Hier matin nous étions au bord de la falaise. Les marchés étaient en mode panique, on parlait d’inflation, d’explosion des coûts pour certaines industries – demandez aux fabricants de voitures – on s’angoissait à l’idée que l’Europe soit la prochaine sur la liste des tarifs douaniers et Goldman Sachs a envoyé ses meilleurs économistes pour sortir des calculs savants et nous expliquer que les tarifs allaient faire baisser le S&P500 de 5%. La volatilité explosait, les traders suppliaient pour échanger leurs Nvidia contre des Nestlé et puis le Canada a capitulé et tout était oublié !
L’Audio du 4 février 2025
Des tarifs ? Quels tarifs ?
Ça fait un bon moment que je pense que le marché devrait envisager d’entamer une psychothérapie, mais là, j’en suis vraiment convaincu. Surtout qu’il vit dans un environnement toxique qui devient plus géopolitique qu’économique et que, visiblement, avec l’arrivée de tonton Donald, ça ne va pas être plus simple. Bien au contraire. Donc, si l’on reprend le déroulé de la chose ; après avoir annoncé que les nouveaux tarifs douaniers à l’encontre du Canada et du Mexique allaient prendre effet ce mardi 4 février à midi, les marchés ont tous sauté du bateau en mode panique, les constructeurs automobiles du monde entier se sont fait massacrer parce qu’importer des matériaux de base, ça allait coûter beaucoup plus cher et il y a même des journalistes américains qui ont pris le temps d’écrire des articles qui disaient : Mais pourquoi Tesla est en baisse alors qu’elle fabrique la plupart de ses voitures aux Etats-Unis ?? C’est trop injuste ! Ouais, ben peut-être que Tesla a doublé en 6 mois et que certains ont profité de l’occasion pour prendre les profits, ça ferait plutôt du sens !
Et puis, au sens plus large de la chose, on s’est tous mis à réaliser que l’augmentation des tarifs douaniers allaient coûter un max de pognon à tout le monde – que ça soit à l’intérieur des USA ou à l’extérieur des USA, puisque tout le monde a répliqué en augmentant les taxes. Au Canada, comme au Mexique. Du coup ; qui dit augmentation des coûts, dit aussi hausse des prix à la consommation et donc : retour de l’inflation. Bon, je dis retour, c’est un peu gonflé, parce qu’en fait elle n’est jamais complètement partie et comme depuis 6 mois, elle ne baisse plus vraiment, on pouvait simplement commencer à se dire que ces tarifs allaient lui donner un coup de pouce pour aller plus haut ! D’ailleurs, même la FED a dû sortir deux ou trois de ses directeurs pour qu’ils viennent à la télé afin de confirmer que si les prix à la consommation augmentent à cause des tarifs, l’inflation ne pourra pas baisser – bien au contraire – et que, du coup, fallait pas trop compter sur eux pour baisser les taux. Après ils ont aussi expliqué que l’eau ça mouille et que le feu ça brûle et que tout corps plongé dans l’eau qui n’est pas remonté au bout de cinq minutes est considéré comme foutu – sauf s’il est champion du monde d’apnée ou que c’est un dauphin, mais ça c’est secondaire. Oui, les gens de la FED sont venus nous expliquer encore une fois (pour ceux qui n’avaient pas compris), les subtils mécanismes de l’inflation et de la baisse (ou pas) des taux. La bonne nouvelle d’hier c’est qu’aucun des membres de la FED qui a parlé n’a mentionné la possibilité des MONTER les taux pour contrer l’inflation.
Non, ça ils ne pouvaient pas le dire parce que leurs femmes et leurs enfants étaient retenus en otage par la CIA afin que le plan de Trump – à savoir : baisser les taux massivement, tout en faisant exploser l’inflation à coup de tarifs douaniers – puisse se réaliser sans encombre.
Oui, oui, je plaisante. Mais toujours est-il que si l’on reprend la journée d’hier on a quand même l’impression que le déroulé de la séance a été écrit par un maître du suspense comme Harlan Coben ou Michael Connelly.
