Je me suis absenté un jour. UN JOUR SEULEMENT. Et pourtant ça aura suffi pour (presque) faire péter les plus hauts de tous les temps un peu partout et surtout, SURTOUT, faire revenir l’optimisme exacerbé de tous les côtés. Pourtant, si l’on se base sur la macro-économie qu’il nous a fallu digérer depuis ces 72 dernières heures, il y a quand même de quoi lever un sourcil lorsque l’on compare performance et réalité économique ! Mais en fait : NON ! Non, parce que ce qu’il y a de bien dans la finance et le monde passionnant de l’investissement, c’est que ça n’est justement pas « LA RÉALITÉ ÉCONOMIQUE QUI COMPTE, c’est la manière dont on lui fait dire ce qu’on veut ! ».

L’Audio du 14 février 2025

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Les faits sont là

Mais commençons justement par le début. Le début de la réalité économique. Ce que l’on sait depuis mercredi et surtout depuis hier, c’est que l’inflation continue de repartir à la hausse. Le CPI de mercredi est sorti à 3% – au-dessus des attentes et le PPI d’hier était également au-dessus des attentes. Et si l’on se projette déjà un peu le mois prochain, on peut déjà se dire que le CPI ne va pas baisser, puisque le PPI se trouve en AMONT du CPI. Ce qui se résume en disant que si t’as un chiffre du PPI qui est fort, comme c’est les prix à la PRODUCTION et qu’il faut PRODUIRE avant de consommer, on peut s’imaginer que si les PRODUCTEURS paient plus cher pour produire ET QU’ILS ne veulent pas rogner sur leurs marges, c’est forcément le CONSOMMATEUR (autrement dit : vous et moi) qui allons le payer un jour ou l’autre. Probablement dans le mois qui vient.

Donc, on peut le prendre comme on veut, dans tous les sens, le dire avec des mots gentils et en jetant des pétales de rose pendant qu’on le dit. On peut l’écrire avec des couleurs pastel en passant de la musique douce. La réalité est que : l’inflation repart à la hausse. Et que si l’inflation repart à la hausse : la baisse des taux américains devient plus de la science-fiction qu’un objectif économique concret que l’on pourrait greffer à une stratégie d’investissement que l’on qualifiera de « Global Macro » si l’on veut faire super-pro. Et puis au-delà du fait que les chiffres économiques publiés ces derniers jours nous on fait comprendre que Powell n’aurait pas besoin de s’exciter plus que cela pour changer le ton de son discours qui – globalement se résume en disant : « il n’y a pas d’urgence à baisser les taux ». Nous devrions aussi nous inquiéter parce que le « narratif » de la hausse de ces 18 derniers mois est tout de même principalement basé sur la théorie suivante : « L’inflation baisse donc Powell peut baisser les taux et re-booster la consommation et ensuite, comme les gens ils auront plus d’argent parce qu’ils paieront moins d’intérêts sur leurs crédits voiture, sur leurs crédits étudiant, sur leurs crédits pour rembourser leurs crédits et sur leurs crédits sur les cartes de crédits ; ils VONT FORCÉMENT se ruer chez Walmart pour acheter plein de trucs et chez Apple pour acheter plein d’iPhones. En résumé, faut acheter le marché. Surtout Apple et Walmart ».

Oui, on devrait s’en inquiéter, parce que du coup, si l’inflation remonte, la théorie ci-dessus fonctionne BEAUCOUP, mais ALORS BEAUCOUP MOINS BIEN !!! Mais c’est pas vraiment grave, parce que nous, dans le monde merveilleux de l’investissement, on trouve toujours une explication rationnelle pour justifier nos actes. Et en l’occurrence, pour justifier le BULL MARKET PERMANENT qui est le nôtre, c’est hyper-simple ; il suffit d’INTERPRÉTER les choses. AAAAAhhhhh, l’interprétation, il n’y a que ça de vrai, tu peux tomber dans la pire économie, dans le pire des mondes avec tout qui part en vrille, si tu as arrive à INTERPRÉTER correctement, ta vie va changer.

