Je ne suis pas certain que sans la volte-face du week-end, scénarisée par Donald Trump, les marchés du Vieux-Continent auraient vécu une telle journée. Bon, la bonne nouvelle c’est que je peux retourner ça dans ma tête dans tous les sens ; on ne saura jamais ce qui se serait passé si Trump avait bouclé au nez d’Ursula von Pfizer. Une chose est sûre : l’ouverture de la semaine aura été joyeuse et haussière. Le Dax a repassé encore une fois les 24'000 et les droits de douane majorés ne sont qu’un mauvais souvenir. Pourtant, c’est maintenant que ça va commencer à chauffer – il va falloir négocier pour de vrai et arrêter de compter sur des reports hypothétiques pour faire monter le marché.
L’Audio du 27 mai 2025
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Un lundi au soleil
Hier, les marchés ont fait leur retour de week-end comme on revient de trois jours à Ibiza : un peu sonnés, pas très lucides, mais soulagés de ne pas trouver un cadavre sur la pelouse.
Le cadavre sur la pelouse étant celui des droits de douane. Et tout ça, grâce à qui ? Merci Donald. Vu que nous avons la mémoire courte, on se souviendra que vendredi, on avait pris une bonne claque douanière. Trump avait décidé de relancer sa guerre commerciale avec l’Europe, comme on relance une vieille série Netflix sur laquelle les scénaristes n’arrivent pas à trouver une fin acceptable
Et puis, dimanche, juste avant l’apéro, hop : revirement stratégique ! Les sanctions sont reportées au 9 juillet. Un mois et demi de sursis, ou d’illusion, c’est selon. Lundi, les marchés européens se sont redressés d’un seul coup. Comme si tout le monde s’était dit : “Bon, fausse alerte ! On remballe la panique, c’est reparti pour un tour.” Le DAX est remonté, le CAC a suivi, les Suisses ont allumé le réchaud à fondue, et partout en Europe la joie était plutôt communicative. Bien sûr, les marchés US et UK étaient fermés pour cause de Memorial Day, donc niveau volumes, c’était aussi animé qu’un dimanche pluvieux dans la Creuse. Mais ça n’a pas empêché les futures américains de faire le trottoir avec des hausses prometteuses, histoire de faire croire que tout va bien.
Vraiment ? Tout va bien ?
Mais soyons honnêtes : on ne peut pas sérieusement juger une séance sans les Américains. C’est comme juger un concert sans le chanteur. Alors la vraie séance, celle qui compte, c’est aujourd’hui. Et elle commence avec une question simple : jusqu’où ira le « modèle Trump » ?
Oui, parce que dorénavant, on connaît la musique. Il menace, il effraie, les marchés plongent. Puis il recule, et tout le monde se remet à acheter comme si rien ne s’était passé. Voire peut-être même mieux qu’avant, alors que rien de fondamental ne s’est passé – c’est juste le soulagement qui fait que ça repart deux-fois plus fort – tellement on a envie de croire que tout est réglé et que nous sommes tous frères. Ou tous Américains, c’est selon.
C’est même devenu un classique. Et à force, ce schéma fait même des heureux chez les spéculateurs : ils misent sur la volte-face avant qu’elle n’ait lieu. Ils jouent Trump comme on joue les chiffres trimestriels d’une société qui fait des semiconducteurs ou comme les chiffres de l’emploi qui sont calculés au boulier par les gars du BLS, qui n’ont pas encore décuvé du week-end prolongé. Mais attention tout de même, le mois de juin qui nous attend pourrait être sportif. Parce que les négociations – les vraies – vont inévitablement commencer maintenant. Et tout ce qui ressemble à un désaccord entre l’Europe et les USA – ou entre les USA et la Chine – ou entre les USA et les USA, va faire frissonner les indices comme si Powell avait filé son sac et donné son job à Britney Spears.
