Le nouveau mot à la mode, c’est donc le mot « recalibration ». C’est le mot que Jerome Powell a utilisé pour annoncer la baisse des taux mercredi soir. On a donc changé le narratif, puisque dorénavant, les banques centrales ne baissent pas ou ne montent pas les taux ; elles « RECALIBRENT ». Le patron de la FED a donc expliqué que la situation économique était TELLEMENT bonne aux USA et que le marché de l’emploi n’était que du bonheur, qu’il était nécessaire de recalibrer les taux 0.5% plus bas. Le marché a eu besoin de temps pour digérer l’information puisqu’elle n’est devenue GÉNIALE que 24 heures plus tard. Mais peu importe, à la fin les records tombent.

L’Audio du 20 septembre 2024

Télécharger le podcast

Jour deux après que la FED ait recalibrer

Après l’annonce de la recalibration, les marchés s’étaient dégonflés et avaient terminé dans le rouge, mettant un peu le doute sur l’efficacité de la baisse des taux. On avait toujours ce doute ancré au fond de nous, qui laissait à penser que si la FED baisse les taux aussi vite (pardon, RECALIBRE), si la FED recalibre les taux aussi vite, c’est que l’on sent un peu la panique anti-récession poindre à l’horizon et qu’il faut vite agir pendant que l’on peut encore masquer ce qui ne va pas. Pendant que l’on peut encore dire que l’économie et l’emploi sont solide et que personne n’ose vraiment dire le contraire.

À ce propos il a tout de même été frappant de voir combien de gens concernés par les taux ont sauté sur l’occasion pour dire que tout allait bien et qu’il ne fallait pas voir le mal derrière la recalibration des taux. Powell, tout d’abord. Le patron de la FED a été enthousiaste sur la situation économique. Il a également mentionné la situation de l’emploi – sujet qui reste la première inquiétude de la FED – il a estimé que l’emploi était solide mais qu’il gardait « quand même » un œil dessus. À ce stade, je ne mentionnerais même pas le nombre d’emploi qui ont été perdus les 12 derniers mois, puisqu’on en parle depuis des mois, mais que tout le monde s’en fout, on préfère nettement se satisfaire de la « recalibration » des taux, du fait que l’on va recalibrer encore en novembre et en décembre et que le marché ne peut donc plus que monter…

Les séniles

Et puis, dans la foulée de Powell nous avons encore eu droit à la déclaration en direct de l’EMS de la Maison Blanche, puisque Biden et Yellen se sont fendus de leur satisfaction dégoulinante avec des mots qui laissent songeurs. Selon Madame Yellen, la baisse des taux de la Fed est une « déclaration de progrès» pour Joe Biden, elle y voit «un signal très positif» quant à la santé de l’économie américaine. C’est formidable. Donc l’économie est au top, l’inflation n’est pas encore revenue à la cible de 2%, mais baisser les taux est « un signal positif ». Et c’est pas tout, après Yellen, le sénile en chef – Joe Biden – s’est fendu d’un commentaire dans lequel ils déclare que : « la baisse des taux n’est pas une déclaration de victoire. C’est une déclaration de progrès ». Selon lui du signe que les États-Unis sont entrés dans une nouvelle phase de reprise.

Je suis abasourdi. Mais j’imagine que je suis le seul qui trouve ça choquant. On se retrouve avec des chiffres abominables au niveau de l’emploi, on baisse les taux, pardon, on recalibre massivement le taux et tout le monde trouve que c’est un « signe de force » de la part de l’économie américaine. Il serait intéressant de poser la question à l’Américain moyen qui vient de signer un troisième job pour pouvoir boucler la fin de mois, histoire de voir ce qu’il pense de la « forte reprise de l’économie US ». Et puis, il ne faut pas non plus oublier que dans l’histoire de la finance, lorsque la FED baisse les taux de 50 bp au début du cycle, ça se finit généralement au fond de la tasse avec une claque monumentale sur les marchés lorsque l’on se rend compte que la récession arrive et que l’économie n’était pas si forte. MAIS HEUREUSEMENT, cette fois c’est pas pareil parce qu’ils n’ont pas BAISSÉ les taux, ils les ont RECALIBRÉ et ça, ça change tout.

