Alors que les marchés attendent toujours d’en savoir plus au sujet de l’emploi américain et au sujet des cibles israéliennes en Iran, il semblerait que de plus en plus de « commentateurs boursiers » et de banquiers centraux se sont mis d’accord pour réinventer le vocabulaire de la finance. Après Powell qui ne « baisse » plus les taux, mais qui les recalibre, ce matin je suis tombé sur un article qui est expliquait que la baisse du CAC40 de 1.32% hier n’est pas une « baisse », mais un « AJUSTEMENT ». Il va donc falloir apprendre à réinterpréter tout ce qu’on lit, parce qu’actuellement on n’a tellement pas envie que les choses baissent qui faut inventer de nouveaux mots.

L’Audio du 4 octobre 2024

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Perte d’objectivité

Vous me direz sûrement que cette remarque n’a rien à voir avec les marchés financiers, mais au contraire, je commence à penser que tout cela est symptomatique ; on insiste tellement sur le fait que tout va bien dans l’économie et la finance que lorsque les indices commencent à baisser franchement, on essaie de cacher la chose avec des mots qui font moins peur. Lorsque l’on doit baisser les taux parce que l’on est terrorisé par une éventuelle récession, on ne baisse plus, on recalibre, ce qui fait quand même vachement plus « réflexion d’un ingénieur avec plein de diplômes » que « panique d’un banquier qui reçoit des rapports pourris de la part de ses employés et qui ne sait plus comment essayer de rattraper le coup sans que l’on se rende compte que tout part en vrille et qu’à la fin ça va lui retomber dessus ».

Donc, si je dois me moderniser et m’appliquer à communiquer dans le « vrai langage de la nouvelle finance moderne », il va falloir que je m’achète le dictionnaire des « synonymes pourris que l’on utilise dans la finance ». Non, parce que quand on vous colle « une baffe en plein visage », c’est une baffe en plein visage et pas « une manière diplomatique de vous remettre les idées en place ». Enfin, c’est ce que je croyais. Reprenons donc le cours de nos vies : « hier les marchés financiers occidentaux ont tous plus ou moins passé leurs journées à s’ajuster en attendant d’en savoir plus sur les chiffres de l’emploi qui pourraient pousser la FED a recalibrer les taux différemment, les marchés étaient également concentrés sur les projets diplomatiques de Benyamin Netanyahou qui pourrait envisager de restructurer l’industrie pétrolière iranienne en rénovant les bâtiments qui abritent l’industrie en question à coup de missiles tomahawk afin de réorienter leur business en direction de l’élevage des ovins en territoire aride ».

Comme hier, mais mieux

Ce qui est assez intéressant à voir – dans cette nouvelle interprétation du vocabulaire financier – c’est que lorsque ça baisse, on adoucit les angles avec des mots qui ont l’air plus « technique » que « panique ». Mais en revanche, lorsque le marché monte, dans ce cas précis, on utilise des mots comme « envolée », « explosion » ou encore « courir vers les records ». Même si l’indice concerné est en hausse de 0.22%, cela reste une explosion haussière. De là à se dire que l’on a tellement peur que ça baisse que l’on n’ose plus dire les « vrais mots », il y a un pas que je ne franchirais pas, mais moi qui lit un wagon d’articles tous les matins, je commence à me dire qu’on marche un tout petit peu sur la tête.

Toujours est-il que l’histoire de la séance d’hier est toujours la même, on a la trouille de ce qui pourrait nous tomber dessus au sens propre comme au figuré. On est toujours en train de tergiverser sur ce qui « pourrait se produire » en fonction des chiffres des NFP’s qui sortiront tout à l’heure et de l’autre côté, on se demande comment Israël va faire pour aplatir l’Iran tout en leur coupant l’envie de riposter. En ce qui concerne les chiffres de tout à l’heure, on retiendra que les « experts en prévisions économiques » – qui bossent à mi-temps pour le service météo de leur télé locale – ont tous validé leur ticket de loterie (oui, moi aussi je peux utiliser des termes différents) et à l’heure actuelle, on s’attend à 140’000 créations d’emplois, mais il faut noter que Goldman Sachs pense que ça sera plutôt 165’000 et l’UBS a misé sur 180’000. Perso, j’ai tout mis sur le 23 rouge et on verra bien. Cependant, tout le monde est d’accord pour dire que c’est surtout les révisions des mois passés qui seront importantes et qui nous permettrons de voir si le « Bureau of Labor Statistics » est aussi mauvais qu’ils l’ont été depuis 12 mois. Le taux de nombres de personnes qui ont pris du recul sur leur réelle envie de travailler (plus connu sous le terme de « taux de chômage » mais qui n’est pas assez inclusif à mon sens) devrait se maintenir à 4.2%.