Le « twist » de la journée
Oui, du suspense et des renversements de situations, parce qu’alors que l’ensemble des marchés étaient au bord du gouffre avec un pied dans le vide et que la plupart des fabricants de voitures étaient en train d’envisager de se reconvertir dans l’Intelligence Artificielle, la Présidente Mexicaine Claudia Sheinbaum annonçait qu’elle acceptait d’envoyer 10’000 soldats de la Garde nationale à la frontière américano-mexicaine pour « empêcher le trafic de drogue, en particulier de fentanyl, du Mexique vers les États-Unis ». Dans la foulée, Trump annonçait qu’il suspendait la mise en œuvre des tarifs douaniers pour 30 jours, le temps de voir comment ça allait se passer. Premier ouf de soulagement des bourses mondiales qui comprenaient instantanément que Trump voulait seulement « obtenir des choses de la part de ses partenaires » et que les tarifs n’étaient que le bras armé pour les forcer à collaborer sans passer par des heures, des jours, des semaines, voire des mois de négociations et de perte de temps pour obtenir que dalle. Restait plus qu’à voir ce que le Canada allait faire. Parce qu’il faut dire que Trudeau s’était montré vindicatif avec aucune intention de se laisser impressionner par l’homme aux cheveux orange.
Bon. Ben finalement Trudeau s’est laissé impressionné et dans la foulée du Mexique, le Canada a annoncé qu’il mettait en place :
1. Un plan de surveillance de la frontière de 1,3 milliard de dollars
2. Une protection de la frontière avec 10’000 personnes en première ligne
3. La nomination d’un chef de guerre du fentanyl pour réduire le trafic de drogue
4. La création d’une force d’intervention conjointe États-Unis/Canada
5. Un chèque de 200 millions de dollars à investir dans le renseignement
En résumé, tout ce qui semblait impossible à obtenir depuis des mois, Trump a réussi à l’obtenir en moins de temps qu’il ne faut pour ouvrir la bourse et la fermer à la fin de la journée. Le Canada a aussi obtenu une suspension de 30 jours des tarifs douaniers. Je ne sais pas si les politiciens se sentent invincibles après avoir « négocié » avec Trump, mais disons que depuis qu’il est de retour à la Maison Blanche, on a un peu l’impression qu’il fait ce qu’il veut et surtout ; qu’il obtient ce qu’il veut. D’ailleurs, il vient de demander que l’Ukraine donne toutes ses terres rares et ses métaux précieux aux États-Unis en échange de l’aide américaine et il a également confirmé à la presse qu’il avait effectivement l’intention de coller des tarifs douaniers aux Européens. Il y a 24 heures encore, plusieurs « ministres clowns » du gouvernement Macron disaient à qui voulait les écouter, qu’ils seraient fermes face à Trump « sinon, on ne les prendrait pas au sérieux ». Depuis hier soir, il y a des camions de vaseline qui ont été livré à l’Assemblée Nationale et à l’Élysée pour les aider à être fermes face à Trump. En tous cas, si Macron ou Scholz sont aussi fermes que Trudeau, ça devrait être réglé dans les 12 minutes qui suivront l’annonce du montant des droits de douane à l’encontre de l’Europe. Il paraît que von der Leyen est déjà en train de demander l’asile politique à Guantanamo.
Le 180 degré des bourses mondiales
Inutile de vous dire que l’annonce de la suspension des tarifs douaniers pour 30 jours a immédiatement permis aux indices boursiers d’inverser la tendance à la vitesse de la lumière. Le Dow Jones était en baisse de 600 points et il a pratiquement récupéré 500 points avant la clôture. Je reste persuadé que si le New York Stock Exchange fermait une heure plus tard, le Dow Jones aurait été en hausse. Le Nasdaq a repris 300 points depuis les plus bas, le S&P500 près de 100 points et ce matin, les futures étaient au-dessus des 6’000 points à nouveau. Les Européens en ont un peu moins profité pour cause de décalage horaire, mais ça devrait se compenser ce matin. On notera que certains titres sont toujours sous pression, Nvidia est au plus bas et au plus mal et on continue à se poser des questions par rapport à la valorisation de l’intelligence artificielle, l’affaire DeepSeek est encore dans toutes les têtes. Et dans les pires performances de la journée, on citera Moderna, Tesla, Franklin Resources et FedEx, en Europe, vous prenez tout ce qui vend des voitures et vous aurez le plus gros bain de sang de la semaine.
