Plus ça va de l’avant, plus j’ai de la peine à me souvenir de « comment c’était quand Trump était Président la première fois ». Il me semble que nous étions très attachés à ses « tweets », mais que nous n’étions quand même pas aussi dépendants que nous le sommes aujourd’hui. En observant les marchés depuis 24 heures, je ne peux que constater la chute des volumes et la soudaine disparation de l’intérêt profond qui était le nôtre pour les marchés. Soit les gens se sont mis sur le banc de touche en attendant la prochaine histoire liée aux droits de douane, soit le délire de la semaine dernière est terminé et nous pouvons repartir dans notre train-train macro en attendant la prochaine crise.
L’Audio du 16 avril 2025
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En embuscade
Mais pour être franc, j’ai plus l’impression que nous sommes en embuscade, prêts à tout vendre et tout shorter ou à tout racheter et refaire du FOMO notre « moto ». Il paraît – en effet – peu vraisemblable que Trump se contente d’en rester-là et de laisser passer du temps, il a trop besoin d’être au premier plan et il a trop besoin d’obtenir un résultat concret pour pouvoir venir dire à la presse : « vous voyez, je vous l’avais dit ! »… Toujours est-il que la séance d’hier aura été triste et mortelle d’ennui avec des volumes qui donnaient l’impression que le week-end avait déjà commencé. Il faut dire que techniquement, demain c’est vendredi puisque cette semaine se terminera plus tôt aux États-Unis.
Toujours est-il que ça n’est pas parce que c’était calme, que Trump n’a rien dit, ou rien fait. Nous avons tout de même dû gérer l’aspect des voitures, puisque le Président avait montré son envie de desserrer l’étau sur le secteur. Secteur qui a d’ailleurs bien apprécié, surtout en Europe où la plupart des constructeurs récupéraient 2%, bien que l’on pouvait tout de même sentir quand même que les investisseurs étaient dans la méfiance, vu que Trump peut faire volte-face quand bon lui semble. Les marchés du Vieux Continent ont donc vécu une séance haussière plutôt intéressante, mais avec des volumes pathétiques qui laissaient à penser que tout le monde était sur la défensive. Finalement, si l’on devait faire abstraction de Trump, il ne restait que deux sujets à aborder :
1) La déception de LVMH qui perd son poste de PLUS GROSSE CAPITALISATION BOURSIÈRE en France et qui se fait passer devant par Hermès qui ne ressent visiblement pas le même stress sectoriel que son concurrent. Mais les experts expliquaient hier que si LVMH, c’est du luxe, Hermès c’est plus du luxe que LVMH. Donc, comme Hermès c’est plus du luxe, les gens qui ont PLUS d’argent n’ont pas encore réduit leur train de vie. Bref, LVMH a perdu 7% et quand on pense qu’il y a 1 an on aurait tué père et mère pour en acheter à 880, ça démontre encore une fois qu’on n’est pas grand-chose dans le monde de la finance et de la perception de la valorisation d’une société.
2) L’autre sujet du jour qui a troublé les investisseurs européens, c’est la BCE. Pour faire simple, Alors que Dame Christine envisageait de NE PLUS baisser les taux momentanément il y a encore quelques semaines – juste après le meeting de mars. Hier on a bien compris que la BCE allait à nouveau baisser les taux cette semaine. La méthode Trump pèse un peu trop pour la croissance européenne qui est déjà au bord du gouffre et la BCE ne peut pas se permettre de ne PAS AIDER, surtout que là tout de suite, les tensions inflationnistes ne sont vraiment plus une préoccupation, hier la France a même annoncé un CPI en baisse à 2.2%. Si même Bayrou avec ses deux de tension peut faire baisser l’inflation, c’est que tout le monde le peut et que ça n’est plus un problème. Pour faire simple, la BCE va baisser les taux, mais son discours restera « moins dovish » et laissera la porte ouverte à toutes les fenêtres, sachant que la visibilité économique – à l’ère Trumpienne – est presque aussi bonne qu’un matin d’octobre dans rues de Londres.
Trump et les métaux
Pendant que l’Europe pleurait la déchéance de Bernard Arnault, saluait la baisse des taux et se demandaient si l’on pouvait faire confiance à Trump sur le sujet des voitures, le Président américain était déjà passé à autre chose. Depuis hier et jusqu’à l’ouverture de ce matin, sa préoccupation principale, c’est les droits de douane sur les métaux rares. Donald Trump vient de dégainer une nouvelle offensive : une enquête est lancée pour potentiels droits de douane sur tous les minéraux critiques importés. Objectif ? Réduire la dépendance des États-Unis à la Chine, véritable superpuissance des métaux stratégiques (terres rares, cobalt, nickel, uranium…).
