En général dans le monde la finance, on a toujours de la peine à regarder la photo économique mondiale d’une façon « globale ». On est nettement plus fort pour se concentrer sur quelques points importants en délaissant la majorité du reste. Souvent nous sommes concentrés sur l’emploi, l’inflation et la croissance économique. C’est en tous les cas ce qui nous préoccupait depuis des mois. Sauf que là tout de suite, nous avons trouvé un nouveau cheval de bataille, une nouvelle obsession qui a réussi à effacer tout le reste. Oui, vous avez deviné ; depuis l’investiture, la nouvelle danseuse de Donald Trump ; « LES TARIFS DOUANIERS », ont pris le pas sur le reste. Et hier c’était pire.

L’Audio du 28 mars 2025

Télécharger le podcast

Recalage de l’inflation

Je vais vous demander un effort surhumain pour un investisseur : essayez de vous remémorer les 5 dernières années. COVID, injections monétaires, soutiens gouvernementaux, puis démarrage de l’inflation. Une inflation sous contrôle et transitoire. Ah non, tiens, pas transitoire et pas sous contrôle du tout. On doit donc monter les taux – ET VITE – pour freiner ladite inflation. Finalement, ça fonctionne, mais l’emploi et la croissance semblent commencer à en ressentir les conséquences. Et puis Trump est élu. Il arrive à la Maison Blanche alors que nos préoccupations principales sont le CPI – qui refuse de baisser – le PPI – qui fait pareil – et le marché de l’emploi qui semble en grande difficulté depuis des mois avec des chiffres qui sont sans cesse révisés à la baisse et calculé avec un boulier d’école enfantine au Bureau of Labor Statistics. Et puis aussi le PCE, qui est LA MESURE PRÉFÉRÉE DE LA FED POUR JUGER DE L’INFLATION. Depuis près d’une année, à chaque semaine suffit sa peine et nous avançons, pas à pas, jour après jour, de chiffre économique qui vont changer la donne en chiffre économique qui va plus changer la donne que l’autre chiffre économique qui devait déjà changer la donne. Et tout ça, en attendant le PROCHAIN chiffre économique qui LUI va VRAIMENT pouvoir changer le destin de l’économie américaine. Et donc du reste du monde.

On ne va pas se mentir, vous savez que j’ai raison. Et puis lors les votations américaines, on s’est quand même posé la question des « tarifs douaniers » qui pourraient augmenter globalement les prix et redonner un coup de « boost » à l’inflation. On s’est demandé si le fait de baisser les impôts pour stimuler l’économie ne pourrait avoir un effet haussier sur l’inflation. Et à chacune de ces questions, le marché, les experts, ont balayé la chose du revers de la main en disant que « NON, NON, ça ne devrait pas avoir autant d’impact que cela ». Pourtant, depuis une bonne quinzaine, on a commencé à ADMETTRE que oui, les tarifs douaniers pourraient bien finir par avoir un impact réel sur l’inflation. Oui, parce qu’aussi fou que cela puisse paraître, si une entreprise doit subir l’augmentation d’une matière première qui est soumise aux tarifs, il se pourrait qu’elle répercute cela sur les prix à la consommation. Elle pourrait aussi réduire ses marges et gagner moins d’argent pour faciliter la vie du consommateur. C’est un fait. Mais en même temps, ça ne les arrange pas à cause de l’argent.

Désintérêt

Tout ça pour vous dire que nous sommes dans un monde qui est inflationniste depuis 5 ans et même si le processus de hausse des taux a aidé à freiner quelque peu l’inflation, les prix réels ont augmenté de près de 30% sur 5 ans. Sauf que pas votre salaire. Pas votre revenu et pas la performance de votre entreprise. Enfin, pour la majorité. L’inflation et notre combat contre cette dernière est réellement important et cela devrait nous préoccuper au plus haut point. Tout comme la publication du PCE qui sortira cette après-midi. Vous voyez où je veux en venir ? Non ? Bon, alors je continue. Cette après-midi le PCE va sortir et en temps normal – je dis bien EN TEMPS NORMAL, avec trois « A » à normal et aussi 4 « L » – ce chiffre devrait préoccuper tout le monde et surtout les experts du monde merveilleux de la finance.

