La semaine a donc commencé dans le rouge. Comme on pouvait s’y attendre. Cependant, ça n’était pas rouge pour tout le monde, puisque les Américains ont tout de même trouvé moyen de nous faire un REVERSAL dont ils ont le secret. Le passage du mode panique au mode « il est temps d’acheter sur faiblesse », aura été méga-violent (encore une fois) alors que l’Europe pansait ses plaies en attente du « Liberation Day », les marchés US ont fait un 180 degrés pour terminer avec le plus gros « recovery day » jamais vu depuis 3 ans. Et ça, à 48 heures d’une annonce d’une ampleur biblique sur les tarifs douaniers. En résumé, c’est soit la plus grosse arnaque du siècle, soit un coup de génie.
L’Audio du 1er avril 2025
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On se pose des questions et on n’a pas vraiment de réponses
Le plus compliqué dans cette histoire, c’est de comprendre POURQUOI le marché a tourné la veste comme ça au fond du trou. Non, parce qu’on ne se pose pas trop de questions sur le plongeon de l’Europe – tout le monde a bien compris que les Européens sont terrorisés par les annonces qui pourraient être faites par Donald Trump, sachant qu’ils sont quand même en première ligne. Mais du côté des Américains, lorsque l’on mesurait la peur qui planait sur Wall Street dimanche soir et lundi matin, il faut tout de même reconnaître que ça n’est pas simple de justifier un rebond de cette ampleur.
Alors oui, on peut largement imaginer que, comme les indices ont été tester de nouveau « plus bas » à court terme et que les cassures techniques n’ont pas été suivies par de ventes massives ET QU’EN PLUS, on était le dernier jour du trimestre et que pas mal de monde en a profité pour nettoyer certains portefeuilles et prendre les profits sur les shorts… On peut peut-être aller creuser dans cette direction. Mais en revanche il faut bien avouer que la théorie du « on a vu la capitulation, donc je rachète », est un peu tirée par les cheveux. Pourtant, elle existe, je l’ai lu ce matin. Le problème, c’est que parler de capitulation lorsque la VIX fait des pics à 24.80%, ça me paraît aller un peu vite en besogne. Enfin, toujours est-il qu’hier, après avoir fait un « plus bas » à 5486 – soit quelques points sous le support technique et psychologique des 5’500 sur le S&P500, on est reparti à la hausse comme si on était le lendemain de Liberation Day et comme si Trump était DÉJÀ revenu en arrière sur ses décisions.
Fin de trimestre
Quoi qu’il en soit, même si la clôture américaine en terrain positif en a surpris plus d’un, il faut tout de même reconnaître que le bilan du trimestre n’est pas terrible. Le S&P500 aura perdu 4,6 % depuis le premier janvier et un trimestre pourri comme ça ne s’était plus produit depuis les trois premiers mois de 2022. On avait pourtant bien commencé l’année avec de GRANDES ESPÉRANCES vis-à-vis de l’arrivée de Trump. Et puis on a très vite été refroidit par l’utilisation diverse et variée des tarifs douaniers. Vous ajoutez à ça, le consommateur qui commence à perdre confiance, voire même ; à douter. On y rajoute un soupçon de craintes liées aux politiques protectionnistes de Trump et vous ne tarderez pas à voir arriver les stratégistes qui vous parlent de Stagflation ou de Récession. Je n’invente rien, si vous lisez le Wall Street Journal, MarketWatch et le Barron’s, je vous promets que vous en trouverez – des références à ces deux situations. Pourtant, il n’y a pas si longtemps que ça, si vous aviez eu l’outrecuidance d’aborder un des deux sujets, vous risquiez l’internement psychiatrique.
On voit bien que l’investisseur, l’analystes, le stratégiste et le gars qui va chercher les cafés à la machine pour les trois précédents, ont tous tendance à avoir des humeurs qui varient plus vite que les rumeurs sur les tarifs douaniers. La seule chose à laquelle on peut encore se raccrocher, c’est que lorsque l’on se penche dans les statistiques du passé, on se rend compte « qu’en général », quand on a un premier trimestre de merde, le second est « généralement » meilleur. C’est rassurant. On se souvient quand même que la finance n’est pas une science exacte, mais c’est rassurant quand même. Parce que dans ces périodes de doute, on a quand même besoin d’être rassuré. Même si ça ne dure que trois minutes.
Hier encore
Nous avons donc vécu un REVERSAL de derrière les fagots et nous sommes passés de « on va tous mourir mercredi » à : « mais si on meurt pas, c’est l’opportunité d’achat d’une vie ». En effet, il faut quand même bien comprendre que quand le Nasdaq se prend 15% dans les dents en 6 semaines, c’est qu’on a quand même « discounté » pas mal de choses. On sait que l’économie ralentit. On sait que l’emploi ne va pas bien (même si on n’aime pas trop le dire). On sait que le combat contre l’inflation va durer encore un moment. Et on sait que si la FED baisse trois fois les taux cette année, c’est clairement Byzance. Il y a même des gens qui savent et qui anticipent déjà une récession ou une stagflation. On peut donc assez facilement se dire – À MOINS QUE TRUMP colle des tarifs de 100% à la planète entière – que le marché a anticipé pas mal de choses. La preuve, il a même anticipé le rebond d’APRÈS l’annonce des tarifs de mercredi. Pourvu que ça tienne.