Ce matin en Asie on retrouve également des couleurs, le Nikkei est en hausse de 0.7%, Hong Kong grimpe de 1.6% et la Chine ne fait rien. Par contre, comme Trump avait collé des tarifs douaniers aux Canadiens, aux Mexicains et aux Chinois, on attendait encore la réponse des Chinois. Ce matin c’est chose faite. Alors que Trump a annoncé hier soir qu’il allait parler aux Chinois dans les 24 heures, ce matin Le ministère chinois des finances a annoncé qu’il imposerait des droits de douane supplémentaires de 15 % sur les importations de charbon et de gaz naturel liquéfié en provenance des États-Unis et des droits de douane plus élevés de 10 % sur le pétrole brut, les équipements agricoles et certaines voitures et ce, dès le 10 février. C’est donc la réponse du berger à la bergère que l’on attendait. Depuis l’annonce les futures US se sont redégonflés et ont perdu 10 points, tout comme l’ensemble des cryptos qui bombaient le torse il y a encore 2 heures. On sait que le Canada et le Mexique ont tenu une demi-journée face à la pression de Trump, reste à voir combien de temps la Chine va tenir avant de « trouver un accord ». On sent bien que les marchés ont plus de peine à baisser, vu qu’on leur a déjà fait le coup hier. En tous les cas, une chose est sûre, si les 4 prochaines années sous Trump sont aussi volatiles et délirantes que çA, on va s’amuser et je vais envisager de me lever plus tôt encore pour avoir le temps de tout dire !
Du côté de nouvelles du jour
Pour ce qui est des « histoires » du jour, on retiendra le bain de sang de Julius Baer hier, les résultats de la banque suisse étaient plutôt corrects si l’on se base sur les chiffres de l’an dernier. L’affaire Signa est définitivement derrière, mais les coûts sont encore un peu élevés et 400 licenciements sont prévus. Les « experts » n’ont pas aimé les ratios de capital considérés comme « un peu faibles » et le fait que JulBaer ne fasse pas de rachat d’actions cette année a fortement déplu. Au pire de la séance, le titre abandonnait près de 14% – ce qui paraît tout de même un peu exagéré – mais il faut dire que dans l’ambiance d’hier matin, on ne faisait pas de prisonniers. Dans la thématique de ne pas faire de prisonnier, en plus de la hausse des tarifs annoncés par les Chinois ce matin, l’autorité des marchés chinois a déclaré qu’elle ouvrait une enquête sur Google/Alphabet en raison de violations présumées de la loi anti-monopole chinoise. Comme les Ricains enquêtent sur DeepSeek, bam… la réponse est immédiate sur Google.
Alors que nous sommes en plein grand-huit dans les marchés à cause de Trump, il y a quand même la saison des résultats qui bat son plein. Hier soir il y avait Palantir qui a publié et qui a pulvérisé les attentes en encensant la thématique de l’IA. Le titre prenait 23% after close ! Ce matin l’UBS vient d’annoncer un bénéfice de 770 millions pour le quatrième trimestre 2024, dépassant les attentes qui étaient autour des 500 millions. UBS a également déclaré qu’elle prévoyait de racheter 1 milliard de ses propres actions au cours du premier semestre 2025 et jusqu’à 2 milliards de dollars au cours du second semestre, tout en maintenant son objectif de ratio de fonds propres de catégorie 1 (CET1) d’environ 14 %. Autrement on notera aussi que Poutine a commenté les tarifs douaniers à venir sur l’Europe, il n’est pas inquiet et pense que l’Europe va « encore une fois se coucher aux pieds du maître américain ». Ce sont ses paroles. En France, Bayrou a donc fait passer un budget en force en utilisant le 49.3 et a priori il devrait rester en place, puisque tout le monde est dorénavant convaincu que la France a plus besoin d’un budget que d’un gouvernement.
Les chiffres du jour
Pour ce qui est des chiffres du jour, nous aurons toujours une avalanche de publications trimestrielles, aujourd’hui c’est Paypal, Spotify, Ferrari, Pfizer, Pepsico, Merck, AMD, Google, Enphase et Snap. Du côté chiffres économiques, nous aurons les JOLTS aux USA, autrement dit le nombre d’offres d’emploi disponibles. Et puis pour le reste, on va vivre au rythme des déclarations et des décisions de Trump, tout ça pendant que Musk est en train de mettre la main sur le système de paiement du trésor américain avec une décontraction hallucinante.
Actuellement, les futures sont dans le rouge à cause de la Chine, le pétrole est à 71.87$, l’or est à 2843$ et le Bitcoin va dans tous les sens, mais là à 7h19, il vaut 99246$. Passez une excellente journée, moi je vais commencer à écrire ma chronique de demain, tellement il y aura des choses à dire ! Alors profitez du soleil et à mercredi !
Thomas Veillet
Investir.ch
“When the crowd is headed in the wrong direction, walk alone.”