Sauf que visiblement – à lire la presse et les médias – tout le monde s’en tamponne le coquillard comme de sa première cravate, puisque TOUT LE MONDE, sans exception, ne se concentre uniquement et SEULEMENT sur les tarifs douaniers du jour de la LIBÉRATION qui devrait intervenir le 2 avril. Vous savez, ces fameux tarifs de RÉCIPROCITÉ qui sont censés mettre tous les pays du monde sur pied d’égalité avec l’Amérique qui va devenir GREAT AGAIN. Curieusement, il n’y a plus que ça qui nous obsède et pourtant, quand on voit la capacité de Trump à changer d’avis, tourner la veste, en remettre une couche avant de tourner la veste et changer d’avis à nouveau, on peut largement se dire que tout mettre sur le rouge et parier uniquement sur la probabilité que les tarifs annoncés le 2 avril soient fermes et définitif semble parfaitement utopique, vous en conviendrez. Au-delà de « parfaitement utopique », on peut carrément dire que ça serait débile de croire que ça va « s’arrêter là ».

La capacité de réflexion d’une moule avariée

Pourtant, lorsque l’on prend le temps de lire et d’écouter ce qui se dit au sujet des marchés financiers, on ne parle plus d’inflation, on ne parle plus de croissance économique, on n’ose même plus parler d’emploi qui ralenti. Ben non, forcément, puisque nous sommes trop occupés à analyser l’impact que « POURRAIENT » avoir des tarifs douaniers qui POURRAIENT être annoncés le 2 avril et qui POURRAIENT être définitifs, mais qui POURRAIENT également être du pipeau et changer 212 fois avant qu’ils soient implémentés définitivement. Ça, on le sait. Vous le savez, les banquiers le savent, les politiciens le savent et même Donald Trump le sait. Mais malgré tout ça, on ne parle que d’un truc qui pourrait se produire – au conditionnel – avec des conséquences que l’on a du mal à définir et tout cela nous permet quand même de mettre de côté des chiffres qui nous ont obsédés et hantés nos nuits depuis 5 ans. Ce matin j’ai lu Marketwatch, j’ai lu le Barrons, j’ai été sur Investing.com, j’ai été sur Zonebourse, j’ai passé du temps sur Bloomberg, CNBC, un peu le FT. J’étais sur X dans tous les sens et les gens parlent de quoi ?

Oui, vous avez raison, ils parlent du jour de la libération et des tarifs douaniers. Je n’ai pas vu de mention de l’inflation, du PCE qui sort tout à l’heure, ou même des chiffres de l’emploi qui sortiront vendredi prochain APRÈS LE JOUR DE LA LIBÉRATION… On ne parle que et uniquement des tarifs douaniers. Hier c’était les tarifs douaniers sur les voitures qui étaient un peu plus le centre du monde que le reste, mais en filigrane, tout le monde attend le 2 avril. Alors oui, on sait que le fait que les voitures qui seraient importées dorénavant (SI TRUMP MAINTIENT SON PLAN MACHIAVÉLIQUE, parce que c’est même pas sûr) et bien ces voitures coûteraient plus cher. On est même allé chercher les chiffres pour savoir combien de voitures sont produites à l’étranger pour chaque marque, histoire de bien soupeser l’impact de ces tarifs. Ford fabrique environ 80 % des voitures qu’ils vendent aux États-Unis, aux Etats-Unis, c’est donc le constructeur le moins impactés. Chez Honda le chiffre est de 65 %. GM et Stellantis sont à 55 %. Toyota, c’est une sur deux, comme chez BMW. Mercedes descend à 40%. Ça commence à se gâter chez Hyundai et KIA qui font venir 65% de leurs voitures depuis l’étranger et c’est la cata chez Volkswagen, Audi et Porsche qui importent 80% de ce qu’ils vendent. Et la marque qui s’en sort le mieux, c’est bien évidemment Tesla, puisque 100% des voitures vendues aux USA sont fabriquées… AUX USA… Pure coïncidence, bien sûr. Je vous laisse faire votre réflexion personnelle sur le sujet, mais si jamais vous vous demandez, c’est POUR ça que le marché était en baisse hier. Et à en croire les commentaires que j’ai pu lire à droite et à gauche, c’est UNIQUEMENT pour ça, puisque rien d’autre que les tarifs douaniers de nous intéresse en ce moment. En ce moment Nous sommes mono-produit quand il s’agit de prendre nos décisions d’investissement. Il ne se passe plus rien d’autre.