Une nouvelle ère

DONC. Jusqu’à mardi matin, notre préoccupation principale était de voir que l’inflation était sous contrôle et que gentiment on allait retourner à 2% – comme prévu par la FED, afin que les taux puissent baisser de concert. Sauf qu’avec les chiffres qui sont sortis hier et avant-hier, on a clairement compris que les 2% d’inflation, c’était pas pour demain, ni même pour cette année et que même 2026, ça allait pas être simple. Il nous restait donc trois alternatives pour notre stratégie d’investissement basée sur la macro-économie :

Alternative numéro une : paniquer se dire que l’inflation n’était plus transitoire et surtout pas sous contrôle et qu’on allait tous mourir de sur-inflation dans les mois qui viennent. Ou dans les années si on a un peu de chance

Alternative numéro deux : trouver des justifications qui expliquent au bon peuple qu’une économie qui a une inflation forte est une économie qui est forte aussi et que l’on n’a pas de croissance sans inflation et qu’un peu d’inflation ça n’a jamais tué personne. (de là à dire que l’objectif d’inflation de la FED devrait être remonté de 1.5%, il n’y a qu’un pas). En résumé, en utilisant cette seconde alternative, il faut juste admettre que tout ce que l’on s’est mis dans la tête depuis 18 mois, c’est du bullshit.

Alternative numéro trois : l’écran de fumée. C’est peut-être la solution la plus simple et la solution que nous sommes en train d’utiliser actuellement. Peut-être. Avec un peu de l’alternative numéro deux dedans.

Oui parce que vous l’avez peut-être vu hier, les marchés se sont littéralement envolés parce que : Trump a annoncé sa nouvelle stratégie de réciprocité des tarifs douaniers – qu’en gros, il va simplement taxer en retour ce que les méchants pays étrangers lui taxent depuis des années, mais ça prendra du temps, de l’analyse et de la réflexion. Résultat, c’est pas demain que les droits de douane seront mis en place et donc, il n’y a rien à craindre. L’inflation ne sera pas « boostée » par les droits de douane (et d’ailleurs, l’inflation, on s’en fout, on cherche des raisons pour ne plus en parler). Et en plus de tout ça, les marchés ont « décidé » hier, que les annonces sur les droits de douane made in Trump, n’étaient pas plus dangereux qu’un chien qui aboie, mais qui ne mord pas parce qu’il a une muselière et qu’il est enfermé dans une cage avec des barreaux en adamantium.

L’admission

La prise de conscience au niveau des droits de douane n’aurait peut-être pas suffi pour dynamiser le marché – étant donné que ça faisait quand même plus d’une semaine que l’on se disait la même chose. Il fallait donc charger la barque avec autre chose de plus « captivant », autre chose de plus « motivant ». Quoi de mieux que d’annoncer discrètement que Trump et Poutine devraient se rencontrer en Arabie Saoudite pour régler le problème de la guerre ? Il aura suffi d’un bref communiqué dont on ne sait même d’où il provient pour se sentir « complètement soulagés » de cette probable fin de guerre qui arrive. Alors oui, bien sûr, ça ne plaît pas à tout le monde, déjà à Zelensky, puisqu’il n’est même pas sûr d’avoir droit à un tabouret dans la salle des négociations. Et ça ne plaît pas non plus aux politiciens européens qui se retrouvent ipso-facto éjectés des négociations.

Il faut voir les messages de Gabriel Attal qui n’a aucun poste dans le gouvernement mais qui se prend déjà pour le président élu, qui montre toute sa colère, tel un chef de guerre qui doit faire trembler de peur la Russie et les USA. Bref, là n’est pas le sujet, mais je n’ai pas pu m’empêcher de le mentionner tellement lui et ses congénères sont pathétiques. Quoi qu’il en soit, du point du vue des marchés, vous leur donnez un peu d’air au niveau de l’inflation en n’en parlant plus (même si vous leur avez cassé les oreilles – je dis les oreilles pour rester poli – depuis quatre ans), vous leur racontez une belle histoire avec des couleurs et des gentils personnages sur la guerre en Ukraine, vous packagez correctement l’histoire des droits de douane en disant que FINALEMENT C’EST PAS SI GRAVE (surtout qu’on s’en fout de l’inflation ! si, si, je viens de vous le dire)… Et à la fin, vous avez le S&P500 qui termine sa séance PRESQUE au plus haut de tous les temps. Vous avez le DAX qui est au plus haut de tous les temps. Le CAC qui est PRESQUE au plus haut de tous les temps. Le SMI qui est PRESQUE au plus haut de tous les temps et le SOX qui est toujours dans son range latéral et qui refuse d’en sortir.

