La stratégie européenne pour une énergie propre
Par Océane BALBINOT-VIALE, Analyste pôle de recherche ESG, Crédit Mutuel Asset Management
Pris entre une transition énergétique ambitieuse et les dures réalités de la compétitivité industrielle ainsi que des turbulences géopolitiques, l’Europe se doit de renforcer sa stratégie énergétique. Le Clean Industrial Deal (CID)[1] de l’Union Européenne ne se limite pas à une simple directive climatique, il souligne que l’énergie abordable est un déterminant clé de la souveraineté énergétique et de la compétitivité industrielle. En faisant de l’énergie abordable une priorité, le CID marque un tournant vers une approche plus interventionniste. Toutefois, sa forte dépendance à l’égard des contrats à long terme d’approvisionnements en énergie propre (Power Purchase Agreements -PPAs & Contracts for Difference -CFDs) ainsi qu’aux interconnexions électriques soulève des interrogations quant à la capacité de l’Europe à se prémunir contre la volatilité des marchés et les dépendances extérieures.
Alors que le CID désigne l’énergie abordable comme un moyen de garantir la viabilité industrielle, il reconnait implicitement le désavantage structurel de l’Europe en termes de coûts énergétiques par rapport aux États-Unis ou à la Chine. Depuis plusieurs années, les prix élevés de l’énergie constituent un frein à la compétitivité de l’industrie européenne en particulier dans les secteurs à forte intensité énergétique où les coûts de production sont particulièrement sensibles aux fluctuations des prix de l’énergie[2]. Si les contrats PPAs et CFDs offrent une certaine visibilité sur les prix, ils ne répondent pas à la question de savoir si l’Europe sera en mesure de produire localement suffisamment d’énergie propre à des prix compétitifs au niveau mondial et ainsi réduire son exposition aux chocs énergétiques externes.
Les enjeux stratégiques de la politique énergétique du CID deviennent plus clairs lorsqu’on considère la dépendance de l’Europe vis à vis des matières premières critiques, indispensables à sa transition vers les énergies propres[3]. Bien que le CID s’efforce d’apporter une réponse via la mise en place d’une agence centrale d’achat et de stockage (Centre européen des matières premières critiques), cette initiative ne saurait à elle seule réduire la dépendance de l’Europe à l’égard d’une sélection de fournisseurs uniques, dont la Chine[4]. En conséquence, l’Europe demeure vulnérable aux éventuelles perturbations de la chaîne d’approvisionnement et aux pays non-membres de l’UE disposant d’un levier géopolitique.
Le rôle de l’énergie nucléaire dans le cadre du CID met en lumière des défis considérables quant à la quête d’une souveraineté énergétique européenne. Les coûts d’investissement élevés, les délais de mise en œuvre prolongés ainsi que les sensibilités politiques soulèvent des questions quant à sa viabilité en tant que solution à court terme pour permettre l’accès à une énergie abordable. Là encore, la dépendance de l’Europe à l’égard des fournisseurs extérieurs pour les principales composantes du cycle du combustible nucléaire[5] met en évidence les vulnérabilités persistantes à atteindre une autonomie énergétique. Toutefois, l’engagement du CID en faveur de la « neutralité technologique » permet au nucléaire de jouer un rôle croissant dans la transition énergétique propre. Avec l’appui d’États membres tels que la France, l’énergie nucléaire peut venir compléter les solutions d’énergies renouvelables en fournissant une source d’énergie stable et à faibles émissions de carbone. Elle pourrait ainsi devenir un pilier essentiel de la stratégie énergétique européenne à long terme.
Le succès du CID pour renforcer le réseau électrique européen et intégrer les marchés de l’énergie à travers les différents États membres reposera, in fine, sur sa capacité à surmonter des défis majeurs. Un réseau énergétique plus interconnecté ne se traduit pas nécessairement par une réduction des coûts[6], en particulier si les capacités renouvelables domestiques ne parviennent pas à croître au rythme requis pour répondre à la demande industrielle. De plus, bien qu’une flexibilité accrue du réseau électrique puisse contribuer à contenir les fluctuations de l’offre[7], elle n’élimine pas pour autant la dépendance de l’Europe aux importations énergétiques. Cela étant, en réduisant les obstacles réglementaires pesant sur l’interconnexion et en investissant dans des infrastructures transfrontalières, le CID établit les bases d’un système énergétique plus résilient.
De même, la tentative du CID visant à limiter l’exposition de l’Europe à la volatilité des marchés du gaz par le biais d’achats groupés constitue un aspect intéressant de son approche en matière de souveraineté énergétique. En effet, la stratégie du CID comporte des risques intrinsèques : parvenir à négocier des conditions plus avantageuses suppose que l’Europe conserve un pouvoir de négociation suffisant dans un paysage énergétique de plus en plus compétitif. De plus, sans une pression simultanée en faveur du développement des alternatives renouvelables, ces mesures d’achats groupés pourraient renforcer la dépendance de l’Europe au gaz naturel plutôt que la réduire.
L’approche de CID en matière d’énergie abordable apporte un soulagement essentiel pour l’industrie, tout en posant les fondations d’un avenir plus durable et plus résilient. Il sera crucial de pallier les vulnérabilités structurelles en renforçant les engagements en faveur de la production domestique d’énergie, en adoptant une politique industrielle plus proactive et en sécurisant les chaînes d’approvisionnement critiques, afin de tirer pleinement parti du potentiel du CID. La dynamique créée par le CID offre toutefois l’opportunité à l’Europe de redéfinir son environnement énergétique, en transformant les défis en catalyseurs pour l’innovation et la sécurité à long terme, et de se positionner comme leader mondial de l’énergie propre et indépendante.
[1] Clean Industrial Deal – European Commission
[2] Competitiveness of European Energy – Intensive Industries
[3] Meeting the costs of resilience: The EU’s Critical Raw Materials Strategy must go the extra kilometer
[4] Ibid
[5] Analysis of Nuclear Fuel Availability at EU Level from a Security of Supply Perspective
[6] Sweden open to power cable project if Germany reforms, minister say
[7] Renewable Revolution: A Review of Strategic Flexibility in Future Power Systems
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