Les marchés ont, avec leur traditionnel sens de la mesure, acté le gigantesque potentiel des technologies de l’IA (Intelligence Artificielle) et du ML (Machine Learning). Même leurs plus enthousiastes contempteurs peinent à établir les limites de ce qu’il sera possible de faire à l’aide de ces outils.
Chaque agent économique est aujourd’hui appelé à s’interroger sur l’impact que l’IA aura pour son activité. Mais la question se pose également dans le domaine du changement climatique, d’autant qu’il existe pour le moment de réelles divergences de vues. A ce stade, certains voient l’IA comme une menace bien plus que comme une opportunité.
Selon nous, l’impact de l’IA sur le climat va se décliner – au moins – selon 3 dimensions:
- Tout d’abord, il y a l’empreinte carbone directe de l’IA et du ML eux-mêmes, en prenant en compte toute la chaîne de valeur (de la fabrication du hardware à la consommation électrique que nécessitent les calculs) ;
- Ensuite, chaque application de l’IA aura ses propres effets (directs ou indirects), positifs ou négatifs, sur le climat ;
- Enfin, les évolutions systémiques induites par ces technologies sur nos modes de vie pourraient restreindre notre capacité à atteindre nos objectifs climatiques.
L’évaluation des impacts sur chacun de ces trois sujets se révèle particulièrement complexe.
Empreinte carbone de l’IA: difficile à estimer mais en croissance
A l’heure actuelle, l’empreinte carbone de nombreuses activités peut être estimée. Cependant, pour l’IA/ML nous manquons encore de données tangibles qui permettraient une estimation fiable. Du fait de sa relative «jeunesse», d’un manque de transparence (une majorité d’entreprises protègent les données concernant la quantité et la nature des calculs qu’elles réalisent) et de l’absence de standard, il est encore hasardeux de chiffrer l’impact carbone de ces nouvelles technologies.
Si l’on s’en tient aux principales études, le secteur des technologies de l’information représenterait 2 à 3% des émissions mondiales. De manière contre-intuitive, ce pourcentage est resté assez stable au cours de la décennie passée, les progrès en matière d’efficacité énergétique liés notamment à la loi de Moore «compensant» les usages toujours croissants.
L’IA et le ML ne représentent qu’une fraction, encore difficile à quantifier, de ce pourcentage. Seule certitude, avec leur déploiement désormais exponentiel, ils vont avoir un poids croissant dans le total des émissions, notamment dans les pays où le mix électrique reste très carboné.
Applications à court terme de l’IA: pas forcément sans risques
De nombreux scientifiques travaillent dès à présent sur les applications de l’IA dans des domaines tels que l’écologie, la recherche climatique ou la durabilité. Dans certaines applications, l’apport de l’IA s’annonce positif. Dans d’autres, l’IA pourrait nuire ou, pour le moins, décevoir. Voici 3 exemples parmi une liste d’applications qui ne fera que croître.
Dans le domaine de l’énergie, l’IA devrait améliorer considérablement les modèles de prévision en matière de demande mais aussi de production d’électricité. Alors que l’intégration croissante des capacités de production intermittente des renouvelables rend les réseaux électriques plus difficiles à piloter, les algorithmes de l’IA joueront un rôle considérable dans la gestion et l’optimisation des réseaux électriques. Ici l’IA aura un rôle positif.
De la même façon qu’il permettra d’optimiser le fonctionnement d’un réseau électrique, l’IA permettra également de mieux analyser les données sismiques des compagnies pétrolières et donc d’augmenter leur production d’hydrocarbures. Pour cette application, les conséquences en matière de climat pourraient s’avérer très négatives.
Dans le domaine de la modélisation du climat et de l’évaluation des changements en cours, l’IA pourrait décevoir. En effet, les modèles climatiques de l’IA analysent les données historiques pour produire leurs prévisions. Or, les phénomènes climatiques actuels semblent échapper à toute logique passée tant au niveau de leur fréquence que de leur sévérité. Dans ce contexte, les prévisions de l’IA pourraient s’avérer médiocres et manquer de nous alerter avant des catastrophes majeures.
A plus long terme, la révolution IA sera ce que nous en ferons
Nous ne citerons qu’un exemple, celui du secteur automobile. La montée en puissance de l’IA/ML nous rapproche chaque jour de l’arrivée des véhicules autonomes. On voit là un parfait exemple des révolutions potentielles induites par ces technologies, mais également une illustration de l’ambiguïté de leur apport vis-à-vis du climat. Les véhicules autonomes constitueront-ils le chaînon manquant permettant de relever le défi de la mobilité multimodale? Ou bien ne seront-ils qu’une nouvelle évolution d’un système reposant sur la possession d’un véhicule individuel ?
Un blockbuster de cet été a livré une version hollywoodienne de l’histoire de Robert Oppenheimer. Le nucléaire est l’exemple historique, probablement indépassable, de l’écart abyssal entre la «bonne» et la «mauvaise» utilisation d’une technologie. Nous n’avons aucun doute que l’IA a le potentiel d’engendrer un véritable désastre écologique. Il nous semble donc indispensable de mettre un cadre à l’évolution de cette jeune industrie, via la contrainte et la régulation si nécessaire, afin de l’aligner avec nos ambitions en matière de lutte contre le réchauffement.