On ne va pas perdre du temps à parler de ce qui s’est passé hier, puisqu’il ne s’est rien passé. Hier c’était la journée idéale pour une puissance étrangère qui aurait voulu se débarrasser en même temps de tout ce qui reste comme Président vivant, mais à la place, on a préféré regarder brûler Los Angeles et voir Kamala Harris verte de jalousie parce que Trump a passé l’enterrement de Carter à chatter avec Obama. Mais mis à part ça, la France n’a pas fait grand-chose, l’Allemagne est restée immobile et la Suisse se demande si elle mérite de franchir les 12'000 points sur le SMI. Pour le reste ; sans les Ricains, on n’est personne. Autant ne pas venir.

L’Audio du 10 janvier 2025

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Se regarder le nombril et attendre vendredi

Mais si l’on doit vraiment résumer la séance d’hier, on peut déjà constater que les analystes qui sont venus au bureau ont profité du manque d’activité ambiante pour essayer de faire le buzz avec des upgrades et des downgrades dans tous les sens sur les titres européens. On retiendra un double-upgrade sur l’UBS, puisque Kepler passe sur « BUY » et que Barclays se sont mis sur « Overweight », ce qui veut dire strictement la même chose. Le titre de LA plus grande banque suisse (et de très loin) en a donc profité pour terminer au-dessus des 30 frs, chose qui ne lui était plus arrivé depuis…mai 2008. En revanche pour la prochaine vague jusqu’au plus haut de tous les temps, va falloir bosser, parce qu’il y a encore du chemin. C’est drôle parce que la dernière fois que j’ai vu l’UBS au-dessus des 30 frs, c’est quand je suis parti. De l’UBS.

Au-delà de la banque aux trois clés, on a aussi eu droit à UBS – justement – qui passe à l’achat sur Deutsche Telekom et sur EON, Barclays qui met Swatch sur « SELL », Porsche a été mis en mode sous-performance par Exane-BNP, Bernstein a upgradé Beiersdorf sur « surperforme ». Bref, comme vous le voyez, je ne sais pas si c’est parce qu’il n’y a rien à dire qu’il y a plus de changement de recommandations ou si c’est parce qu’il y a plus de changement de recommandations qu’il n’y a rien à dire. Mais à la fin, j’ai surtout l’impression que tant que les Américains était sur C-Span à regarder l’enterrement d’un vendeur de cacahuètes, il n’y avait pas de volume et pas d’intérêt. Pour ceux qui voulait vraiment faire quelque chose, il ne restait plus qu’à se concentrer sur la journée de vendredi et se préparer aux axes principaux qui pourraient nous intéresser.

Trois préoccupations en ce vendredi matin

Alors moi c’est ce que j’ai fait ; j’ai fouillé dans la presse de la nuit pour voir ce qui pourrait nous donner du grain à moudre ce matin et ce qui pourrait nous rendre la journée de vendredi un peu moins chiante que celle de jeudi. Non, parce que maintenant que Carter est sous terre, on peut commencer à parler de ce qui va stresser le marché ces 24 prochaines heures. Et, aussi fou que cela puisse paraître, ça n’est pas l’investiture de Trump qui occupe le mental des traders. Non, ça on va commencer à baliser à partir du milieu de la semaine prochaine. En ce qui concerne le « danger immédiat », personnellement j’ai trouvé trois trucs qui commencent à déranger. Trois sujets qui pourraient rendre notre journée passionnante. Et si le mot « passionnant » est peut-être un peu fort (et je l’utilise surtout pour vous maintenir éveillés), on va dire que ça sera tout au moins « intéressant ».

Le premier sujet qui me semble « commencer à devenir un problème » pour le monde merveilleux de la finance, c’est les rendements des bons du trésor qui prennent l’ascenseur à toute vitesse. Le dix ans frise les 4.7%, le 20 ans a passé brièvement au-dessus des 5% il y a 48 heures et le 30 ans se rapproche également du même niveau. Bien sûr, on sait que plus les rendements montent, plus les gens vont se demander s’il n’est pas plus intéressant de prendre 5% pépère que de prendre des risques sur les actions américaines qui ne sont pas « cadeau » en termes de valorisation. Mais au-delà du fait que le cœur des investisseurs pourrait balancer entre obligataire et actions, il y a un autre problème qui est en train de se pointer, c’est les portefeuilles que certaines banques conservent jusqu’à maturité. Et depuis deux jours, c’est Bank of America qui font parler d’eux.

