Afin d’éviter toute polémique, le sujet de cette analyse n’est pas de savoir si les alternatives vertes sont nécessaires ou non dans notre civilisation actuelle mais plutôt d’explorer d’un point de vue économique si ces alternatives offrent un réel avantage aux investisseurs par rapport à des investissements plus classiques que nous nommerons «Vice» (tabac, alcool, défense, énergie fossile, etc.) car qualifiés comme moralement incorrects aujourd’hui.

Par Luca Joos, Managing Partner

 

De nos jours, lorsque l’on parle de retour sur investissement, les alternatives vertes (ESG) semblent gagner du terrain face aux investissement dits «vice», longtemps adoubés mais aujourd’hui considérés comme indignes. «L’éthique» financière prendrait-elle le dessus sur «l’immoralité» des investissements?

A l’heure des pistes cyclables, de la voiture électrique, de l’énergie solaire et éolienne et de la marginalisation de tout ce qui est perçu par le plus grand nombre comme non «ESG» (énergie fossile, nucléaire, voiture thermique, etc.) nous allons nous atteler à disséquer d’un point de vue économique si ces solutions «vertes» ont un réel attrait pour les investisseurs. En effet, en l’espace de quelques années et à la suite des récentes annonces de certains «géants» (e.g. Vanguard) les investissements ESG apparaissent comme une panacée et nous serions amenés à croire que nous sommes en train d’assister à un changement de modèle d’investissement. Allons-nous donc vers un abandon pur et simple des investissements chers à nos parents?

Dès lors, faut-il investir exclusivement dans les ESG? Cette catégorie d’actifs est-elle amenée à surperformer automatiquement les autres investissements? Dans le secteur de l’énergie par exemple, les solutions alternatives à l’énergie thermique et nucléaire existent mais ne sont pas encore suffisamment performantes pour pouvoir se passer des solutions existantes. En effet, il faut environ 650 éoliennes de 2,3 mégawatts pour remplacer une centrale nucléaire perçue comme extrêmement dangereuse mais néanmoins peu ou pas polluante (qui ne rêve pas d’une éolienne dans son jardin?). Les écologistes argumenteront que la gestion des déchets du nucléaire est polluante et contraignante, quid des batteries des voitures électriques dans une dizaine d’années, seront-elles complétement recyclées ? Dans le secteur de la défense, les budgets consacrés par certains états sont colossaux. D’ailleurs, sans vente d’armement des états comme la France ou les Etats-Unis creuseraient encore plus leurs déficits. Les sociétés comme Boeing ne produisent pas uniquement des avions de ligne. Il nous paraît difficile de voir ce secteur passer sur un modèle ESG et nous ne pensons pas qu’elles soient enclines à le faire non pas par non-envie mercantile mais par l’incapacité générée par les contraintes du modèle sur les produits vendus. Et ce n’est pas pour autant que les investisseurs se désintéresseront de ce genre d’actifs.

Si pour comparer l’ESG au Vice, nous faisions du «stock picking», il suffirait uniquement de prendre le cours de l’action Tesla (+386% depuis le début de l’année pour 367’000 véhicules vendus en 2019) et en le comparant à Volkswagen (-19% depuis le début de l’année et environ 9’000’000 vendus en 2019), notre analyse pourrait s’arrêter ici et nous pourrions décerner la médaille d’or aux investissements «ESG». Le choix de Tesla est certes provocateur au vu de sa performance insolente, justifiée ou non, ce n’est pas le débat de ce sujet.

Si maintenant nous tentons de comparer la performance sur 4 ans de deux fonds actifs sur la thématique qui nous intéresse, le FlexShares Stoxx US impact (Fonds ESG avec des encours qui sont passés de 20 millions en 2018 à 90 millions en 2020) avec celle du USA Mutual Vitium Global (Fonds Vice avec des encours qui sont passés de 200 millions en 2018 à 100 millions en 2020), l’on note que la performance du premier est de 82,18% contre 16.02% pour le second. Bien que le FlexShares ait une position de 2.48% dans Tesla, il reste néanmoins plus performant que le USA Mutual Vitium Global. Il faut noter ici que par définition les actifs «vice» sont généralement cycliques ou «values» et donc actuellement plus délaissés par les investisseurs.

À la simple lecture de ces chiffres, il apparait que les investissements ESG sont plus performants que les «Vice». Maintenant, comment l’investisseur peut-il distinguer ces sociétés ESG de celles prétendument nouvellement ESG ? Sont-elles toutes responsables et vertes? La question paraît évidente mais en se penchant dessus, l’analyse est plus complexe que l’énoncé. Prenons par exemple la société Total qui a comme activité première les énergies fossiles, cette dernière devrait logiquement être rangée dans la catégorie «Vice». Malgré tout, elle peut être qualifiée également en «ESG» car elle investit dans des énergies renouvelables (e.g. un projet Eolien offshore en Corée du Sud avec le fonds australien Macquarie). Dès lors, lorsque que Blackrock annonce en grande pompe qu’elle va investir massivement dans les entreprises ESG et se retirer de celles qui ne le sont pas, l’on peut supputer qu’une société comme Total fait encore partie de son portefeuille. Tesla ne vend-elle pas ses «crédits carbone» à Fiat qui doit être le producteur européen le plus en retard sur les notions ESG?

Il y a une certaine hypocrisie du système qui ne semble pas déranger les fonds d’investissement et tous les investisseurs s’en accommodent.
La complexité se situe dans la recherche d’un équilibre au niveau de l’investissement. On ne peut bien évidemment pas intégralement investir que dans l’une ou l’autre des deux thématiques. Ce n’est pas un «casus belli» entre l’ESG et le Vice mais plutôt une transition qui à nos yeux n’est pas encore clairement définie et qui relève actuellement plus du marketing que d’une réelle envie de changement.

L’investisseur se retrouve donc dans une situation relativement complexe et insoluble. En effet, soit il décide de faire comme le plus grand nombre et de courir après les prix des sociétés ESG qui se sont envolés avec le risque d’une correction majeure ou il reste attentiste et espère que les titres «Vice» rattrapent leur retard. Quelque soit son choix, il a raté le train et sait que cette année sera de facto compliquée en termes de performance.