Les actifs numériques tels que livepeer, helium et bittorent voient leurs cours exploser en 2021. Qu’est-ce que le Web 3.0? Pour quelle utilité? Aperçu.

Par Charles-Henry Monchau, CFA, CMT, CAIA – CIO de FlowBank

 

Charles-Henry MoncheauQu’est-ce que le Web 3.0?

Le Web 1.0 est né officiellement en 1994. Cette première version nous permettait de nous renseigner, d’acheter en ligne et de communiquer par email avec d’autres personnes. Le Web 2.0 a vu le jour une dizaine d’années plus tard, passant d’une ère des pages internet reliées par des liens hypertextes à l’ère de la connexion permanente entre les individus du monde entier. Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram), les plateformes de vidéos en ligne (YouTube), les blogs, la généralisation du smartphone connecté et la technologie coopérative wiki ont inspiré l’appellation web 2.0 à Dale Dougherty. Si le Web 2.0 a permis aux internautes de s’approprier un peu plus Internet en leur permettant de créer du contenu et de communiquer en temps réel entre eux, les utilisateurs ont perdu la propriété de leurs données, qui sont générées et vendues par des fournisseurs de services centralisés tels que Facebook, Amazon et LinkedIn.

Aujourd’hui, une nouvelle vision de l’internet existe: le Web 3.0. Elle a pour mission de restituer la propriété des données aux utilisateurs. Le Web 3.0 propose un nouveau modèle d’interaction entre programmes et contenus sur le web dont le maître mot est la décentralisation.

Web 3.0 utilise la technologie blockchain qui permet de disséminer les contenus web sur des ordinateurs membres de blockchains qui ont chacune une fonction bien précise (gérer des mots de passe, effectuer des transactions financières, stocker des vidéos etc.). Comme le contenu est dupliqué sur plusieurs ordinateurs et qu’il n’y a pas de serveur central qui organise le trafic, les connexions trouvent dynamiquement le chemin le plus efficace dans ce nouveau web tout en évitant la congestion ou les ordinateurs défaillants. En contrepartie du service rendu (stockage, partage, etc.), les membres de la blockchain reçoivent des cryptomonnaies dites «natives».

Principale conséquence de ce mode de fonctionnement totalement décentralisé: à terme, les données reliées aux utilisateurs du web ne seront plus exploitables par les GAFAs. Avec le Web 3.0, c’est le système de gouvernance et le mode de fonctionnement d’internet qui sont complétement remis en cause.

Comme le montre l’illustration ci-dessous (source: BKCM), le Web 1.0 a créé une immense librairie planétaire permettant l’accès à l’information au travers une seule base de données – l’Internet. Le Web 2.0 a permis aux utilisateurs de créer eux-mêmes du contenu sur une cette base de données. Mais ce sont des sociétés tels que Facebook et Google qui monétisent ces données. Avec le Web 3.0, nous allons passer dans l’ère de la Banque de données globale. Ce sont les personnes physiques et morales qui vont désormais être en mesure de monétiser leurs propres données. Un changement de paradigme qui est rendu possible par la blockchain et les cryptomonnaies.

2021.08.10.FlowBank web 3.0

Les grandes innovations apportées par le Web 3.0

Parmi les innovations majeures apportées par le Web 3.0, citons entre autres les aspects liés aux paiements, les services décentralisés et le contrôle.

Dans le nouveau Web, les moyens de paiement font « corps » avec le Web. On parle désormais de monnaies «natives», c’est-à-dire une monnaie qui est rattachée avec le réseau. Le nouveau Web permet de réduire les coûts de transaction pour les paiements transfrontaliers et offre aux personnes non desservies par les banques des moyens plus sûrs pour stocker et échanger des devises.

Le nouveau web ouvre également la voie à ce que l’on appelle les services décentralisés. Cela signifie que tout le monde peut construire, exécuter et utiliser des services sans se soumettre à l’autorité d’une seule entité dominante. Ce nouveau paradigme permet d’être beaucoup plus efficient dans des domaines tels que les transactions de particulier à particulier («per-to-peer»). Les utilisateurs sont en mesure d’améliorer le contenu en versant de petites sommes, ce qui permet aux créateurs d’obtenir une part plus importante des revenus. Certains services pourraient donc subir une nouvelle forme de compétition. Pensez par exemple à YouTube, où les créateurs sont payés relativement moins bien pour leur contenu parce que l’autorité centralisée (Google) fixe des tarifs élevés. Le schéma est identique pour les développeurs de jeux sur le Apple Store.

La dernière tendance concerne le contrôle. En effet, le Web 3.0 permet de monétiser et d’utiliser ses propres données et identité – des «ressources» actuellement exploitées par des fournisseurs de services tels que Facebook.

Etude de cas

Comme évoqué ci-avant, un des aspects importants de Web 3.0 est la monétisation de ses données personnelles mais aussi de ressources fixes comme le stockage, la bande passante et la puissance de calcul.

Avec Filecoin par exemple, les utilisateurs peuvent convertir leur espace de stockage fixe et le louer à d’autres personnes, un peu comme un service en cloud mais de manière décentralisée. Au lieu d’être dominé par un duopole (celui d’AWS et d’Azure), il est désormais possible pour des millions d’utilisateurs de fournir du stockage et d’être rémunérés.