On s’incline et on achète

Toujours est-il que le marché aura eu besoin d’une nuit pour bien comprendre la notion de recalibrage, de voir les chiffres économiques d’hier pour confirmer l’INDESTRUCTABILITÉ de l’économie américaine, pour enfin charger le bateau, passer des ordres en masse et atteindre de nouveaux plus hauts historiques sur le Dow Jones et le S&P. Le Nasdaq et le SOX ont explosé leurs tendances baissières et tout le monde a racheté de la technologie et des Magnificent Seven en masse parce que, comme tout le monde le sait, c’est eux qui vont profiter de la croissance en premier. D’ailleurs ce matin vous pouvez déjà trouver des comparaisons qui vous disent de combien Nvidia performe en moyenne APRÈS une baisse des taux. Et soyez confiants, ça monte une chiée…

Le bilan est donc excessivement positif. Les chiffres publiés hier le confirment : les Jobless Claims sont plus faibles de 16’000 et le Philly Fed est légèrement en hausse alors qu’on l’attendait inchangé. On frise l’euphorie économique et puis surtout, lorsque l’on connaît la confiance que l’on peut accorder aux Jobless Claims, il y a vraiment toutes les raisons de d’acheter le marché comme des fous en se basant sur le fait que 16’000 Américains de moins (sur 360 millions), n’ont pas demandé d’indemnités chômage. Ça doit vraiment TOUT changer. Bref, tout ça pour vous dire que le narratif de ces derniers jours est absolument mythique et que le marché y a totalement adhéré. Si la FED était un être humain, on l’aurait déjà canonisée. Quoi qu’il en soit, vivre dans un monde et dans une économie aussi parfaite que la nôtre est absolument formidable, j’en arrive presque à me dire que, finalement, les arbres pourraient bien finir par aller jusqu’au ciel.

La vision de l’avenir

Dans ce patchwork de nouvelles fabuleuses qui restaurent la confiance en l’être humain et qui donne envie de croire en la hausse permanente des bourses mondiales, il est intéressant de revenir brièvement sur le fait que lorsque la FED baisse les taux de 50 bp en début de cycle, ça ne finit jamais bien. Je sais bien que cette fois c’est pas pareil et que cette fois nous vivons dans un monde fabuleux où les gars qui décident de l’âge de la retraite devraient y être depuis bien longtemps et que ceux qui perdent les élections se retrouvent au gouvernement en piétinant allégrement le concept de la démocratie, mais toujours est-il que lorsque l’on regarde le passé et que quand la FED a entamé son nouveau cycle par des Jumbo Rate Cuts, ça a fini dans le mur en pleine récession.

Actuellement, les déclarations de Powell ont tendance à nous faire dire que « cette fois c’est pas pareil, parce que là tout de suite, ça va trop trop bien. Ce qui n’était pas le cas les fois précédentes. On peut donc croire que cette fois la FED a fait tout juste et qu’elle ne se trompe JAMAIS – enfin, sauf quand elle dit que l’inflation est transitoire et sous contrôle – mis à part cette petite erreur de casting, 3 ans plus tard avec des prix moyens en hausse de 30% depuis l’erreur de casting, la FED SEMBLE ne plus pouvoir faire d’erreur. SAUF QUE, si l’on revient encore une fois dans le passé, lorsque la première baisse des taux a lieu, la récession n’est pas encore arrivée. Ou en tous les cas, n’a pas encore été annoncée… C’est en général entre 12 et 16 mois plus tard que l’on vient nous dire que la récession est arrivée (bien qu’en fait elle est en place depuis bien longtemps). Les experts en récession ont donc besoin de temps pour dire que « ça y est, on est en plein dedans, mais c’est pas grave, de marcher dedans ça porte bonheur ». Tout ça pour vous dire que l’annonce de la récession se fait toujours en retard, que là tout de suite on est peut-être déjà dedans, mais tant que nos instances supérieures n’ont pas décidé de l’annoncer officiellement, on n’est pas dedans. Et puis là, à 5 semaines des élections US, ça n’arrange vraiment personne.

En conclusion : tout va extrêmement bien, l’emploi est au top, l’économie est fantastique, la baisse des taux ça n’est pas de la panique, mais une juste récompense offerte à l’économie, Powell est un visionnaire et normalement ce week-end, si la météo le permet, il devrait marcher sur l’eau et multiplier les pains devant le parvis de la FED.