Tout va bien dans le meilleur des mondes et c’est quand même tout grâce à Trump !

Et maintenant ???

Ce matin la Chine et Hong Kong sont en hausse parce que tout le monde veut de la Chine et Hong Kong pour parier sur l’IA chinoise pas chère. Le Japon recule de 0.8% parce que le yen se renforce et que les exportatrices n’aiment pas ça. Le pétrole est revenu sur les 71$, comme prévu par le Président du Monde libre, Donald Trump, l’or n’est pas loin de ses plus hauts de tous les temps et le Bitcoin repart en direction des 97’000$.

Du côté des nouvelles qu’il faut retenir, on notera qu’Intel est en folie depuis que mini-Trump, JD Vance a déclaré que les semiconducteurs devraient être fabriqués aux States, le titre a pris 25% en trois séances. Nividia prenait encore 3% hier parce qu’ils étaient présents à la conférence de JP Morgan et que la croissance est toujours leur amie selon eux et que donc, ça péter à la hausse dans 10 jours sur les publications trimestrielles. Nvidia est en hausse de 20% depuis DeepSeek. Autrement, il y a AppLovin qui a battu les attentes. La plateforme de marketing qui, en gros est un mix entre une régie publicitaire, un éditeur de jeux et une boîte tech spécialisée en data et IA pour rentabiliser les apps mobiles, a surpris tout le monde et prenait 24%. Ça valait encore 60$ en août dernier et là ça vaut 470$. Tout va bien et il n’y a pas d’emballement. Cisco a publié des chiffres meilleurs que les attentes, Deere a déçu un poil et Tesla a rebondissait – surtout techniquement plus que fondamentalement. Et puis, il faut noter une chose : si AirBNB et Roku avaient publié leurs chiffres trimestriels avant l’ouverture plutôt qu’après la clôture, le S&P500 serait AU PLUS HAUT DE TOUS LES TEMPS. AirBNB a cartonné et ambitionne de devenir LA PLATEFORME DE VOYAGE OÙ TU PEUX TOUT FAIRE, tu pourras bientôt louer un appartement, un avion et une voiture au même endroit. Le titre prenait 14% after close et Roku, carton plein aussi, +11% après 22h…

Et puis hier il y a eu Nestlé. Grosso modo, ils ont fait mieux que les attentes pour 2024. Mais ils craignent une baisse des marges en 2025. Ils ont affiché la plus faible croissance des ventes depuis 20 ans. Les bénéfices et les ventes étaient en recul sur un an mais le titre a pris 6.2% parce que c’était « moins pire » et que personne n’attend plus rien sur Nestlé depuis bien longtemps. Et comme on parle marges sous pression chez Nestlé ainsi que pressions inflationnistes dont tout le monde se fout, on peut aussi signaler que le café est au plus haut de tous les temps – et, what else ? – le sucre et au plus haut depuis 2 mois. Ça devrait bien aider sur le prix des Chocapic.

À la fin, c’est les bulls qui gagnent

En conclusion de tout cela, je pense qu’il faut retenir une chose : tout ne va pas bien. Bien au contraire, mais quand on parvient à faire l’impasse sur certaines choses, finalement, ça ne va pas si mal. Et c’est plutôt comme ça que le marché fonctionne pour le moment. Combien de temps cela va durer ? Aucune idée, mais disons que pour le moment, on s’en fout, tant que ça monte, c’est amplement suffisant.

Pour ce qui est des chiffres du jour, il y a le PPI en Suisse, le CPI en Espagne, le PIB en Europe et les ventes de détail aux USA. Pas sûr que cela puisse compenser la folie douce qui nous vient de Trump, mais disons que ça nous fera des sujets de discussion pour le week-end !

Passez un très bon week-end, un très bon vendredi et on se voit lundi comme d’habitude. Dernière semaine avant les vacances.

Thomas Veillet
Investir.ch

“Don’t be afraid to give up the good to go for the great.” – John D. Rockefeller