Le problème

Le problème qui se pointe actuellement est le suivant : quand les taux montent, la valeur des obligations descend. Et BofA a une montagne d’obligations « à tenir jusqu’à maturité » et la maturité, c’est encore loin. Et cette montagne d’obligations date d’une époque où les rendements n’avaient rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Un rendement moyen qui se situe à 2%. En résumé, c’est un peu comme si vous avez mis toutes vos économies sur un compte épargne il y a trois ans au lieu de tout mettre sur Nvidia ; c’était presque une aussi bonne idée que d’investir dans le secteur des vidéos VHS au début des années 2000.

Aujourd’hui, les « pertes non-réalisées » sur ces portefeuilles obligataires commencent à peser lourd dans le bilan de certaines banques et plus les rendements grimpent au firmament, plus c’est lourd. D’un point de vue graphique le rendement du 10 ans est en train de faire un « double-top » et on peut donc s’attendre à un rebond du marché obligataire, mais dans le cas contraire, il va commencer à falloir expliquer aux actionnaires de certaines banques que le bilan est tout pourri et que ces montagnes de pognon immobilisé commencent à friser le ridicule.

Les chiffres

Si l’on se base sur les chiffres, Bank of America se retrouve avec 111 milliards de dollars de pertes potentielles, sur un portefeuille de 568 milliards. Et attention, ce portefeuille obligataire c’est pas des Obligations de la Confédération Suisse backées par les F-35 de l’armée suisse, c’est adossé à des hypothèques. On a connu des garanties plus solides. Et pire, si l’on prend l’ensemble des banques américaines, on parle d’un minimum de 500 milliards de pertes non-réalisées. Et la seule bonne nouvelle, c’est que ça reste quand même en-dessous du niveau de 700 milliards que l’on connaissait en 2022.

BofA espère que ça va s’arranger tout seul, en attendant patiemment que les obligations arrivent à maturité… un jour. En gros, ils la jouent « ce n’est pas grave tant qu’on ne vend PAS ». Mais les analystes, eux, préfèrent regarder ailleurs, parce que ça commence à sentir plus mauvais que la caisse du chat après une semaine de vacances. Alors pour le moment, il n’y a pas de raison de paniquer plus que tant ; effectivement, tant qu’ils ne vendent pas, ça va bien se passer. En revanche, on sent quand même que la thématique obligataire est en train d’arriver sur le marché comme un vent froid qui descend du Nord et qui ne laisse aucun doute sur le fait qu’on va se les geler ces prochains jours. Et ça tombe super-bien, parce que Bank of America va justement publier ses chiffres trimestriels dans 6 jours. Juste après JP Morgan qui eux, ont vachement mieux joué le coup, puisqu’ils n’ont « que » 20 milliards de pertes non-réalisées. Moralité : investir quand les taux sont bas, c’est bien. Mais acheter des obligations comme on achetait des NFT en 2021, ça finit souvent dans le mur. Bank of America peut encore rêver, mais les investisseurs, eux, risquent d’avoir un réveil difficile.

Interpréter la FED

Autre sujet du moment : essayer de comprendre et de maitriser le psyché de la FED. Après avoir baissé les taux de 100 basis points depuis le mois de septembre, après les Minutes du FOMC Meeting de mercredi soir, il a bien fallu commencer à admettre que la banque centrale à Donald Trump entame l’année en mode « improvisation totale ». Avec un contexte économique qui ressemble à un Rubik’s Cube géant (croissance forte, inflation de retour, Trump à la Maison-Blanche, inflation de retour, emploi en difficulté et inflation de retour…), la stratégie de FED semble se diriger sur trois axes : attendre, observer et surtout ne pas tout foutre en l’air !