Par contre, il faut quand même signaler trois évènements qui n’ont rien à voir avec les Tarifs Douaniers :
1) Plusieurs Analystes sont angoissés à l’approche de la publication des chiffres des livraisons de Tesla. À deux jours de la publication des chiffres pour les livraisons du premier trimestre, les analystes revoient leurs copies à la baisse. Entre les tarifs douaniers qui pèsent sur les pièces importées, les polémiques autour de Musk et les ventes d’autocollants « j’ai acheté une Tesla avant que Musk devienne dingue » qui explosent, sans compter les chutes des ventes en Allemagne et en France, on a des raisons de s’inquiéter. Hier, Stifel a coupé ses prévisions de livraisons de 23%, Baird et Wedbush ont suivi. Même le plus bull des bulls, Dan Ives, s’attend à un trimestre “très mou”. Pourtant, tous restent “positifs à moyen terme”, comme s’ils cherchaient une lueur dans les phares. On a un consensus de 377’000 voitures livrées, mais le marché se contenterait largement d’un « 360’000 ». Plus bas, ça risque de rallumer le feu sous les fesses de Musk. Le titre est en baisse de 37% depuis le premier janvier et le target moyen est de 358$ – soit un potentiel de 40%, mais faut oser. Et aujourd’hui, la trouille prend le dessus. Musk, lui, continue de jouer au funambule entre génie visionnaire et boulet politique.
2) Il y a aussi du rififi dans la biotech puisque Peter Marks, directeur du Centre d’évaluation et de recherche sur les produits biologiques de la FDA serait sur le point de se faire foutre dehors. Marks avait soutenu les programmes qui ont accéléré le développement des traitements contre les maladies rares et des thérapies géniques au cours de son mandat et a joué un rôle essentiel dans la mise au point des vaccins contre le COVID-19. Du coup, en l’absence de ce soutien, le secteur de la Biotech tout entier était en mode panique. Moderna s’est pris 9% dans les dents sur la nouvelle et n’a même pas profité du rebond du marché. C’est encore un effet de la politique de Trump, sans aucun doute.
3) Et puis petite IPO sexy : Newsmax, quatrième chaîne câblée aux USA la mieux notée et un peu conservatrice dans la mouvance Trumpiste a été mise en bourse hier. Pricée à 10$, elle a clôturé à 83.50$ en hausse de 735% et elle prenait encore 17% after close. Mais il n’y a aucune manipulation. La taille de l’IPO était microscopique et le flottant pathétiquement bas. La sortie risque d’être drôle.
En Asie et le décodage pour demain
Ce matin en Asie, les marchés sont sur les pattes arrière et attendent patiemment d’en savoir plus sur les tarifs. Le Nikkei est immobile, tout comme la Chine. Hong Kong récupère 1%. Le pétrole est à 71.63$ et s’est envolé après les menaces de Trump de vouloir taxer le pétrole russe. L’or continue de monter comme si de rien n’était. L’once se traite à 3’175$ et le Bitcoin et dans le coma à 83’000$.
Mais revenons au sujet de la semaine : Le Liberation Day ou, autrement dit la publication de la réciprocité des tarifs douaniers selon Trump 2.0. J’ai essayé de mettre bout à bout ce que l’on sait, autant être le mieux informé possible pour tenter d’y voir quelque chose. Donc, c’est officiel : ce mercredi, Donald Trump va s’offrir son moment « Churchill » sauf que lui il ne va pas débarquer en Normandie mais se contenter de balancer une avalanche de taxes douanières sur tout ce qui bouge, importe, roule, pétille ou brille à l’étranger. Pour lui, c’est le “Jour de la Libération”. Pour les marchés, les entreprises et les consommateurs : ça sent plutôt le début de la baston tarifaire de l’année. Peut-être même de la décennie.
Ce qu’on sait ? Ben, on ne sait pas grand-chose. Ce qu’on soupçonne ? Là il y a du lourd Et ce qu’on craint ? C’est encore pire.
