Je dois reconnaître qu’il y a des matins comme celui-là, où il n’est pas facile d’analyser la psychologie du marché. Personnellement, le seul mot qui me vient à l’esprit, c’est l’adjectif « torturé ». Alors oui, tout est en hausse aux États-Unis et Nvidia se rapproche de plus en plus de ses records historiques, mais en même temps on passe notre journée à geindre au sujet du stimulus insuffisant sur la Chine – c’est le nouveau truc à la mode – et lorsque l’on regarde les prévisions de baisses des taux, même si la probabilité d’une baisse de 0.25% est toujours présente à 93%, on sent bien que l’on se pose des questions existentielles. Heureusement que le pétrole baisse.

L’Audio du 9 octobre 2024

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L’angle de vue

En fait, je crois que le plus simple pour résumer ce qui se passe, c’est d’essayer de démontrer que tout est une question de point de vue. Hier soir, si l’on se base sur la photo finish, il n’y a rien à dire : Le Dow Jones remonte de 0.3% et est toujours à 300 points du plus haut de tous les temps, le S&P500 progresse de 0.97% et se traite toujours dans un range hyper-serré mais qui pointe toujours vers le haut, le Nasdaq vient de vivre une de ses meilleures séances depuis des semaines et les Magnificent Seven sont tous en hausse avec la palme qui revenait à Nvidia, puisque tout le monde est soudainement convaincu que la demande est telle sur leur processeur Blackwell, que les chiffres des deux prochains trimestre vont être « monstrueux ».

Pourtant, si l’on regarde la séance de lundi, aucune des raisons qui avait fait monter le niveau d’angoisse n’a été réglé. On avait peur de l’embrasement au Moyen Orient ? C’est toujours le cas et on ne peut pas dire que l’on se dirige paisiblement vers une solution pacifique dans les 49 prochaines années. On avait peur que la situation économique dans sa globalité soit propice à un retour de l’inflation ? C’est toujours le cas – sauf peut-être avec le prix du baril qui baissait de 2 dollars « parce qu’il n’y toujours pas de réplique en Iran » et sauf peut-être parce que – finalement – on a estimé que le « STIMULUS CHINOIS » ne serait pas suffisant. Mais pour le reste, on ne peut pas nier que l’emploi est soudainement très fort – si l’on en croit les récents chiffres de l’emploi, que les rendements sont à nouveau très élevés et, pour faire simple, les doutes de lundi n’étaient pas levés.

Mais ça monte quand même

Pourtant, ça monte quand même. Et plutôt fermement. C’est donc encore une fois une question d’angle de vue et de savoir OÙ nous fixons nos préoccupations. En l’occurrence, hier – en ce qui concerne le marché US – le soulagement est effectivement venu de la baisse du pétrole. Comme les Israéliens ne répliquent toujours pas et que l’on ne sait pas s’il y a une limite légale pour déclarer que c’est une réplique et que si la réplique n’est pas répliquée dans les huit jours, il faut considérer qu’il n’y aura pas de réplique, les intervenants se sont dit que – du coup – le pétrole n’avait plus de raison de monter. Et s’il n’y a pas de raison de monter, c’est qu’il y a des raisons de baisser. Le baril étant revenu à 73.78$, sans compter que le rendement du 10 ans était moins dynamique, les traders se sont dit qu’il était temps d’investir dans la croissance.

On a donc assez logiquement été rechercher des titres qui correspondent à cette description. Nvidia en tête. Mais ce qui est assez fou, c’est de voir qu’aux USA on s’est concentrés sur la non-réplique d’Israël et la baisse du pétrole pour justifier la hausse du marché, pendant qu’en Europe on justifiait la baisse à cause de la Chine qui décevait encore une fois à cause d’insuffisance de stimulus. Oui, parce qu’hier les Chinois sont revenus au bureau après une semaine de vacances et malgré l’énorme stimulus mis en place avant de partir faire la fête, les Occidentaux s’attendaient à un retour en fanfare avec un AUTRE STIMULUS. La Chine n’en n’avait jamais parlé, mais nous on comptait quand même un peu dessus. Bref, comme il n’y a pas eu de « rallonge » pour le moment, Hong Kong s’est fait défoncer pour avoir un peu trop anticipé les choses et la Chine aura vécu une première journée moyennement enthousiaste, puisqu’une fois l’euphorie de l’ouverture passée, on a quand même assisté à quelques prises de profits. Tout ça pour dire que d’un côté nous avons eu les USA qui s’emballaient en pariant sur la croissance parce que les rendements ne montaient plus et qu’Israël était en mode « colombe de la paix » (enfin, vis-à-vis de l’Iran, pas des autres pays, mais ça c’est devenu la norme) et puis de l’autre côté, l’Europe se dégonflait parce que la Chine ne remettait pas immédiatement la main au portemonnaie.

