre fondamental et concernent notamment deux sujets majeurs pour la trajectoire future des marchés : la dynamique de l’économie américaine (et l’augmentation du risque de récession) et les perspectives sur les géants de la technologie, qui ont porté les marchés depuis un an et demi.
Il n’en reste pas moins que la réaction de panique observée ces derniers jours est possiblement exagérée et certains éléments permettent de la relativiser:
- Cette correction intervient dans un contexte où les marchés étaient très élevés et où d’importantes accumulations de positions spéculatives étaient en place (entre autres, des positions vendeuses sur le Yen). Le débouclement brutal de ces positions, associé à une liquidité traditionnellement plus limitée en cette période estivale, ont probablement amplifié les mouvements de marchés.
- L’économie américaine est incontestablement sur une tendance de dégradation qui pourrait devenir inquiétante. Néanmoins, le très mauvais rapport sur l’emploi de la semaine dernière, qui a servi de catalyseur à l’accélération à la baisse des marchés, est possiblement biaisé par des effets ponctuels. On note en particulier que le nombre de travailleurs au chômage technique pour des raisons climatiques a atteint un niveau exceptionnel en juillet (461 000 contre 41 000 en moyenne pour ce mois de l’année). Le marché du travail américain est certainement entré dans une phase de dégradation néanmoins la situation à l’instant t pourrait être moins mauvaise que ne laissent supposer les derniers chiffres.
- Les informations concernant Nvidia demeurent pour l’instant au stade de rumeurs – même si celles-ci n’ont pas été contestées par la société – et rien n’indique que le retard potentiel soit suffisant pour mettre en péril la trajectoire de croissance de Nvidia et causer un préjudice majeur à ses clients.
Que faisons-nous dans ce contexte?
La capitulation de marché des derniers jours paraît particulièrement exacerbée bien que, comme nous l’avons expliqué précédemment, certains des déclencheurs soient à prendre au sérieux. Il nous paraît donc important, à ce stade, d’adopter une approche prudente, sans pour autant sur-réagir aux mouvements de court terme.
Dans nos fonds diversifiés par exemple, nous maintenons des niveaux d’exposition actions modérés ainsi que des expositions obligataires importantes, qui permettent en partie de protéger les portefeuilles, sur fond de forte détente des taux d’intérêt.
Nous restons par ailleurs raisonnablement confiants sur les valeurs défensives, bénéficiant de visibilité sur leurs résultats, de bilans sains et de valorisations raisonnables.
(1) On considère que la «Règle de la Sahm» – du nom de l’économiste américaine qui l’a théorisé – est activée lorsque la moyenne sur 3 mois du taux de chômage est supérieure de 0,5% ou plus au plus bas niveau des 12 derniers mois. Historiquement, un tel niveau a toujours accompagné une récession aux Etats-Unis. Le niveau actuel est de 0,53%.
(2) Source : Bloomberg. Performances dividendes réinvestis, en devise locale, du Nikkei 25 au 05/08/2024
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