La conséquence logique

Le Japon est en baisse de 2% ce matin ? C’est à cause des tarifs. Le pétrole frise les 70$ ?? Les tarifs encore, tout comme c’est les tarifs qui justifient le prix de l’or au-dessus des 3’100$ et le Bitcoin à 86’500$, ou encore la baisse de Shanghai et Hong Kong. Ou même la sous-performance des semiconducteurs ou des Magnificent Seven. Tout n’est que tarifs et uniquement tarifs. Ne cherchez pas plus loin. Enfin, pour le moment. On vous fera signe de chercher plus loin le 3 avril. Quand les tarifs seront publiés, adoubés, validés et qu’ils rendront l’Amérique Great Again. À moins que soit le 5 avril. Ou peut-être le 7 avril, mais le 7 avril 2026…

Et puis, si vous aviez un doute, lorsque vous allez vous renseigner sur le volumes des transactions et sur les activités des investisseurs, vous vous rendrez compte que les Européens ont retiré massivement leurs investissement des fonds américains ces dernières semaines et qu’en même temps, ces derniers jours, alors que la volatilité est repassée au-dessous des 19%, il semblerait que de plus en plus d’investisseurs américains achètent massivement des options à relativement court terme pour « jouer l’après Liberation Day ». Les options sont achetées sur les indices et sur les Magnificent Seven, reste à parier dans la bonne direction, mais disons qu’aujourd’hui, là, ce matin, à l’heure où tout le monde se fout totalement de tout, sauf des tarifs, j’ai l’impression qu’on est tous en train de jouer un moment unique, ultra-violent dans un sens ou dans l’autre. Comme le disait un analyste hier soir aux USA :

« Les tarifs seront soit extrêmement bien pris par le marché ou alors, ils seront extrêmement MAL pris par le marché »

Il n’y aura pas de demi-mesure et on est en train de se monter la tête pour se dire qu’il y aura un AVANT le 2 avril et un APRÈS le 2 avril. C’est une certitude. Ou en tous les cas une QUASI-CERTITUDE, sachant que l’on a dû utiliser cette phrase : « il y aura un avant et un après », environ 850 fois depuis que l’on a compris que le COVID n’avait rien à voir avec les pangolins. On a utilisé cette phrase à chaque publication du CPI, du PCE, des Jobless Claims et des fois mêmes des JOLTS, ou même pour les chiffres de Nvidia depuis 4 trimestres. Mais là, cette fois C’EST VRAIMENT SÛR, il y aura un avant et un après… C’est complètement con de le dire, mais c’est comme ça.

En conclusion

Voilà. C’est vendredi. Il y aura le PCE dans quelques heures, mais tout le monde s’en fout, parce que « tu comprends, y a les tarifs ». Alors autant vous dire que le climat de consommation en Allemagne devrait intéresser les gens à peu près autant que le dernier Blanche Neige de chez Disney, tout comme le CPI français n’intéresse plus personne depuis que Macron se prend pour De Gaulle avec 80 centimètres d’écart en hauteur et des années lumières d’écart du côté du charisme. Bref aujourd’hui, demain ce week-end et jusqu’au 3 avril, on ne va parler PLUS QUE DES TARIFS et c’est même pas une blague !

Bon week-end à tous et on se voit lundi pour parler des tarifs, de Trump et peut-être du PCE de tout à l’heure, mais c’est pas sûr !

À lundi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“If you find three wonderful businesses in your life, you’ll get very rich.”

Warren Buffett