Et puis surtout, on n’est pas à l’abri d’un nouveau revirement de Trump. Le Président l’a démontré, il est aussi stable que le couple Macron qui se chamaille à coup de poing en descendant de l’avion. Et aussi stable qu’un Cessna dans un cumulus d’été bourré de grêle jusqu’aux oreilles. Le patron des États-Unis a démontré plusieurs fois ces dernières semaines qu’il était incapable de tenir une position plus de 10 jours. Si les choses n’ont pas évolué dans ce laps de temps, il est capable de tout foutre en l’air, histoire de faire son caprice. Quand on voit la réaction de vendredi dernier sur l’Europe, on peut vraiment craindre ce qui va se passer dans quelques jours sur la Chine, SI LES NÉGOCIATIONS n’avancent pas. Et là tout de suite, c’est pas avec l’info qu’ils nous filent sur le sujet que l’on peut s’emballer en se disant que ça sera la fête au village dans trois jours parce que tout sera réglé. On a quand même deux égos surdimensionnés qui s’opposent et ça paraîtrait quand même miraculeux que Trump et Xi règlent le cas du premier coup. Et à votre avis, que se passerait-il si Trump nous faisait le même truc qu’il a fait sur l’Europe, mais sur la Chine ?
Oui, moi non plus j’ai pas trop envie de savoir. Mais je suis certain d’une chose, c’est que ça laissera des traces sur l’ensemble des marchés mondiaux. Même si aujourd’hui – en Europe – on est noyé dans le bonheur d’avoir récupéré notre moratoire, plus un jour. Rien n’est réglé et il vaut mieux pas vendre la peau du panda avant de l’avoir tué.
Retour au-dessus des 12’300
En attendant, en Suisse, on ne fait pas semblant non plus. Le SMI a repris du poil de la bête, confortablement calé au-dessus des 12’300 points. Là aussi, on respire. Mais sans oublier que l’orage peut revenir à tout moment. Parce que oui, Trump a reculé. Mais reculer, c’est aussi prendre de l’élan… Et puis le procès de Nestlé Waters, renvoyé devant le tribunal correctionnel de Nancy pour des décharges sauvages de déchets polluants dans les Vosges, a été reporté au mois de novembre, notamment en raison du grand nombre de témoins cités et peut-être aussi du fait que pour l’instant, vaudrait mieux pas que ça secoue un gouvernement français qui ne ressemble plus à rien depuis longtemps, puisque tout le monde se lance dans la course à la Présidence pour être Macron à la place de Macron.
Aujourd’hui, les regards vont se tourner vers l’Allemagne pour le moral des consommateurs, vers Paris pour l’inflation, et vers les États-Unis pour… tout le reste. Notamment la confiance des ménages, qui en dira long sur l’humeur économique américaine. On se réjouit de voir ce qui va en ressortir étant donné la faiblesse récente du moral des Américains. Après plusieurs chiffres négatifs, est-ce que Trump aura su remonter la motivation de ses compatriotes, rien n’est moins sûr, mais une chose est certaine, on ne peut plus se passer de lui et de ses interventions à l’emporte-pièce, sinon je vous avoue platement que je ne saurais plus quoi dire dans mes chroniques.
Et cette semaine, ce sera aussi le grand moment de vérité pour NVIDIA. Si la superstar de l’IA déçoit, ce ne seront pas que les semi-conducteurs qui vont flancher. Ce sera tout le récit techno-bullish de ces derniers mois qui va en prendre pour son grade, mais ne nous emballons pas. Nous ne sommes que mardi et Nvidia publiera demain soir. Rappelons tout néanmoins que le titre a tout de même repris 51% depuis le 7 avril. Perso, je ne sais pas ce qui est pricé dedans, mais il va falloir délivrer sur le passé et ne pas décevoir pour l’avenir, sinon ça risque de faire très mal au SOX, très mal aux techs en général et très mal tout court aux bêtes à cornes.
