Hier New York a pris conscience d’une chose que l’on observait depuis un moment, mais qu’on préférait ignorer pour continuer à monter sans se poser de questions. Le retour à la réalité est assez violent puisque le marché américain s’est pris une volée de bois vert et pour une fois, ça n’est pas à cause des droits de douane ou d’une déclaration à l’emporte-pièce de Donald Trump. Hier la bourse américaine s’est fait exploser brutalement par une claque monumentale. Une de celles qu’on ne voit pas venir, ou alors qu’on regarde arriver en espérant qu’elle nous rate. Sauf que là, elle ne nous a pas raté. Et ce matin, le 20 ans est devenu soudainement notre pire ennemi.

L’Audio du 22 mai 2025

Télécharger le podcast

L’Europe et le décalage horaire (encore lui)

Si l’on revient rapidement sur ce qui s’est passé hier AVANT l’auction des bons du trésor américain, on notera que l’Europe n’a pas fait grand-chose dans un environnement plutôt attentiste dans cette semaine qui ne fournit que peu de données économiques. L’Allemagne a tout de même vécu son troisième record d’altitude en clôture et possède toujours un talent fou pour ne voir que les bonnes nouvelles. En effet depuis le rebond du mois d’avril, le DAX s’est mis des œillères et ne voit plus que le verre à moitié plein sur l’ensemble des nouvelles qui sont publiées. On ne voit pas ce qui ne va pas parce qu’on part du principe que ça ira mieux un jour avec le nouveau gouvernement qui imprime du pognon dans les sous-sols du Bundesrat et en revanche tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à une bonne nouvelle, sera amplifié et affiché en grand pour motiver les investisseurs. L’ouverture devrait être un peu moins drôle ce matin, mais toujours est-il qu’hier, quand les Américains ont commencé à entre-apercevoir le problème des bons du trésor à 20 ans, les Européens étaient déjà rentrés à la maison avec le sentiment du devoir accompli.

La France a terminé en baisse de 0.4%, le DAX grapillait donc encore 0.36% et la Suisse reculait de 0.22% avec Julius Baer qui a encore fait sauter la banque : 130 millions de francs de pertes nettes à cause de crédits pourris et d’un portefeuille hypothécaire qui sentait le moisi. Pas de lien avec l’ex-BFF autrichien René Benko cette fois, mais l’action a quand même plongé de près de 5%. Et comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, la banque parle d’une année de “transition” — traduction : ça va être long, douloureux, et probablement pas très rentable. Et puis, du côté de la guerre en Ukraine – vu que l’accord de paix ne vient pas et que tout le monde traîne les pieds – les budgets militaires européens sont donc tous en train de s’envoler comme au bon vieux temps de la Guerre froide. Avec Macron qui se prend pour un croisement entre Napoléon et le Général de Gaulle, les valeurs de la défense tricolore en profitent : Thales, Dassault Aviation et Dassault Systèmes grimpent gentiment. Sauf que la BCE, elle, commence à tousser. Hier l’équipe de Madame Lagarde a estimé qu’il fallait tout de même faire attention de ne pas dépenser n’importe comment, parce que dépenser à tout va, sans croissance économique, c’est la recette parfaite pour une dette qui dérape. Et quand on parle de dette en Europe, il y a deux-trois pays qui ne sont déjà pas au mieux de leur forme. Bref, on en reparlera. Peut-être pas tout de suite, mais on en reparlera. Pour l’instant, il est temps de se consacrer à la nouvelle star du jour : LE 20 ans américain.

L’oublié de la fête

D’habitude, personne ne parle de lui. Le 20 ans, c’est le vilain petit canard du monde merveilleux des bons du Trésor. Pas aussi populaire que le 10 ans, et pas aussi majestueux que le 30 ans. Il traîne dans un coin de la cour de récré, les mains dans les poches, espérant qu’on l’invite à venir jouer dans la cour des grands. Sauf qu’hier, il a décidé de jouer, mais comme il a pas trop l’habitude, non seulement il a pas demandé l’avis des autres mais en plus il a cassé les jouets de tout le monde.