Et si vous vous posez la question : c’est quoi un métal critique ? Ben c’est tout simplement les métaux dont l’économie moderne ne peut plus se passer, mais que personne ne produit vraiment chez soi. En gros : on en a besoin pour faire tourner les smartphones, les voitures électriques, les Rafales pour se défendre contre Poutine et charger les Tesla.… mais on n’en a pas forcément chez soi et il faut aller le chercher chez quelqu’un. Et souvent, ce quelqu’un, c’est la Chine
Un métal est « critique » s’il remplit deux conditions :
1. Il est essentiel pour des secteurs stratégiques (défense, énergie, électronique, transition verte, etc…).
2. Il est à risque : soit parce qu’on en produit très peu, soit parce que l’approvisionnement dépend d’un pays instable ou pas très coopératif (genre la Russie ou la Chine).
Washington réalise enfin que son économie tourne avec des matières qu’elle ne maîtrise pas du tout. En cause : un retard industriel abyssal, des chaînes d’approvisionnement ultra-fragiles, et une unique mine de terres rares sur le sol américain. Pékin, qui contrôle l’essentiel du raffinage mondial, riposte déjà en limitant ses exportations. L’Amérique découvre, un peu tard, qu’elle a laissé filer des ressources clés… et maintenant, Trump veut taxer pour regagner le terrain perdu.
C’est encore une nouvelle étape dans sa guerre avec la Chine. Trump a d’ailleurs également proposé à la Chine de « se bouger » pour faire des propositions afin de régler le conflit. Soudainement le Président semble vouloir tendre la main. Le problème ? – Visiblement, Xi n’a pas envie de la prendre – pour le moment. Mais cette nouvelle sur les métaux critiques a fait un peu bouger les minières et elles bougent encore du côté de l’Australie ce matin, mais pour être franc, ça n’a pas impacté le marché dans sa globalité. Hier les indices américains ont terminé légèrement en baisse, comme si on avait envie d’y aller, mais il y a quelque chose qui nous empêchait d’aller de l’avant. La peur sans doute. La peur d’un nouveau dérapage douanier de la part de Donald Trump.
Le retour de manivelle chez Nvidia
D’ailleurs plus rien ne bouge et plus rien n’existe aux USA sans que ça passe par un double contrôle de l’éventuel impact que Trump pourrait avoir sur le business. Si vous voulez une preuve, il suffit de regarder ce qui s’est passé hier sur les semiconducteurs après la clôture du marché. Hier soir NVIDIA a annoncé qu’ils prenaient une charge exceptionnelle de 5,5 milliards. Pourquoi ? Ben parce qu’il y a quelques temps, la société avait développé des puces qui se nomment H20 – elle étaient spécialement conçues pour contourner les restrictions Biden en Chine. Mais pas de bol, dorénavant, ces puces nécessitent une licence d’exportation… que Washington n’a BIEN SÛR, aucune intention d’accorder. Résultat : invendus en stock, commandes annulées, inventaire à la casse… La Chine représentait encore 13% de ses ventes jusque-là. Et là : BAM !!! c’est quasi fini. Et pendant ce temps, Huawei se frotte les mains : on lui offre le marché chinois comme sur un plateau. Ironie du sort – pendant qu’on lui coupe les vivres sur la Chine, NVIDIA a annoncé un méga-investissement de 500 milliards aux États-Unis. Histoire de rester dans les petits papiers de Washington et de Trump.
Le titre s’est pris 6% dans les dents after close et a emmené AMD et Broadcom avec lui. Les analystes vont devoir ressortir leurs modèles et voir ce que ça change sur les projections de ces 10 prochaines années, mais ça sera sûrement revu à la baisse. À court terme, c’est douloureux. Mais à moyen terme c’est encore pire, puisque c’est un changement de paradigme, le message est clair : la tech américaine va devoir choisir entre vendre au monde entier, ou rester copine avec la Maison Blanche. À moins que Trump nous fasse un 180 degrés d’ici la fête du travail. Voilà et puis comme ça, on sait pourquoi les futures sont en baisse de 1% ce matin et pourquoi toute l’Asie est en berne, le Japon de 0.8%, Hong Kong de près de 3% et la Chine qui recule de 0.9%. Eh oui, vous aviez cru que l’épisode tarifs et guerre économique était terminé, j’espère que vous vous êtes bien reposé, parce que ça devrait durer encore un peu.
La Chine va mieux, mais ça c’était avant
La Chine a sorti son PIB et c’est plutôt pas mal : +5,4% de croissance au premier trimestre, bien mieux que prévu. Tout le monde applaudit… sauf les marchés, qui font la gueule comme si on leur avait servi du riz tiède et des raviolis vapeur végan à la place des crevettes.