Dans ces mêmes colonnes, nous avions évoqué le réseau Theta Networks qui utilise la blockchain pour décentraliser le processus de streaming vidéo afin d’augmenter la qualité de la vidéo disponible pour les utilisateurs. Le projet utilise également les cryptomonnaies pour inciter les internautes à sécuriser et utiliser le réseau. Les internautes peuvent à la fois regarder une vidéo en direct, mais aussi partager leurs ressources et bandes passantes pour que d’autres puissent la regarder. Cela permet au réseau de s’affranchir de l’infrastructure centralisée coûteuse et donc de fournir une diffusion vidéo fluide et de haute qualité à un coût réduit. En échange de leur contribution au réseau Theta, ceux qui permettent la diffusion de «streams» reçoivent des «tokens» (jetons numériques) THETA.

Un autre cas d’utilisation intéressant concerne la censure des données. Par exemple, la NASA souhaite stocker à tout jamais des données sur le changement climatique de manière à les rendre immuables, c’est-à-dire que personne ne puisse les manipuler.

Denier exemple: celui de la censure politique. Pendant le référendum en Catalogne en 2017, le gouvernement espagnol a bloqué les adresses IP de tout site Web 2.0 qui communiquait des informations sur les lieux du vote. Grâce à un protocole Web 3.0 appelé IPFS, les développeurs ont pu libérer l’accès aux informations relatives au vote.

Investir dans le Web 3.0 à travers des cryptomonnaies

Alors que les cryptomonnaies les plus connues (bitcoin, ether, etc.) ont connu un 2ème trimestre relativement difficile en termes de performance et volatilité, de nombreux spécialistes ont commencé à se pencher sur les actifs numériques associés aux visions d’un Internet décentralisé. Ces jetons sont classifiés dans la catégorie «Web 3.0 tokens».

Comme le montre la base de données de Messari, les «jetons Web 3.0» sont en forte progression depuis le début de l’année, avec une performance moyenne d’environ 250%.

La valeur de certains jetons tels que ceux de livepeer (LPT), hélium (HNT) et bittorrent (BTT) a augmenté de plus de 1000% cette année, et ce malgré le très fort recul du marché des cryptos depuis le mois d’avril.

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Performance des principaux jetons Web 3.0 (source : Messari)

Les principaux services rattachés à ces cryptomonnaies sont les suivants: le stockage, création et distribution de contenus, la bande passante, l’informatique, les services financiers et l’identité.

Par exemple, le protocole Livepeer basé sur Ethereum offre un marché pour les fournisseurs d’infrastructure vidéo et les applications de streaming, tandis que Filecoin et The Graph fournissent des réseaux de stockage de fichiers et de gestion de données décentralisés. Helium utilise des blockchains et des tokens pour inciter les consommateurs et les petites entreprises à fournir et à valider la couverture de réseaux mobiles et à transférer les données des appareils sur le réseau sans fil.

Messari estime que la catégorie des «tokens» Web 3.0 comprend désormais plus de 40 jetons pour une valorisation de plus de 25 milliards de dollars si l’on exclue Chainlink (cette blockchain est davantage associée à la finance décentralisée et a une capitalisation boursière de 10 milliards de dollars). Cependant, en ne considérant que des projets de premier plan comme The Graph, Filecoin, Helium et Livepeer, la capitalisation boursière des jetons Web 3.0 s’élève à moins de 15 milliards de dollars. Cela ne représente que 2% de la capitalisation boursière totale de bitcoin. En effet, les jetons Web 3.0 n’ont pas encore su attirer l’attention du grand public et ce probablement du fait de la relative complexité de la technologie sous-jacente.

A noter que les jetons DeFi sont passés par des étapes similaires. En effet, le boom DeFi a commencé il y seulement un an; dans l’intervalle, la capitalisation boursière est passée de 5 milliards au début de 2020 à plus de 50 milliards.

Quoi qu’il en soit, les investisseurs institutionnels semblent désormais s’intéresser à ce segment prometteur. Ainsi, Multicoin Capital est investi dans The Graph, Helium et Livepeer. Grayscale, le plus grand gestionnaire d’actifs numériques au monde et véhicule d’investissement des institutionnels pour s’exposer aux actifs numériques, a lancé un «Livepeer Trust» en mars.

Enfin, signalons que bon nombre de ces jetons Web 3.0 offrent des rendements attrayants via Staked, une plate-forme qui permet aux investisseurs de gagner un rendement grâce au «staking». Par exemple, le jeton HNT d’Helium offre actuellement un rendement nominal annualisé de 8,7%, tandis que le GRT de The Graph offre un rendement de 15% et que le LPT offre un rendement de 30%.

Les limites du Web 3.0

Certaines personnes ont fait remarquer que Web 3.0 est un projet qui n’est pas sûr à 100% d’aboutir. Par exemple, un bon nombre d’observateurs continuent de penser qu’un service contrôlé par des autorités centralisées ou par une seule entreprise peut avoir une vision plus cohérente du produit et est généralement capable d’itérer plus rapidement sur les nouvelles fonctionnalités désirées par les utilisateurs.

À ce jour, on ne sait toujours pas si les économies d’échelle réalisées grâce à l’exploitation d’applications décentralisées se concrétiseront.

Une autre préoccupation concerne l’adéquation du produit au marché. Certains affirment que les utilisateurs ne sont peut-être pas assez enthousiastes, car on peut penser que la plupart des gens ne se soucient pas de l’exploitation de leurs données par des tiers.

De plus, il y a encore beaucoup de travail éducatif à faire autour de la blockchain alors que les gouvernements et les régulateurs font preuve de méfiance à l’égard des crypto-monnaies. Sans compter la pression que pourrait exercer les géants du Web 2.0…

 

NB : Il n s’agit pas de recommandations d’investissement

 

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