En effet, alors que Wall Street se baladait plus tellement loin des plus hauts de tous les temps en se disant que ça serait super quand les Chinois et les Américains partiront en vacances ensemble, l’État américain a profité de l’ambiance printanière pour tenter de refourguer pour 16 milliards de dollars de ces fameuses obligations à 20 ans. Et là… SOUDAINEMENT … personne n’en a voulu. Ou plutôt, pour les placer, il a fallu promettre un rendement de 5.047% — au-dessus des 5% psychologiques. Et c’est là que tout est parti en vrille.

Petit Cours de Taux pour les Nuls (mais pas trop)

Avant d’aller plus loin dans le narratif du moment, on va prendre juste deux minutes pour faire un petit détour pédagogique, version « finance pour ceux qui veulent comprendre » – même pour moi, ça ne me fera pas de mal.

DONC : le taux d’un bon du Trésor, c’est comme une promo pour appâter le client. Plus le taux est élevé, plus tu vas recevoir d’intérêts. Mais si l’État doit proposer un taux plus haut que d’habitude, ça veut dire une chose TOUTE simple, c’est que les investisseurs n’en veulent pas. Et pour qu’ils se bougent les fesses et se décident à acheter, il faut les payer plus. Et dans le monde merveilleux de la finance, quand les taux montent, les prix des obligations baissent. C’est une histoire d’amour contrariée : taux et prix ne peuvent pas monter ensemble. C’est un couple dysfonctionnel. Donc hier, quand le taux du 20 ans a dépassé les 5%, c’est tout le marché obligataire qui a paniqué. Et quand le marché obligataire panique, généralement, du côté des actions, on ne résiste pas très longtemps.

Effet Domino, Tsunami et Frissons dans la Nuque

Une fois l’enchère terminée, la réaction a été immédiate. Le 10 ans a bondi à 4.595%, et le 30 ans est monté à 5.089%, son plus haut niveau depuis octobre dernier. Imaginez le gars qui a d’acheté des obligations la semaine dernière à 4,5% — il doit avoir l’impression d’avoir acheté un iPhone plein pot la veille de la sortie du nouveau modèle qui fait en plus le café. Mais ça n’est pas juste une histoire technique. Un taux à 5% sur 20 ou 30 ans, c’est un message. Presque un signal de détresse. Ça veut dire que les investisseurs demandent dorénavant une « prime de risque » pour prêter à long terme aux États-Unis. Et pourquoi ça me direz -vous ? Ben parce que, soyons honnêtes, l’Amérique vit à crédit. Et plus que jamais. Entre le Congrès qui prévoit d’ajouter 3’300 milliards de dettes avec des réductions d’impôts et un budget sans coupes prévues, les marchés se demandent qui va finir par payer l’addition. Ça fait d’ailleurs un moment qu’on se pose la question, mais hier le signal était clair – l’investisseur veut plus pour prêter de l’argent à un débiteur qui vit au-dessus de ses moyens et qui ne semble pas se résoudre à faire des efforts.

Et puis ça n’est pas tout, souvenez-vous que vendredi dernier, Moody’s avait downgradé la dette américaine. Alors même si ça n’a surpris personne, c’est un autre signe que la confiance qui a été donnée aux USA « par principe » depuis des décennies, est en train de partir gentiment en vrille. Ça n’est pas une immense surprise et on avait déjà noté deux-trois trucs qui n’allaient pas aux États-Unis, mais le rendement du 20 ans qui passe au-dessus des 5%, c’était un signe de plus qui ne fait plaisir à personne et qui va nous forcer à se concentrer un peu plus sur les taux d’intérêts. Sans compter qu’il y a deux personnes qui « apparemment » gardent les yeux rivés sur les taux ; Trump et Bessent. Et le Président ne peut pas se permettre de voir monter les rendements de cette façon, alors qu’il cherche absolument à faire baisser tout ça… Attention aux représailles.