En Asie ce matin…
Ce mardi, les marchés asiatiques ont ouvert en mode « on ne sait pas trop »: flats ou en légèrement en baisse. La faute à l’angoisse des tarifs US qui planent comme un gros nuage radioactif. Trump a bien repoussé les sanctions contre l’Europe – on en parlé – mais n’a rien dit sur les smartphones, et là, ça continue d’être douloureux pour les techs asiatiques. Au Japon, le Nikkei recule de -0.2% après que Kazuo Ueda, patron de la BoJ, ait menacé de remonter les taux si l’économie repart. En gros : inflation OK, croissance pas top, mais on serre la vis quand même. Franchement, entre dette sous pression et économie qui va dans tous les sens – sauf le bon – je préfèrerais être Powell et me faire fouetter par Trump tous les trois jours sur Truth Social qu’être le patron de la BOJ et devoir écoper la coque du paquebot Japon avec une cuillère à café. Bilan global, les fabricants de puces, de gadgets et de composants chutent, du Coréen Samsung au Chinois Xiaomi. Et pendant ce temps-là, les futures US montent parce que Trump a dit « pas tout de suite les taxes ». Bref, une journée molle, mais tendue – comme un élastique prêt à se rompre à tout instant.
Côté pétrole, petite accalmie. On attend la réunion de l’OPEP+ en fin de semaine. Des voix s’élèvent pour anticiper une hausse de production. Mais tout le monde garde en tête que tant que Trump souffle le chaud et le froid, personne ne sait où va la demande mondiale. Autrement, Trump a insulté Poutine – oui, il a quand même dit que le Président Russe était complètement taré et qu’il ne pouvait plus accepter qu’il tue des gens – Trump est donc en train de jouer à pile ou face avec la géopolitique mondiale. Je suis d’ailleurs en train de me rendre compte que les lettres « T-R-U-M et P » sont très usées sur mon clavier, tellement on ne parle que de ça depuis 6 mois. Et pendant ce temps-là, Christine Lagarde essaie de nous vendre l’euro comme le prochain dollar. Mais avant que l’euro ne devienne la monnaie refuge mondiale, faudra peut-être que l’Europe construise autre chose qu’un PowerPoint commun et deux commissions parlementaires sur les bouchons des bouteilles en plastiques.
Pour le reste
Ce que l’on voit se dessiner dans le miroir des marchés, c’est l’arrogance d’un modèle économique mondial qui joue avec des allumettes en pleine sécheresse au milieu d’une forêt de pins. Tout le monde sait qu’un incident peut tout faire exploser, mais tant que la musique joue à fond, on danse comme si on n’était jamais fatigué. Et puis, je crois surtout qu’il ne faut pas oublier la petite tension sur les taux américains. Fermés hier, certes, mais prêts à reprendre du poil de la bête dès aujourd’hui. La courbe des rendements n’attend qu’un prétexte pour se remettre à jouer au yo-yo. Et croyez-moi, la confiance du consommateur US qui tombe cette semaine pourrait être pile le signal que tout le monde redoute… ou espère, c’est selon le sens de nos positions. En attendant, l’or est à 3’367$, le Bitcoin se traite à 109’000$ et le 10 ans américain offre un rendement de 4.486%. Jusque-là, ça va.
En Allemagne, on garde un œil sur les signaux de fatigue : le moral des consommateurs se tasse doucement. En France, on attend l’inflation avec la même excitation qu’un courrier du fisc. Et en Suisse, l’horlogerie scrute les exportations en priant que l’Amérique garde encore un peu de goût pour les montres à cinq chiffres. Ajoutez à cela que les relations géopolitiques se tendent comme un string trop petit. Trump menace la Russie, critique l’Ukraine, insulte la Chine et négocie les droits de douane avec un sablier à la main. Tout est précaire, tout peut basculer, mais on continue de croire que les marchés vont grimper jusqu’au ciel. En tous les cas, en Allemagne.
Sans transition
Bref, une journée de transition qui n’en est pas une. Parce que tout est déjà là : les tensions, les risques, les occasions. Et la semaine, elle, démarre vraiment aujourd’hui. Avec les États-Unis de retour à leur pupitre, Trump à la baguette et les marchés en apnée. Pour l’instant, les futures US sont en hausse de 0.9% et ça fait 24 heures que ça dure, il n’y a plus qu’à conserver ça jusqu’à l’ouverture.
Passez une excellente journée et je vous retrouve demain pour une journée spéciale NVIDIA tout en vert…
À demain !
Thomas Veillet
Investir.ch
“The best kept secret in the investing world: Almost nothing turns out as expected.” Harry Browne