Il y a quelques jours, je suis tombé sur un dessin de presse où apparaissaient deux « bulls » habillés en costard-cravate, l’un des deux demandait à l’autre : « Que vas-tu faire lorsque nous aurons eu la première baisse des taux ? » et le second répondait : « En demander encore plus ! » Vous l’aurez compris, le dessin a été publié avant le FOMC meeting de la semaine dernière, mais pourtant hier, si l’on en croit les statistiques, les marchés « demandent » encore plus de baisses des taux dès le prochain meeting. Et pas qu’aux USA. En Europe aussi. Pourtant, si l’on en croit les gens qui nous dirigent, l’économie est forte, l’emploi est super balaise et rien ne peux nous empêcher d’avancer…

L’Audio du 24 septembre 2024

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Ça se contracte et c’est pas les abdos

Essayons de commencer dans l’ordre. Tout d’abord, il faut passer par les chiffres du PMI en Europe. Je ne vais pas vous abreuver de chiffres, il vous suffira d’aller les récupérer sur les sites spécialisés. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que les PMI’s en Europe se contractent. La France a déjà fini de ressentir l’effet magique des Jeux Olympiques et nous offre une très belle contraction pour fêter la rentrée et l’arrivée de son nouveau gouvernement de clowns, rempli de gens déconnectés de la réalité – il fallait quand même voir le discours de passation entre Antoine Armand et Bruno Le Maire avec un léchage de pompes en règle que s’en était presque gênant. Le nouveau ministre de l’économie a tellement passé de pommade dans le dos de Le Maire qu’il a eu des idées pour son prochain romand pornographique. Mais là n’est pas le sujet ; le sujet c’est que l’on peut largement se dire que ça n’est pas le gouvernement Barnier qui va relancer la France qui semble se contracter à toute vitesse.

Et c’est encore pire en Allemagne. Ça n’est pas une surprise, surtout après les annonces catastrophiques des constructeurs automobiles locaux qui s’enfoncent dans un marasme de plus en plus déprimant. D’ailleurs pendant un bref instant hier, on a eu le sentiment que le marché prenait conscience que l’économie ralentissait et que nous étions dans une situation qui laissait de moins en moins de doutes par rapport au fait qu’une éventuelle récession pourrait se pointer à l’horizon. On ne va pas se mentir. On ne veut pas le dire officiellement, parce que ça fait mauvais genre ; mais ça pue quand même vachement fort. On aurait d’ailleurs pu assez logiquement s’attendre à un peu de pression vendeuse sur les marchés. Mais c’était sans compter la stratégie mise en place par le monde merveilleux de la finance, stratégie qui fonctionne en deux temps.

La stratégie du moment

Le premier temps de la stratégie se base sur le fait que l’on prend lentement conscience que nous sommes beaucoup monté depuis un an et que l’économie n’est pas forcément montée en parallèle et que là tout de suite, elle montre ses limites. En temps normal, dans un monde normal, on aurait tendance à réduire l’exposition aux actions en attendant que l’économie se reconstruise et que l’on puisse à nouveau y croire et se dire que le cycle repart. Mais les temps ont changé et l’on peut donc activer la seconde partie de la stratégie : réclamer à corps et à cris une NOUVELLE BAISSE des taux. Et pas une baisse de « Mickey » à coup de 0,25%, NON ! Une vraie baisse des taux comme les Américains, à coup de 50 points de base !

En fait, comme on préfère quand les marchés montent, on demande aux Banques Centrales de nous motiver avec des baisses des taux qui ouvre l’optimisme et qui peuvent éventuellement faire illusion le temps que les sociétés qui sont victimes du ralentissement actuel puissent se reconstruire et justifier leurs valorisations débiles et comme ça, hop, abracadabra, on évite les grosses corrections boursières et on invente la hausse permanente. Il faut juste que les taux baissent super-rapidement et que les prochains chiffres fassent illusion. On ne sait pas trop si le processus de ce mouvement perpétuel peut fonctionner sur le long terme et si ça ne va pas finir par se retourner contre nous, mais toujours est-il que depuis les publications des PMI’s en Europe, on a entendu pas mal de voix qui réclament – voir anticipent – une baisse de 0.50% lors du prochain meeting de la BCE – et je suis prêt à parier que Dame Lagarde va finir par leur donner ce qu’ils veulent le 17 octobre prochain. C’est d’ailleurs pour ça que les marchés ne lâchent pas. Enfin, je crois que c’est pour ça, parce que le reste, je ne vois vraiment pas la raison de courir après, mais visiblement la thématique de la baisse des taux est un miracle qui refuse de cesser de fonctionner. Regardez, on n’a eu zéro baisse de taux aux USA pendant 12 mois et les marchés sont montés de 40% en « anticipation », on aurait tort de s’en priver !