L’euphorie a tous les étages

Pour le reste, ce matin le Nikkei reprend 2% de plus, Hong Kong est pas loin de faire pareil et la Chine ne fait rien parce que la seule économie qui va, c’est l’économie US. Le meeting de la BOJ s’est soldé par un « bof, finalement on va rien faire sur les taux » ce qui rassurait les angoissés du carry-trade. On sent comme un vent « tout va presque trop bien sur les marchés » et nous sommes hyper-concentrés sur le verre à moitié plein. Du côté du baril, on repasse les 70$ en montée, tout d’abord parce que la baisse des taux va booster l’économie et les gens vont se ruer pour acheter des barils de pétrole avec tout l’argent qui va tomber en plus en fin de mois. Mais le baril monte aussi parce que les tensions au Moyen Orient reprennent de plus belle après les explosions de bippers organisées par le Mossad, le terroriste en chef du Hezbollah a promis qu’Israël allait recevoir « un châtiment à la hauteur ». Enfin dès que les gars du Hezbollah auront appris à communiquer par signaux de fumée, vu que tout le reste leur pète dans les mains. Néanmoins le baril est à 71$ et hier soir le clown qui est à l’Élysée a parlé aux Libanais en vidéo pour leur dire que la guerre n’était pas une fatalité, lui a réussi à voler la démocratie aux Français et personne ne dit rien, c’est bien que tout est possible.

En ce qui concerne le baril, je voudrais encore rappeler une chose, le 10 septembre dernier, alors que le WTI frisait les 65$, plusieurs analystes ont débarqué en même temps pour dire que ça allait beaucoup, beaucoup plus bas. Et comme d’habitude, chaque fois que les « grandes maisons » de Wall Street se montrent « confiants » sur la direction du baril, c’est dans l’autre sens qu’on va… Pendant ce temps, l’or est à 2617$ et le Bitcoin tape les 64’000$.

Autres nouvelles

Dans les autres nouvelles du jour, on notera que Nike a annoncé avoir récupéré un ancien top manager qui était parti à la retraite, pour le nommer CEO. Le nouveau boss du fabricant des baskets à Michael Jordan se nomme Elliott Hill et il est à la retraite depuis 4 ans. On en est donc réduit à aller récupérer des retraités pour faire fonctionner la boîte. Le CEO actuel restera dans le quartier comme « consultant ». Je suis certain que c’est une bonne idée. Sous sa direction Nike s’est fait défoncer, mais là on va le payer encore pour qu’il donne des conseils… Néanmoins le titre prenait 7.5% pour fêter ça, même s’il y a encore du boulot à faire pour relancer Nike selon les analystes. Il y a aussi FedEx qui a fait quelque chose qui ressemble à un Profit Warning. La société a réduit ses prévisions pour l’année entière en expliquant que les consommateurs ont commencé à économiser sur les frais d’expédition. En gros, ils sont en train de dire qu’au milieu d’une économie qui CARTONNE (selon la FED), les gens préfèrent payer 3 dollars de moins pour recevoir leur commande plus tard… ça sent effectivement l’économie en folie…

Hier soir le CEO de FEDEX a déclaré : « L’ampleur de la baisse des taux signale la faiblesse de l’environnement actuel ». Bon. Déjà il n’a pas dit : recalibrage et ensuite, il ne s’est visiblement pas concerté avec Yellen, Biden ou Powell avant de parler à la presse, parce que visiblement, le message que veut faire passer la FED n’est pas le même que celui que FEDEX se prend en pleine gueule. Le titre était en baisse de 11% after close. Pour la suite, nous sommes vendredi et c’est l’échéance des trois sorcières et il y a plus ou moins 5’000 milliards qui doivent arriver à échéance. Selon les médias, on s’attend à une GROSSE VOLATILITÉ. C’est un peu le même truc qu’on nous annonce à chaque échéance et il ne se passe jamais rien – mais bon, je vous l’annonce quand même, comme ça j’aurais fait mon job. Et puis, toujours au chapitre banques centrales, la Banque d’Angleterre n’a rien fait et a conservé ses taux là où ils étaient.

Les chiffres et le bilan final

Nous voici donc dans un monde fabuleux où tout va bien, où l’économie cartonne et où l’emploi n’a (presque) jamais été aussi bien ! Aujourd’hui nous aurons encore le PPI en Allemagne, la conférence de presse de la BOJ et Madame Lagarde qui va parler. Pour le reste, c’est le dernier jour de la semaine et il ne reste plus qu’à espérer que l’échéance des options vienne mettre un peu d’ambiance et accélère un peu la hausse du S&P500 en direction des 6’000 !

Passez un excellent week-end, un très bon vendredi et nous on se retrouve lundi matin pour continuer à se raconter de belles histoires avec des jolis mots pour renforcer le narratif ! À lundi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“It takes character to sit with all that cash and to do nothing. I didn’t get to the top where I am by going after mediocre opportunities.” Charlie Munger