D’ailleurs, si l’on fait un bilan rapide de ce qui se dit, de ce qui se pense et de ce qui préoccupe la FED et qui nous préoccupe nous aussi, on peut en sortir quelques « bullet points » :

  • Tout d’abord il y Schmid de la FED de Kansas City qui déclare que l’économie n’a plus besoin ni d’un coup de frein ni d’un coup d’accélérateur. Traduction : on serre les fesses, on ferme les yeux et on espère que ça passe et on interviendra seulement si ça part en vrille.
  • Ensuite, il y a Michelle Bowman, membre du Conseil de la FED qui parle de l’inflation qui colle à 3 % comme le sparadrap du capitaine Haddock. Qui ose parler de la hausse des prix sous Trump qui pourrait aggraver la situation.
  • Puis il y a le marché du travail qui se détend – enfin, il paraît, en supposant que les chiffres que l’on nous publie et que l’on nous corrige régulièrement ne soient pas complètement bidonnés (ce dont je doute fort) – mais en attendant, en se basant sur ce que l’on sait : le chômage est bas, il n’y a pas trop de licenciements, mais depuis 18 mois, on ne va pas se mentir, la FED sent quand même bien que ça ralentit et que quelqu’un roule avec le frein à main serré à bloc. Et la FED VEUT éviter que ça parte définitivement en mode « retour dans les années 30 » et que les gens recommencent à vendre leurs enfants pour manger.
  • Et bien sûr, il y a Trump. Avec son retour, on peut s’attendre à des politiques un peu plus « musclées » : moins d’impôts, des tarifs douaniers, et des idées qui pourraient booster la croissance… mais aussi l’inflation. En gros, c’est le facteur X dans leur équation. Et l’inflation est le facteur X dans l’équation où Trump est le facteur X et quand t’as deux facteurs X dans une équation, ça commence à se compliquer.

La méthode ZEN de la FED

Avec ces paramètres qui ressortent ces dernières semaines, la méthode de Powell et ses amis sera donc de prendre des décisions « réunion par réunion » : pas de plan gravé dans le marbre, on verra en fonction des chiffres qui nous tombent dessus. En gros, ça vole à vue et ils n’en savent pas plus que nous. Et puis la prochaine étape, sera de voir les chiffres de l’emploi de tout à l’heure, puis ceux de l’inflation prévu le 15 janvier. Ensuite, il y aura la nouvelle réunion de la FED qui est prévue le 28-29 janvier. Mais en gros, la FED joue au funambule avec des taux qui baissent à la vitesse d’un escargot au galop, une inflation qui ne veut pas baisser, et des politiques à venir qui pourraient bien être des bombes à retardement. Bref, en 2025, c’est encore le règne du « carpe diem et après moi la pluie »…

Jamais deux sans trois

Et pour terminer, le troisième sujet qui nous fait gamberger ce matin, c’est – ÉVIDEMMENT – les chiffres de l’emploi de cette après-midi ; les fameux NON FARM PAYROLLS ! Pendant que la FED joue à « hâte-toi lentement aussi vite que possible mais aussi lentement que nécessaire », les chiffres de l’emploi restent le cœur de nos préoccupations. En tous cas celles de la semaine. Les chiffres de cette après-midi sont attendus à 155’000 et tout dérapage pourrait être lourdement sanctionné.

Mais au-delà des chiffres bruts, il va falloir plonger également en profondeur, aller un peu plus loin à l’intérieur des données publiées par nos amis du BLS qui sont à peu près aussi fiables qu’un mec bourré à 3 heures du matin qui te dis « suis parfaitement en état de conduire ». Cette après-midi, on va devoir se concentrer pour aller chercher le diable qui se cache dans les détails :