Le compte à rebours selon Tel-Aviv

Pour le reste des thèmes du moment, on attend bien sûr la réponse de Tel-Aviv en direction de Téhéran. Réponse qui devrait tomber avant ce soir, puisqu’après c’est « Shabbat » et que ça va pas être possible. On retiendra également que ce soir c’est également la fin de Rosh Hashanah et qu’il y a toujours ce bon vieux dicton boursier qui dit qu’il faut « vendre à Rosh Hashanah et racheter à Yom Kippour » – c’est un dicton qui fonctionne 50% du temps, mais sait-on jamais. Toujours est-il que les bourses mondiales restent suspendues à ces deux évènements qui pourraient revoir la perception des marchés ces prochaines semaines.

Actuellement, on cherche des réponses pour la prochaine session de la FED et il y a toujours 35% des experts qui pensent que Powell sera obligé de baisser les taux de 50 bp. Et pendant ce temps, le nombre d’Américains qui sont investis massivement dans les marchés actions est au plus haut, tout comme le niveau de « bullishness » qui continue de situer à des altitudes suspectes. En revanche, l’indice « Greed and Fear » semble revenir un peu à la raison, nous sommes toujours en zone d’avidité, mais ça baisse lentement et puis hier, pour la première fois depuis un moment, il y a eu plus de « puts » traités sur le S&P500, que de calls. Ce qui tendrait à vouloir dire que malgré que nous sommes toujours en train de parler de recalibrage et d’ajustement, il y en a qui commence sérieusement à flipper pour la suite.

L’Asie, le pétrole et Biden tout en discrétion

Du côté de l’Asie on retiendra que le Japon est en hausse de 0.5% en attendant plus de nouvelles, maintenant qu’ils ont digéré leur nouveau Premier Ministre. Hong Kong avance de plus de 2% à cause du stimulus sûrement et la Chine est toujours fermée. On notera quand même que le Gouvernement chinois a quand même été super-balaise puisqu’ils ont réussi à nous coller un stimulus juste avant de fermer pour une semaine. En gros c’est : « VENEZ LES GARS, vous pouvez acheter !!! Oups, ah non, désolé : c’est les vacances ! Revenez dans 10 jours, après les rénovation Israéliennes en Iran ! ».

Et puis alors il y a le pétrole. Alors je crois que ce matin, si je pouvais j’écrirais une douzaine de pages sur le sujet, mais je peux pas, j’ai pas le temps, j’ai rendez-vous pour la présentation du nouveau Cullinan « deux » chez Rolls Royce. Alors on va aller plus vite sur le sujet. Hier le baril a terminé la séance en forte hausse. Le WTI est à 73.80$ ce matin. Alors vous me direz : « oui, bon, c’est normal, les tensions au Moyen Orient, tout ça… ». Et ça ne serait pas complètement faux, mais il faut tout de même retenir que l’accélération haussière s’est faite plus ou moins au moment où Biden a déclaré à la presse qu’il « pensait » qu’Israël allait plutôt frapper les raffineries iraniennes à la place des sites d’enrichissement d’uranium militaire. Donc. Le gars il est Président des Etats-Unis, il est cul et chemise avec les Israéliens et la CIA bosse pour lui, mais il vient « supposer » en direct à la télé pour dire que ça va d’abord taper dans les raffineries. Le gars il aurait donné l’heure et la stratégie mise en place, ça aurait été quand même plus clair. J’en arrive à me demander pourquoi on continue à le promener en public celui-là.

Et puis ça n’est pas tout, il y a aussi un analyste qui a déclaré que « si les Israéliens frappaient les raffineries, le baril allait monter à 200$ » – EH BEN VOILÀ… On y arrive ! Il suffisait de demander. Il y a 2 semaines, tout le monde modifiait son « price target » pour le baril à 60$ voir même plus bas et là, POUF ! 200$… On est reparti pour le grand huit de la connerie. Personnellement, je m’en fiche, j’ai fait le plein hier. Pour le reste, l’or est à 2682$ et le Bitcoin entame une cure de Xanax autour des 61’000$.