Et Wall Street dans Tout Ça ?

Et puis, du côté de Wall Street, on n’aime pas les surprises. Ni les taux à 5%. Quand le rendement des obligations grimpe, ça veut dire que les rendements futurs des actions doivent être plus compétitifs. Et comme les entreprises ne vont pas soudainement doubler leurs profits juste pour le plaisir, la seule solution pour réaligner les planètes, c’est que les actions baissent. Donc on vend. On vend les actions, on vend les obligations anciennes (qui ne rapportent plus assez), et tout le monde regarde les taux comme on regarde une cocotte-minute prête à exploser. Le 10 ans, le 20 ans, le 30 ans : c’est Game of Thrones dans le monde des bons du Trésor. Et le Trône de Fer, c’est la barre des 5%.

Un 20 ans au-dessus de 5%, ce n’est pas un petit événement de marché. C’est un signal que les investisseurs ne font plus confiance aveuglément. C’est aussi un signe que l’économie, malgré tout ce qu’on nous raconte sur la résilience, le plein emploi et la fête post-Covid, commence à inquiéter. Ajoutez à ça des tensions sur les tarifs, un déficit budgétaire qui s’envole et une politique fiscale incertaine, et on obtient une marmite prête à déborder. Ce qu’on a vu hier, ce n’est pas juste une « mauvaise journée » à Wall Street. C’est une alerte. Une piqûre de rappel : l’argent gratuit, c’est fini. La dette américaine n’est plus sacrée. Et quand les taux longs dépassent les 5%, ce n’est pas seulement un chiffre, c’est un cri d’alarme que les marchés nous balancent en pleine figure.

La suite ? Tout dépendra de la suite des émissions obligataires, de la politique budgétaire, et surtout : est-ce que les investisseurs vont continuer à bouder l’oncle Sam ? Ou alors vont-ils revenir, mais avec des exigences de mafieux ? L’avenir nous le dira. Mais toujours est-il qu’hier le marché s’est pris une belle baffe et on se demande si c’est un accident de parcours ou s’il va falloir s’inquiéter un peu plus… et un peu plus longtemps. Même si la correction d’hier n’est peut-être qu’une « correction banale dans un bull market », la responsabilité du marché obligataire a de quoi nous faire nous poser des questions.

Graphique des rendements du 20 ans américain – source : Tradingview.com

La suite

Et pour le reste ? Ben ce matin, les marchés asiatiques ont viré au rouge ce jeudi, dans le sillage de Wall Street, plombés par la peur d’une économie US à la dérive et d’une dette publique qui déborde. Les valeurs tech ont pris le plus cher, surtout avec la hausse des rendements obligataires et les tensions autour des semiconducteurs entre Pékin et Washington. Au Japon, c’est l’activité économique qui patine sévère, plombée par les tarifs douaniers américains. Seule exception dans le marasme : la Chine, qui baisse un peu moins dans l’espoir d’un nouveau coup de pouce de Pékin. On peut toujours rêver. Le Nikkei recule de 0.89%, le Hang Seng abandonne 0.84% et la Chine limite donc la casse avec un « petit 0.3% ».

Du côté du pétrole, le baril a baissé pour la deuxième séance d’affilée : la rumeur d’une attaque israélienne contre l’Iran s’est dégonflée, et le marché a remis les pieds sur Terre. Les stocks de pétrole, d’essence et de diesel grimpent aux États-Unis, pendant que la demande d’essence recule… pour l’instant. Mais avec le week-end du Memorial Day qui arrive et ses 45 millions d’Américains sur les routes, ça pourrait vite changer. Pour l’instant, le WTI est à 61.65$ et l’or se traite à 3’336$. Et puis le Bitcoin est au plus haut de tous les temps et dans l’anonymat presque le plus absolu. La crypto-star est à 111’400$ à l’heure où je vous parle…