Derrière ce feu d’artifice, il existe une réalité qui fait très mal : EH OUI, ENCORE EUX : les tarifs made in Trump – parce que ces derniers n’ont PAS ENCORE frappé et n’ont pas d’influence sur les chiffres publiés il y a quelques heures. Autant dire que – si la situation ne change pas rapidement – les prochains chiffres n’auront pas le même panache et tout cela pourrait vite tourner à un ouragan de catégorie 4 ou 5. Pour le moment, les ventes au détail s’envolent (+5,9%), l’industrie tourne à fond (+7,7%) – ce qui démontre que le stimulus mis en place par le gouvernement fonctionne, mais les économistes préviennent déjà : « C’était AVANT « . Et Maintenant ? Ben, les exportations risquent bien de plonger, la croissance aussi.
L’avenir est très flou et la relance devient urgente. Pékin pourrait sortir la planche à billets ou couper les taux pour éviter de finir l’année à 3% de croissance, comme un vieux diesel qui tousse en montée. Mais cela suffira-t-il et surtout : est-ce que Trump va les emmener jusque-là ??? Pour le moment c’est le dernier rayon de soleil avant un hiver qui pourrait durer des mois si l’on ne trouve pas de solution.
Et puis autrement, il y avait une vie en dehors des droits de douane, des métaux critiques et des semiconducteurs et ça s’appelle : les chiffres du trimestre. Hier nous avions Citigroup, Bank of America et Johnson & Johnson. Pour ce qui est de Citigroup, on pourrait résumé son trimestre en disant : « Quand la volatilité fait peur aux investisseurs… elle fait le bonheur des traders ». Citigroup a surfé sur les montagnes russes du premier trimestre, avec des commissions de courtage qui ont explosé et un bénéfice au-dessus des attentes. Moralité : quand ça tangue, y’en a toujours un qui vend les gilets de sauvetage, le titre finissait sa journée en hausse, mais sans euphorie non plus. Chez Bank of America, on s’en sort plutôt très bien, merci pour elle. Bénéfice en hausse de 11%, un consommateur qui tient encore debout (pour le moment) et un joli 7,4 milliards qui tombent dans les caisses. Le marché a bien aimé et le titre grimpait de près de 3%. Quant à Johnson & Johnson, malgré leurs problèmes juridiques, ils font toujours du chiffre. Résultats supérieurs aux attentes, le rachat d’Intra-Cellular Therapies qui leur a coûté 15 milliards devrait leur permettre de bien finir l’année après intégration. D’ailleurs, le chiffre d’affaires annuel a été relevé à 91,8 milliards. Le marché, lui, s’en fichait totalement un peu à l’image de l’ambiance d’hier : on a envie, mais on n’ose pas.
Le reste
Autrement, on notera que Jefferies a baissé son objectif sur le S&P500 de 6’000 à 5’300, ça n’est pas le premier et ça n’est pas le dernier, on sent que l’incertitude commence à peser sur les prévisions annuelles. Deutsche Bank est encore à 7’000 pour la fin de l’année, mais on peut prendre les paris pour savoir quand est-ce qu’ils vont publier leur révision à la baisse. Et puis, côté chiffres du jour, nous aurons les publications d’ASML, on s’attend à de la faiblesse, mais c’est surtout la visibilité du reste de l’année qui pourrait poser problème. Encore une fois ce trimestre, la question ne se posera pas sur les chiffres – on s’attend déjà au pire – mais c’est surtout sur la vision de l’avenir que ça va se jouer. Notez encore que ce soir Alcoa va également publier ses chiffres et ça sera sûrement intéressant étant donné le bal de la Maison Blanche, sans compter que l’on dit souvent que les chiffres d’Alcoa sont le baromètre de l’économie américaine…
Pour le reste, nous aurons le CPI en Europe, les ventes de détail et la production industrielle aux States. Il y aura aussi les business inventories, les inventaires pétroliers et le GDP NOW de la FED d’Atlanta. Et puis surtout, surtout, à 19h15 ce soir, il y a Powell qui va parler… Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin sur ce que son intervention peu déclencher. On sait qu’il ne se laissera pas influencer par les coups de boutoir de Trump, mais il va devoir aborder le problème de l’inflation qui baisse et des taux qui ne baissent pas… Et le fait que les tarifs vont RE-générer de l’inflation comme excuse, ne suffira pas… Je suis au moins certain d’une chose, il y aura des choses à dire demain !
Passez une excellente journée et on se reparle demain, même heure et même endroit… Je précise au passage que si vous n’avez pas envie de rater la moindre de ces chroniques matinales et que vous voulez vraiment comprendre la Bourse sans vous endormir au bout de deux lignes. Alors n’hésitez pas à vous abonner à notre newsletter sur Investir.ch ! Chaque matin, on vous livre l’actu des marchés avec un bon café, une dose d’humour (noir parfois), et surtout : zéro langue de bois.
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À demain
Thomas Veillet
Investir.ch
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