Les fléchettes

On peut donc assez bien résumer la chose quand on dit que la performance des bourses mondiales hier dépend surtout de la position d’où nous observons les choses et sur quoi nous nous concentrons. Et on peut aussi ajouter que la vision du marché et sa stratégie ne va pas plus loin que la fin de la séance du jour. Même si hier les acheteurs de Nvidia se justifiaient par rapport aux revenus stratosphériques qui seront engrangés en avril 2025.

Pour faire simple, hier il fallait choisir son camp et son argumentaire pour savoir où aller et la stratégie à court terme se rapproche plus d’un jeu de fléchettes avec une mémoire de poisson rouge que d’une stratégie réfléchie basée sur des éléments macro-économiques éprouvés et approuvés sur le long terme. En gros, le marché est complètement taré et peut changer d’avis en fonction du vent. Et en ce moment, le vent, il y en a.

En Asie on digère mal la cuisine chinoise

Ce matin, du côté du Japon, on est plutôt content de voir le « retour de la tech » aux USA, puisqu’eux aussi en ont (de la tech). Le Nikkei est en hausse de 0.6%. On n’est pas non plus en mode « raging bull market », mais compte tenu de la tronche de la Chine à l’heure actuelle, on peut s’estimer content que Tokyo reste en terrain positif. En effet, du côté de Shanghai c’est un peu moins drôle que ça l’était pendant qu’ils étaient fermés. Tout d’abord, il y a Hong Kong qui ne savent plus où ils en sont par rapport à AVANT la longue semaine de vacances chinoises et puis il y a la Chine qui se dégonfle à la vitesse d’un ballon en plastique fabriqué en Chine, justement. Mais le rallye s’est évanoui à la fin de la journée de mardi parce que les autorités chinoises n’ont donné que très peu d’indications sur la manière dont les nouvelles mesures de relance seront mises en œuvre. Mesures de relance qui sont censées s’articuler autour de baisses de taux, baisse des réserves obligatoires et injections de liquidités. On retiendra également la déception due à l’absence de mesures fiscales. Dans cet environnement qui souffle le chaud et le froid, les indices chinois sont en baisse de 5% et Hong Kong recule de 1.3%.

Pour le reste, comme mentionné plus tôt, Israël n’a toujours pas décidé comment ils allaient répliquer sur le territoire iranien et les experts ne savent plus quoi penser. Et dans le doute, le pétrole s’est replié parce que – pour le moment les raffineries de Téhéran sont toujours debout – et qu’en plus si la Chine ne stimule pas assez son économie, le pétrole devrait baisser, tout comme le luxe qui va à nouveau se retrouver short-Chinois-qui-font-la-queue-devant-chez-Bernard-Arnault. Actuellement le baril de brut est à 73.76$, l’or est à 2635$ et le Bitcoin s’échange à 62’430$.

Les sujets du jour

Pour ce qui des choses dont on cause sur le net, sur les réseaux et dans les médias financiers, on notera qu’il y a toujours pas mal de commentaires pour expliquer que la soudaine hausse des chiffres de l’emploi de la semaine dernière ne fait aucun sens et ne tient pas la route. On craint donc des révisions massives à la baisse APRÈS l’élection de Kamala Harris. Et puis il y a aussi deux-trois chiffres qui sont sortis au sujet de l’endettement via les cartes de crédit. Chiffres qui auraient de quoi en terroriser plus d’un, mais que l’on ne regarde pas, parce que nous sommes trop occupés à parier sur les chiffres MONSTRUEUX de Nvidia qui « devraient » arriver et sur le nombre de recalibrations des taux que Powell mettra en place avant Noël. Cependant, Les taux d’intérêt débiteurs sur les cartes de crédit ont atteint 23,4 % en août. Ce qui constitue un nouveau record historique. Durant les 24 derniers mois, les taux sont montés de 7% sur les dettes liées aux cartes de crédit.

