Dynamisée par plusieurs lois votées par l’administration Biden, qui prévoient notamment des investissements massifs dans les infrastructures de transport et de l’énergie, l’industrie connaît un puissant dynamisme qui semble bien parti pour durer.

«Depuis des décennies, on parle de remplacer ce pont. Mais ça n’avait jamais été fait – jusqu’à aujourd’hui.» Ainsi s’exprimait Joe Biden en janvier dernier, sur le chantier du pont Blatnik, reliant le Wisconsin au Minnesota. Le président américain s’est rendu sur place alors que plus d’un milliard de dollars ont été débloqués dans le cadre du grand programme d’investissement de 1’200 milliards dans les infrastructures du pays mis en place par l’administration Biden en novembre 2021, l’Infrastructure Investment and Jobs Act (IIJA). Ils serviront à remplacer le pont actuel, inauguré en 1961, sous la présidence Kennedy, par un nouveau, «mieux adapté aux poids lourds, avec un design moderne, plus large, moins abrupt, et une place laissée pour les cyclistes et les piétons», a détaillé le président américain lors de sa visite.

Dans la foulée, Joe Biden a annoncé 36 autres grands projets d’infrastructures répartis entre douze États américains, visant principalement à remplacer des ponts existants ou à en construire de nouveaux. Bien qu’imposant en lui-même, ce programme ne représente qu’une fraction du pharaonique plan infrastructures de l’administration Biden, qui prévoit également de nombreux investissements dans les autoroutes, les ports, les aéroports et l’énergie. À ce plan d’investissement de 1,2 milliard de dollars dans les infrastructures du pays, viennent en outre s’ajouter l’Inflation Reduction Act (IRA), qui prévoit notamment des crédits d’impôt pour les investissements dans les énergies propres, et le CHIPS Act, qui alloue 300 milliards supplémentaires pour la construction d’usines de semi-conducteurs aux États-Unis.

2024.04.19.Infrastructure
Progression des financements accordés par l’IIJA, par secteur et par type de financement.
Données au 15 novembre 2023

La politique de relance de Joe Biden bénéficie directement aux infrastructures de transport…

Un afflux d’investissements qui constitue une véritable manne pour les entreprises des infrastructures. L’U.S. Department of Transportation et la Federal Highway Administration ont par exemple débloqué 120 milliards de dollars pour les autoroutes et les ponts sur les exercices 2022 et 2023. Au total, 2 800 projets de construction ou de reconstruction de ponts ont été lancés, selon la Maison-Blanche.

«Dépenses publiques et crédits d’impôt prévus par la loi infrastructures, le CHIPS Act et l’IRA ont significativement dopé les activités de construction, pour le bénéfice de plusieurs entreprises, comme Caterpillar, par exemple», affirme l’économiste américain Mark Zandi. Le groupe industriel texan, qui fabrique et vend des machines dans les domaines de la construction, des mines et de l’énergie, est logiquement l’un des grands bénéficiaires de la multiplication des projets d’infrastructures aux États-Unis. Le groupe a ainsi réalisé une excellente année 2023, et semble bien parti pour réitérer cette performance cette année.

Il n’est pas le seul à se frotter les mains : le fabricant d’engins de génie civil Terex a de son côté vu ses recettes grimper de 16,5 % en 2023, et le cimentier mexicain Cemex, très actif aux États-Unis, a lui aussi connu une excellente année. Le gestionnaire d’actifs Brookfield a quant à lui levé 28 milliards de dollars pour son fonds d’investissement spécialisé dans les infrastructures.

«La plupart des Américains ont déjà pu constater une amélioration des infrastructures, qu’il s’agisse des routes qu’ils empruntent ou de leur connexion internet. L’impact de ces lois va toutefois se faire sentir encore davantage cette année, car il y a toujours un décalage entre la mise en place d’un programme d’investissement et la dépense effective de ces fonds au bénéfice des infrastructures »

…et de l’énergie

L’énergie est un autre secteur fortement bénéficiaire de cette politique volontariste. «Les investissements dans les énergies vertes tournent à plein régime, en partie grâce aux crédits d’impôt accordés par l’IRA», note Mark Zandi. Ces crédits d’impôt peuvent par exemple être accordés pour le lancement d’une usine pour produire de l’hydrogène vert, l’installation d’une ferme photovoltaïque pour s’approvisionner en électricité, un site de captage du CO2, ou encore l’ouverture d’une fabrique de batteries électriques aux États-Unis. «Les énergies fossiles tirent également leur épingle du jeu du fait des prix élevés et de la demande européenne suite au déclenchement de la guerre en Ukraine.»

Mais aussi grâce à l’IIJA, qui octroie également des incitations financières pour la construction de stations de recharge pour véhicules électriques et d’usines de panneaux solaires. L’entreprise First Solar a ainsi annoncé fin 2022 l’ouverture d’une usine de panneaux photovoltaïques dans l’Alabama, en indiquant que la loi infrastructure avait pesé dans sa décision. JA Solar et LONGi, deux géants chinois du secteur, ont également annoncé l’ouverture de deux usines aux États-Unis, respectivement en Arizona et dans l’Ohio.

Le constructeur automobile américain Ford a pour sa part entamé dans le Tennessee la construction d’une grande usine de batteries pour ses véhicules électriques, baptisée BlueOval City, en bénéficiant d’un prêt dans le cadre de l’IJA. «L’année 2023 a été la meilleure en date pour l’addition d’énergie photovoltaïque aux États-Unis», note Neil Mehrotra, économiste, vice-président assistant et conseiller politique à la Réserve fédérale de Minneapolis.

Les retombées indirectes pour les infrastructures

Outre l’argent public investi directement dans les infrastructures, la politique de la Maison-Blanche bénéficie aussi indirectement à ces dernières. «Mettre en place une usine de batteries ou de semi-conducteurs implique par exemple de construire un nouveau bâtiment, de mettre en place un réseau de transports autour de celui-ci, de le raccorder à la grille énergétique… Tout cela bénéficie aussi aux acteurs privés des infrastructures», note Neil R. Mehrotra.

«Or, la construction d’usines, après être demeurée constante durant des années, s’est largement accrue au cours de l’année passée, sous l’impulsion des programmes gouvernementaux.»

Une tendance partie pour durer?

La dynamique positive pour les infrastructures devrait selon lui se poursuivre cette année et les suivantes. «Nous prédisons une accélération progressive du déploiement des énergies propres au cours de la prochaine décennie, d’autant que des programmes comme l’IRA n’ont pour l’heure distribué qu’une petite partie des fonds prévus.» Et ce  quel que soit le résultat de la prochaine élection: en effet, si les républicains prennent le contrôle de la Maison-Blanche et du Congrès en novembre, ils pourraient certes tenter d’abroger les lois votées sous l’administration Biden, mais d’une part, de nombreux investissements ont déjà été réalisés, et d’autre part ce sont les États du Sud, majoritairement républicains, qui bénéficient le plus de cette dynamique.

Un plus gros obstacle à court et moyen terme pourrait en revanche résider dans la désorganisation des chaînes de valeur internationales, causées notamment par le conflit en Ukraine, la guerre commerciale avec la Chine et les attaques des rebelles houthis en mer Rouge. Ou encore le maintien de taux d’intérêt élevé, à l’heure où les derniers chiffres de l’inflation américaine s’avèrent plus hauts que prévu. Deux phénomènes qui ont déjà causé des investissements dans l’éolien plus bas qu’anticipé l’an passé, selon l’économiste. La réponse de la Fed à l’inflation persistante sera donc là aussi à suivre de près.