Le plan initial, selon les bruits de couloir, c’était d’imposer des tarifs ciblés sur une quinzaine de pays surnommés les “Dirty 15”. Propre, précis, chirurgical et très Inspecteur Harry dans l’esprit. Mais dans le monde merveilleux de Donald Trump, les scripts bien écrits ne tiennent que très rarement plus de 48 heures. Dimanche soir, à bord d’Air Force One, Trump a lâché une petite bombe : “Pourquoi 15 pays ? On commence avec tout le monde, et on verra bien.” Autant dire que depuis là, tout le monde y va de sa propre spéculation, le Wall Street Journal parle déjà d’un tarif unique et universel de 20% sur tout ce qui rentre aux USA. Sans aucune distinction. On met tout le monde dans le même panier. Le concept du “tu me taxes, je te taxe” semble avoir dégénéré en : « on tire d’abord et on causera plus tard ». Inspecteur Harry, je vous dis…
Les chiffres qui font tourner les têtes
Peter Navarro, le conseiller économique en chef a d’ailleurs commencé à balancer des chiffres, il parle de 100 milliards de recettes sur les voitures importées, 600 milliards par an avec les nouvelles taxes, soit 6’000 milliards sur 10 ans. C’est le Jackpot et le gouvernement Trump est en train de faire sauter la banque. Sauf que… Oui, sauf que les économistes sont nombreux à hausser un sourcil — voire deux. Car plus tu taxes, moins tu importes, donc moins tu récoltes. Et si les produits étrangers deviennent trop chers, les Américains achèteront moins. Et s’ils achètent moins, les marges des entreprises fondent, les bénéfices partent en vrille, les marchés se pètent la figure… Bref je ne vous fais pas un dessin.
Les entreprises en panique logistique
Sur le terrain, c’est une panique modérée. Les entreprises se ruent sur les stocks pour passer entre les gouttes avant la date butoir. Résultat : les ports débordent, les entrepôts explosent, et personne ne sait vraiment ce qui est taxé, ce qui ne l’est plus, et ce qui le sera dans trois jours. Résultat : du flou, des containers bloqués, et une facture logistique qui flambe. Et pendant que les douaniers jouent à “ni oui, ni non” avec les formulaires d’exemption, les consommateurs réagissent à leur manière : boycott. Au Canada, les voyages vers les USA s’effondrent de plus de 70% pour l’été à venir. Et c’est plus ou moins similaire du côté de l’Europe. Peut-être qu’aller aux States en vacances, va valoir la peine cette année, au moins ça sera calme.
Le moral plonge et l’économie vacille
Un sondage de la « National Association of Manufacturers » montre que 76% des industriels placent l’incertitude commerciale comme leur principale préoccupation. Ils étaient 36% six mois plus tôt. On freine les investissements, on reporte les embauches, on revoit les plans de production. Et tout ça alors que l’administration Trump vend cette stratégie comme un booster de l’industrie. Ironique, non ? Les économistes parlent maintenant ouvertement de stagflation : ce fameux cocktail empoisonné de croissance molle et d’inflation galopante. Et puis y a la Chine ! La Chine, elle, elle ne rigole pas vraiment. Alors qu’elle lutte pour sortir du gouffre, on la surtaxe de 35% et elle pourrait contre-attaquer en dévaluant le yuan. Ce qui rendrait ses produits plus compétitifs, mais envenimerait encore plus les relations commerciales avec les États-Unis. Et fragiliserait aussi ses concurrents exportateurs… dont les États-Unis eux-mêmes. Le serpent qui se mord la queue, version 2025.
Du coup, à ce stade réflexion, on commence à se demander si le plus grand danger n’est pas l’effet domino : baisse de consommation, chute des marges, incertitude généralisée, désinvestissement, montée de la défiance, et… sell-off mondial. Récession, Krach boursier, faillites en cascade et j’en passe et des meilleures.
Ce mercredi, Trump espère nous vendre du rêve avec son “Liberation Day”. Mais sous le feu d’artifice verbal, la réalité, c’est un cocktail explosif d’incertitude économique, de stratégie floue, de réactions en chaîne et de marchés sous pression. Ça pourrait marcher. Peut-être. Mais ça pourrait aussi exploser en vol, et emporter le reste avec. Mais au-delà de l’aspect économique des choses, on peut se demander COMMENT LE MARCHÉ va prendre les choses. Parce qu’à la fin, ce qui compte, à Wall Street, c’est la performance de l’année, pas les considérations et les réflexions secondaires de Main Street. Enfin, jusqu’à que Main Street descende dans la rue.
Les attentes du jour en attendant demain
La bonne nouvelle c’est que demain, on y verra plus clair et on fera moins de spéculations. En attendant, on va pouvoir s’occuper du PMI Manufacturier en France, en Allemagne et en Europe. Il y aura aussi le CPI Européen. Aux USA, nous aurons l’ISM Manufacturing PMI et les JOLTS, on attend 7’69 millions d’offres d’emploi. On va rire.
Pour le moment, l’incertitude prévaut et personne n’est convaincu du rebond d’hier. Les futures sont en baisse de 0.42% et je vous garantis que cette chronique est 100% « poisson d’avril-free » – on pourrait parfois croire que ça n’est pas le cas, mais je vous jure que c’est le monde dans lequel nous vivons. Passez une excellente journée et on se voit demain pour se préparer au choc des annonces.
À demain !
Thomas Veillet
Investir.ch
« Now You Know Why They Call Me ‘Dirty Harry’. I Get Every Dirty Job That Comes Along. »
Harry Callahan (Clint Eastwood) – Dirty Harry (1971)