Les Américains ont maintenant une dette record de 1’360 milliards sur leurs Visa et autres Mastercard, ce qui signifie qu’ils paient un INTÉRÊT ANNUEL MONSTRUEUX de 318 milliards de dollars. Pas le même MONSTRUEUX que celui de Nvidia. Pour mettre les choses en perspective, en 2019 le montant des intérêts était de 160 milliards. Et puis, pour couronner le tout, les faillites personnelles liées à ces dettes sont en hausse de 7%. Mais effectivement, on peut dire que tout est sous contrôle et que tout se passe pour le mieux. Autre chiffre passionnant, celui du nombre d’Américains qui ont deux jobs pour pouvoir survivre. Aux dernières nouvelles, le nombre de personnes ayant plusieurs emplois a atteint les 8 millions 660 milles le mois dernier. Là aussi, c’est un nouveau record. Le chiffre est nettement plus élevé que les données pré-pandémie et c’est 600’000 de plus que lors de la crise des subprimes en 2008. Il est également super-rassurant de constater que le nombre d’emplois à temps plein est en chute libre depuis la fin de l’année dernière. En résumé, ces chiffres sont abominables. On peut les mettre en opposition avec les EXCELLENTS CHIFFRES de l’emploi de vendredi et se dire que, quelque part, on se fout de nous. À moins que les 250’000 jobs créés le mois dernier soient des jobs qui sont occupés par des gens qui ont déjà un autre job. On peut se poser la question et se demander si l’on peut faire confiance au BLS pour communiquer des chiffres corrects et rationnels. Mais la réponse serait : NON !

Et autrement

Du côté de autres nouvelles, on parle du fait que Boeing s’enfonce dans la dette à cause de la grève et on parle d’un downgrade de rating dans les jours à venir. Il y a aussi Roblox qui a été mis sur la liste des « shorts » de chez Hindenburg Research – le « short-seller » estime que les chiffres fournis par Roblox sont artificiellement gonflés, irréels et complètement bidons (comme les chiffres des NFP’s en fait) et qu’accessoirement, la société est une pompe à fric qui ne fait que des pertes. Roblox a répliqué en disant qu’ils n’étaient pas d’accord et ça aura au moins permis de limiter la casse, puisque Roblox n’était en baisse « que » de 2%. Soit l’impact d’Hindenburg est en train de se réduire, soit cette fois ils se sont gourés de cible. Pendant ce temps, le DOJ parle de découper Google en plusieurs morceaux. Grand classique de la stratégie du DOJ, jusqu’à qu’ils se rendent compte que c’est pas possible à cause de l’argent.

On notera encore que la banque centrale Néo-Zélandaise a baissé les taux de 50 bp pour la seconde fois consécutive. Comme quoi ; c’est possible. Et puis, Pepsi était légèrement en hausse hier après avoir annoncé un chiffre d’affaires décevant pour le troisième trimestre et réduit ses prévisions de croissance. Ils ont déclaré qu’ils tentaient de naviguer dans un environnement de dépenses de consommation plus faibles. Et puis, Milton devrait toucher la Floride aujourd’hui, les messages d’alertes sont nombreux et semblent au bord de la panique tellement l’ouragan devrait être violent. Et pendant ce temps, les sondages sur les élections US continuent de circuler un peu partout et cette fois c’est le New York Times qui estime que Kamala Harris sortira vainqueur du match.

Les chiffres et les futures

Ce matin les futures sont en baisse de 0.17% et on attend le Trade Balance en Allemagne, les inventaires pétroliers et les Minutes du dernier FOMC Meeting – je me RÉJOUIS déjà de l’interprétation de ces dernières, comme d’habitude, ça sera le Muppet Show. Pour le reste, on est impatient de savoir quel sera l’axe principal pour les marchés ; le pétrole, la Chine, l’inflation, les taux ou tous les quatre en même temps. Une chose est certaine, il n’est pas simple de prendre une décision sur la direction à prendre. Mais par contre, les marchés saurons toujours nous surprendre.

Il me reste à vous souhaiter une très belle journée et on se revoit demain pour décortiquer tout ça ! Alors : À demain !!!

Thomas Veillet
Investir.ch

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