Même punition aux States

Pendant que l’Europe faisait les yeux doux à Lagarde, histoire de la préparer et de lui faire comprendre que leurs besoins étaient un peu plus importants que 2 bp par-ci par-là, les Américains se sont chauffés sur la même thématique. Je rappelle pour mémoire que lors du meeting de la semaine dernière, Powell avait expliqué que la « recalibration » des taux de 50 points de base n’était qu’une réaction « exceptionnelle » et qu’elle n’était pas appelée à devenir la norme. Bon, ben c’est raté parce que visiblement le marché est déjà en train de se chauffer sur la prochaine baisse des taux. On était plus ou moins certains que la FED allait baisser les taux de 0.25% à chacun des deux derniers meetings de l’année, mais là tout de suite, entre hier matin 8h et hier soir 20h – en l’espace de 12 heures – les marchés se sont presque convaincus que la bonne stratégie que la FED « devrait » adopter, consiste en DEUX BAISSES DE 50 BP d’ici la fin de l’année. On est devenu très vite très gourmands et surtout : on n’en a rien à foutre de ce que peut raconter Powell, il suffit visiblement de lui expliquer gentiment qu’il n’a pas le choix.

La probabilité d’un second JUMBO RATE CUT lors du FOMC meeting de novembre, est passé de 26% la semaine dernière à plus de 53%. Le marché est en train de « pricer » le fait que nous sommes en pleine crise économique et que la FED n’a pas d’autre choix que de passer en mode « agressif ». Et pourtant, Powell nous a bien dit que le marché de l’emploi était fort et que l’économie était encore sous l’effet des stéroïdes de l’intelligence artificielle qui génère croissance et bonheur partout où elle passe. D’ailleurs même Madame Yellen l’a exprimé. Biden aussi l’a laissé entendre – même s’il a oublié depuis. Nous avons donc réussi à faire monter le Dow Jones au plus haut de tous les temps, tout comme le S&P500 en nous chauffant sur le fait que cette fin d’année serait placée sous le signe de « Jumbo Rate Cut » en série.

Les gars de la FED

Il faut dire que les deux membres de la FED qui ont parlé hier, n’y sont pas allés de main morte et ils n’ont pas hésité à mettre de l’huile sur le feu. Il y a tout d’abord eu Austan Goolsbee, patron de l’antenne de Chicago qui a déclaré « qu’au cours des 12 prochains mois, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour ramener les taux d’intérêt à un niveau proche de la neutralité ». Le niveau de neutralité des taux est estimé à 3% par la FED. Le marché n’a donc pas eu besoin de beaucoup d’encouragements pour se dire qu’ils allaient être agressifs, même si en baissant les taux de 100 bp sur les deux prochains meetings, ils ne leur resteraient plus grand-chose à couper ensuite. Goolsbee a également déclaré qu’il était temps de se concentrer un peu plus sur le marché de l’emploi (sous-entendant qu’il avait quand même besoin d’aide, contrairement à Powell qui pense que ça rigole dans le monde du travail) et qu’il faut un peu moins se concentrer sur l’inflation. Les intervenants ont donc fait « un + un » égal deux et se sont dit qu’il était temps de baisser les taux plus violemment pour soutenir l’économie. Il fût un temps, on vendait simplement le marché, mais là nous sommes devenus des rois de l’anticipation et de la manipulation de banquier central.

Dans la foulée de Goolsbee, il y a eu Kashkari qui est également revenu sur le fait qu’il fallait rapidement retourner à 3% sur les taux. L’inflation est donc définitivement derrière nous. Les prix ont explosé depuis 4 ans, on se retrouve avec un coût de la vie qui est devenu totalement délirant pour certains produits de première nécessité, mais les instances supérieures se frottent les mains parce que l’inflation – la hausse des prix n’est « plus que de 2% », pendant que les salaires ont plus ou moins stagnés sur ces 4 dernières années. Le coût la vie est devenu tellement prohibitif dans certaines régions que les gens sont dans la rue pour protester contre la hausse des prix parce qu’ils ne peuvent plus se nourrir – mais tout va bien, il suffit de baisser les taux massivement. Je ne sais pas si les gens pourront ensuite se nourrir un peu mieux, mais en tous les cas, les marchés pourront continuer de monter et c’est quand même ça l’important. Enfin, c’est l’impression que ça donne…

Bref, hier les marchés sont montés parce que l’on s’attend à encore plus de baisses de taux – pardon, à encore plus de recalibrage des taux et que c’est quand même super-bullish.