Les nouvelles du jour

Du côté des news du moment – en dehors des problèmes de confiance du 20 ans, on retiendra que Wolfspeed s’est littéralement effondré, direction les abysses – moins 60% à 1,28 $ après des rumeurs de dépôt de bilan imminent. Le Wall Street Journal parle d’un Chapter 11 en préparation, appuyé par une majorité de créanciers, le sapin est déjà commandé. Target dévisse de 5,2% après des résultats trimestriels en dessous des attentes : bénéfice ajusté à la ramasse et chiffre d’affaires en baisse de 2,8% sur un an. Le groupe s’attend désormais à un recul des ventes pour l’année, alors qu’il promettait encore une petite croissance il y a peu. Le tout, comme tous les retailers sans AUCUNE VISIBILITÉ. Après son rebond de la veille, UnitedHealth plonge de 5,7% : downgradée par tout le monde, les objectifs sont sabrés dans tous les sens. Ambiance fin de soirée et gueule de bois. Le CEO a claqué la porte la semaine dernière, l’entreprise a suspendu ses prévisions pour 2025, et cerise sur le gâteau : elle est dans le viseur du DOJ pour une possible fraude au Medicare. Oui, tout ça en une semaine. Sans compter que UNH aurait payé des maisons de retraites pour ne pas envoyer les patients trop vite à l’hôpital, histoire de faire des économies. La toute grande classe, ils ont l’air aussi sympa que nos assurances maladie à nous en Suisse.

Alphabet grimpait de près de 3% après sa conférence développeurs où Google a balancé une salve d’annonces autour de l’IA. Le clou du spectacle : le “AI Mode” qui va complètement réinventer la recherche en ligne, selon Sundar Pichai. Bon, beaucoup de promesses, mais faudra attendre quelques mois pour voir tout ça en action. Chez les retailers, Lowe’s recule de 1,7% malgré des résultats supérieurs aux attentes. La guidance annuelle est maintenue, mais le boss parle de vents contraires sur le marché immobilier. Traduction : on avance, mais sur un pied. Chez VF Corp, maison mère de Timberland et The North Face, on se prend un 16% dans les dents : chiffre d’affaires en baisse, trimestre décevant, et prévisions en recul de 3 à 5%. L’hiver s’annonce rude. Et puis Palo Alto Networks annonce des résultats solides et relève ses prévisions annuelles, mais le marché n’a pas aimé la guidance molle pour le trimestre à venir, résultat -6,8% malgré tout. Comme quoi, même dans la cybersécurité, faut pas décevoir la boule de cristal des analystes.

Et puis Jamie Dimon n’arrête pas de parler, selon lui, la stagflation n’est pas à exclure aux États-Unis. Entre les tensions géopolitiques, les déficits qui débordent et l’inflation qui colle aux baskets, le boss de JPMorgan voit plus un champ de mines qu’un « sweet spot ». Et il valide la stratégie de la Fed : on observe, on respire, et surtout… on ne fait rien dans la panique. Pas forcément des mots qui vont plaire à tonton Donald.

La journée des Pmi’s

Du côté des chiffres du jour, c’est un peu plus actif aujourd’hui, puisque nous aurons les PMI’s un peu partout dans le monde ainsi que les Minutes du dernier meeting de la BCE. Pour le moment, les futures tiennent le coup, l’Europe devrait ouvrir en baisse et il va encore falloir voir comment se comporte le marché obligataire et Donald Trump ces prochains jours, histoire de bien comprendre si nous sommes dans une tornade en formation ou si c’était juste un orage d’été !

Passez une excellente journée et on se revoit demain au même endroit et à la même heure !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Don’t worry about being famous or making money; the most important thing is being the best. You have to become a master of your craft, and everything else will come.” — Anastasia Soare