Les nouvelles du jour

Dans les nouvelles du jour, j’aimerais revenir sur un truc qui s’est passé hier et qui mérite d’être écrit ici pour qu’on s’en souvienne et que l’on comprenne bien que – par moment – ce marché est complètement con. Ces dernières 48 heures, vous avez peut-être aperçu une « news » qui disait qu’Open AI (autrement dit : ChatGPT), avait levé 6.6 milliards dans récent « round » de financement. La société n’a pas dit qui étaient les investisseurs, mais elle a quand même réussi à glisser un mot pour dire que « Nividia a quand même mis 100 millions sur la table ». Et ça n’est tombé dans l’oreille d’un sourd qui ferait du recalibrage ou qui voudrait ajuster ses positions. Nvidia a donc pris 3.37% hier soir « parce qu’ils sont dans OPEN AI » et que ça va tout changer. Je rappelle donc pour mémoire que Nvidia pèse pas loin de 3’000 milliards de capitalisation boursière et que pour eux, 100 millions, c’est de la menue monnaie. Sans compter que les gars ils rentrent dans Chat GPT avec des niveaux de valorisation qui feraient peur à une bulle internet, mais tout le monde trouve ça génial. Finalement, il suffit d’un bon « narratif » pour faire ce que l’on veut dans le monde merveilleux de la finance.

Dans le reste des nouvelles, il faut tout de même noter que les dockers ont suspendu la grève jusqu’en janvier pour laisser du temps afin de trouver un « deal » – on voit que ça flippe un max dès qu’il s’agit des dockers. La « dead line » est au 15 janvier, ce qui tombera plus ou moins en même temps que la prise de pouvoir du nouveau Président Américain et le moment où il faudra repenser à mettre un plafond pour la dette américaine. Le début de l’année sera chaud. D’ailleurs, à propos des dockers, il faut tout de même noter que – tenez-vous bien : « Les fabricants de papier de toilette aux USA, ont dû démentir la probabilité d’un « shortage » de PQ à cause des dockers, alors que la rumeur circulait sur les réseaux ». On se fait un petit retour en mode COVID pour se souvenir comment ça fait quand une tripotée de débiles a soudainement besoin de 800 rouleaux de PQ et qu’il faut dévaliser les magasins ? Toujours est-il que l’honneur est sauf, il n’y a pas de shortage et les dockers retournent au boulot.

La dette US

On en parlait il y a quelques instant, la dette US est à nouveau en plein délire : elle augmenté de 345 milliards de dollars au cours des trois derniers jours, ce qui la propulse à nouveau record qui est de 35’700 milliards de dollars. Mais au-delà de ce chiffre stratosphérique, il faut également noter que depuis juin 2023, la dette a augmenté de 4’000 milliards. Autrement dit : 14 %. Et le plus marrant, dans tout ça, c’est que sur la MÊME PÉRIODE le PIB n’aura augmenté que de 1’500 milliards. Autrement dit : 6 %. Et autrement dit encore, la dette américaine croit 2.7 fois plus vite que la croissance de l’économie américaine. Ça va sûrement bien se passer… Je pense que la stratégie du gouvernement US va parfaitement dans la bonne direction : celle du mur.

Les chiffres du jour

Aujourd’hui, il n’y aura pas d’autres chiffres que les Non Farm Payrolls, comme ça, ça va nous donner un peu de temps pour BIEN ANALYSER les choses et voir de combien ces guignols du BLS se sont gourés cette fois et les mois précédents.

En ce qui me concerne, je m’en vais aller lire un dictionnaire des synonymes pour retravailler mon style d’écriture et voir ce que les gars de Goodwood nous ont réservé pour la nouvelle mouture du Cullinan. Je vous souhaite une excellente journée et surtout un très très bon week-end. On se retrouve lundi pour débriefer sur ce qui s’est passé et appréhender ce nouveau monde rempli de nouveaux mots et d’un peu moins de raffineries pétrolières.

À lundi et restez couvets !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Do not go where the path may lead; go instead where there is no path and leave a trail.” – Ralph Waldo Emerson