L’Asie en folie

Ce matin c’est la fête au village en Asie. Le gouvernement chinois est sorti du bois et se lance dans des baisses de taux massives afin de soutenir l’économie et ils annoncent déjà qu’il y en aura d’autres derrière. Le patron de la banque centrale chinoise a également annoncé qu’il y aurait encore d’autre mesures dans les semaines à venir, des mesures qui sont supposées « favoriser un développement stable des marchés boursiers chinois ». Le message a été entendu, puisque dans la foulée, Hong Kong était en hausse de 3.3% et Shanghai avançait de 2.38%, pendant que la Tokyo progressait de 0.7% seulement. Les experts en économie chinoise estiment déjà que « ça ne sera pas suffisant pour relancer l’économie chinoise », eux qui avaient été déjà tellement forts pour voir le ralentissement.

À propos de l’économie chinoise, on notera aussi un downgrade massif de tout le secteur du luxe chez Bank of America qui estiment que la faiblesse de la Chine et le ralentissement général ne justifie pas de telles valorisations. L’analyste donc taillé dans le gras chez tout le monde, LVMH, Hermès, Richemont, Burberry’s, Moncler, Boss, tout le monde en prend pour son grade. Baisse de price target et baisses de recommandations. On voit que les stars du début d’année, ne sont plus vraiment en odeur de sainteté. Je propose de mettre en place une cagnotte pour soutenir Bernard Arnault qui va avoir une fin d’année difficile. Mis à part ça, Israël a commencé à bombarder le Liban en mode « joue-là comme à Gaza » et ça n’a pas fait broncher le pétrole qui est toujours autour des 71$. Il faut dire que Joe Biden a déclaré qu’il bossait sur le sujet de la guerre entre le Hamas et Israël pour « trouver des solutions ». On est vraiment rassuré, sachant que Biden n’est même plus capable de trouver le bureau ovale sans assistance. L’or est à 2660$ et le Bitcoin a ENCORE une fois buté sur les 65’000$ et se replie sur les 63’000$. À la prochaine fois !

Encore des nouvelles

Du côté des nouvelles du jour, on retiendra que Visa est dans le viseur des autorités anti-trust qui pensent qu’ils ont une position trop dominante dans les cartes de débit. Il y a également un analyste qui pense que l’arrivée du nouveau CEO chez Nike ne suffira pas pour régler les problèmes qui attendent la société dans les prochains trimestres. Il y a un autre analyste qui s’attend à une surprise à la hausse sur les ventes de Tesla lors des prochaines annonces du trimestre. C’est courageux quand on voit l’état du secteur actuellement, mais en tous les cas, le marché y croit parce que Tesla a repris 37% depuis la crise du carry-trade au mois d’août.

Trump s’en prend à John Deere et menace de mettre des tarifs douaniers de 200% sur leurs produits, s’ils déplacent leurs lignes de productions au Mexique. Il faut juste qu’il soit élu pour mettre ses menaces à exécution. Boeing a fait une nouvelle offre à ses employés qui en sont à leur seconde semaine de grève, mais ça n’a pas l’air de fonctionner. Il y a aussi les autorités sanitaires françaises qui viennent de condamner une dizaine de laboratoires pharmaceutiques à payer un total de huit millions d’euros pour ne pas avoir maintenu de stocks suffisants de médicaments jugés essentiels. C’est jamais la faute du système, mais toujours la faute des autres.

Les chiffres du jour

Pour ce qui est des chiffres du jour, il y aura les chiffres de l’IFO en Allemagne, chose qui devrait permettre au marché de réclamer une recalibration des taux massive de la part de la BCE. Et puis cette après-midi, nous aurons la Confiance du Consommateur aux États-Unis. Le moindre chiffre décevant, devrait là aussi renforcer la conviction d’un JUMBO RATE CUT en novembre. Je suis quand même effaré de voir qu’il y a 5 jours on félicitait Powell d’avoir osé « recalibrer » les taux alors que l’emploi était « si fort » et 5 jours après, toujours au plus haut de tous les temps, on réclame de nouvelles recalibrations pour « soutenir le marché de l’emploi » qui est pourtant toujours aussi fort !

Pour le moment, les futures sont en baisse de 0.04% et tout va bien, parce que les taux vont baisser et les banques centrales vont nous aider. Non, on ne dit pas aider, on dit obéir ! Passez une belle journée et nous ont se revoit demain pour de nouvelles aventures !

À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

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