  • Tout d’abord les 155’000 pourraient bien être élastiques à cause des grèves chez Boeing, des ouragans et maintenant des tempêtes de neige et des incendies. Toutes les excuses seront bonnes pour rater le coche. On sait aussi qu’il y a parfois des ajustements saisonniers de la part du gouvernement, mais déjà que le gouvernement est généralement aussi précis que l’autonomie d’une Tesla qui serait coincée dans un bouchon en plein blizzard, mais en plus le gouvernement en question – qui n’est pas connu pour sa précision extrême – va se faire virer dans une semaine – alors autant dire que ça augmente encore un peu le niveau d’incertitude.
  • Il faudra aussi « monitorer » le taux de chômage qui est monté jusqu’à 4.3% en juillet et qui tourne désormais à 4.2% – ce dernier est d’ailleurs attendu inchangé par rapport à novembre. Mais si le taux de chômage remontait trop brutalement, la FED pourrait se précipiter pour baisser les taux, à moins que l’inflation reparte en parallèle. Et c’est à cet instant très précis que le casse-tête se mettrait en place pour la FED – « doit-on baisser les taux pour soutenir la croissance et l’emploi au risque de faire péter l’inflation à la hausse ou doit-on monter les taux au risque de flinguer la croissance, mais de freiner l’inflation ???? ». Et si l’on se base sur les déclarations de Powell depuis plusieurs années : il préfère devoir relancer une économie qui est en récession que de devoir stopper une inflation qui serait hors de contrôle. Ça a le mérite d’être clair !

Moralité : Le marché de l’emploi est comme une fin de soirée, une fin de soirée un peut trop arrosée où on sait qu’on va le regretter dans quelques heures. Moins de jobs créés, un chômage qui hésite entre monter et rester stable, et des salaires qui augmentent là où on ne les attendait pas. Bref, une belle énigme pour la Fed, qui doit jongler entre maintenir l’économie à flot et garder l’inflation sous contrôle. Et nous qui sommes-là, assis dans le stade à attendre une action de génie qui va tout changer. Et comme tout bon supporter, on donne notre avis en hurlant, parce qu’on sait tous mieux que Powell ce qu’il faut faire ! Bref, il va falloir se concentrer très forts sur les NFP’s et pas que sur celui de ce mois, chaque mois de 2025, chaque rapport de 2025 pourrait changer la donne… Alors on met la tête entre les genoux dès qu’on entendra les mots « Brace, Brace, Brace » et on se souviendra que statistiquement, les survivants d’un crash étaient assis à l’arrière de l’avion.

Pour le reste

Ce matin La plupart des marchés asiatiques sont en baisse, une fin de semaine un peu faiblarde pour la première de 2025. Les investisseurs restent très préoccupés par le ralentissement de la baisse des taux et sont terrorisés par une éventuelle hausse de la part de la BoJ. Le Japon est en baisse de 0.85%, Hong Kong recule de 0.58% et la Chine est en baisse de 0.53%. Du côté du pétrole, on reparle de la vague de froid, donc ça remonte légèrement. Le WTI est à 74.33$, l’or est à 2’700$ et le Bitcoin est à 94’000$, en train de mettre des cierges en espérant que Trump lui sauve les miches.

Côté news du matin, c’est Waterloo, morne plaine. Ce qui n’est d’ailleurs pas si exact que ça, parce je suis allé à Waterloo récemment et c’est pas si morne que ça. Bon, d’accord, c’est pas Ibiza, mais c’est pas si morne que ça. Mis à part ça, il n’y a rien. Mais alors rien de rien. Ceux qui n’ont pas fait le pont aux État-Unis vont commencer à s’énerver cette après-midi et pendant ce temps, les politiciens français font un scandale et veulent bloquer X parce qu’Elon Musk il est méchant. C’est une bonne idée. Et puis en même temps, ça occupe les médias et ça masque leur incompétence (aux politiciens français). Bref, il n’y a rien et ce vendredi on va appliquer la politique de la FED qui se résume en trois mots : ON VERRA BIEN ! La phrase se prononce généralement avec un haussement d’épaule comme le fait régulièrement Nicolas Sarkozy, qui d’ailleurs, est innocent de tout ce qu’on l’accuse.

Je ne vous parle pas des chiffres du jour, je crois qu’on a tout dit. Mais en revanche je vous souhaite un excellent week-end et un très bon vendredi aussi ! Pour le reste, on se voit lundi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Il paraît que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c’est une crise. Depuis que je suis petit, c’est comme ça.”

Coluche