La ¨révolution du schiste¨ a remodelé la géopolitique mondiale du gaz et du pétrole. Elle a profondément remis en cause la domination des nations exportatrices traditionnelles et réaffirmé la puissance nord-américaine.
Après avoir dangereusement monté (de 5% en 1960 à 30% en 2006), la dépendance énergétique des États-Unis a en effet fortement rebaissé. Mieux, la composition des importations du pays a subi un profond changement ces 30 dernières; collapse de l’Arabie Saoudite au profit du Canada, du Mexique. Il n’empêche, le pays qui se vante d’être devenu exportateur net, continue d’importer des hydrocarbures, car ses capacités de raffinage, très concentrées sur le pétrole ¨heavy¨, n’ont cessé de diminuer depuis 2020. C’est pourquoi les États-Unis envisagent de lever l’embargo du Venezuela et reparlent à N. Maduro.
Mais l’Arabie saoudite, nouveau membre des BRICS+, reste une puissance régionale à surveiller, multi-alignée comme l’Inde et la Turquie. La Chine est son principal partenaire commercial, grâce au commerce de l’énergie. Afin de maintenir le prix ¨mondial¨ du pétrole sous contrôle, Biden avait ¨supplié¨ le royaume wahabite d’augmenter sa production, ce que les Saoudiens ont refusé. Pour les Saoudiens, le pétrole représente 70% des revenus de l’État. Il est acheminé en Asie par le détroit d’Ormuz. On devine pourquoi tant la Chine que l’Arabie n’ont pas intérêt à attiser le conflit avec l’Iran… Selon l’AIE, si tout le trafic via le détroit s’arrêtait, 20% des exportations régionales de pétrole pourraient être détournées, soit une flambée des prix. L’économie mondiale serait confrontée à un nouveau choc énergétique.
La baisse de ses réserves stratégiques (SPR) réduit la capacité de l’administration Biden de ralentir la hausse des prix
Les États-Unis sont incités à apaiser les tensions pour protéger le consommateur avant l’élection présidentielle
Frères d’armes
Le royaume est un client fidèle de l’industrie de défense US. En raison des relations tendues entre l’Arabie saoudite et l’Iran, le royaume a beaucoup investi dans le militaire. L’Arabie saoudite se classe au 23e rang selon l’indice mondial de Global Firepower, derrière ses pairs régionaux comme la Turquie (8e), le Pakistan (9e), l’Iran (14e), l’Égypte (15e) et Israël (17e). Mais la dynamique s’améliore. Dans les années 2000, les dépenses militaires annuelles de l’Arabie saoudite représentaient 9% du PIB, soit le double de celles des États-Unis (3,9%). Ces 10 dernières années, l’Arabie saoudite est devenue le 2ème importateur d’armes au monde après l’Inde. La majeure partie de ses achats proviennent des États-Unis (75%), de France (7,6%) et d’Espagne (7,0%).
La Chine renforce progressivement sa présence. En février, les entreprises d’État chinoises se sont, pour la 1ère fois, regroupées sous une seule marque. En 2022, les Saoudiens ont signé un accord de 4 milliards de dollars avec la Chine, incluant des drones armés et des missiles balistiques. Le commerce d’armes entre la Chine et l’Arabie Saoudite est encore modeste face aux États-Unis, mais cette tendance n’est pas passée inaperçue à Washington. La Chine étend également son soft power. En mars 2023, elle a facilité une détente entre Iraniens et Saoudiens.
Compte tenu des efforts de la Chine pour approfondir ses liens avec le royaume, il n’est pas surprenant que l’administration Biden soit désireuse de conclure un accord. On parle désormais d’un pacte de défense, et aussi du soutien américain à un programme nucléaire civil saoudien et du partage de haut niveau dans le domaine de l’IA et d’autres technologies émergentes en échange de la réduction par l’Arabie saoudite des investissements chinois.
Les États-Unis stabiliseraient leurs relations avec leurs partenaires les plus critiques au Moyen-Orient
Les Saoudiens utiliseraient probablement toute marge de manœuvre pour dialoguer avec les deux parties, car c’est dans leur intérêt
Le (pétro)-dollar garantit la respectabilité de MBS
Le prince saoudien Mohammed ben Salmane est indéniablement un homme d’affaires et un diplomate compétent dans ce nouvel ordre géopolitique. Ses efforts en matière d’accords ne se limitent pas aux seuls accords commerciaux, puisqu’il contribue activement aux pourparlers de paix en Ukraine et avec Israel/le Hamas. Pourtant, son bilan en matière de respect des droits de l’homme est notoire. Certains officiels craignent qu’un accord avec les États-Unis lui permette de développer une arme nucléaire. L’armement des alliés du moment n’est jamais sans risques, et cette leçon n’a jamais été aussi vraie qu’au Moyen-Orient. Jusqu’à la révolution islamique de 1979, l’Iran était l’un des alliés les plus proches des États-Unis dans la région.
Selon sa nature/portée, le futur pacte devra peut-être être approuvé par le Congrès. De nombreux membres restent critiques à l’égard de l’Arabie saoudite du fait de son bilan en matière de droits humains. Dans le même temps, Biden tente de restaurer son leadership mondial. Il annonce qu’il cessera d’envoyer des bombes et des obus d’artillerie à Israël en cas d’invasion majeure de Rafah. Des civils ayant été tués par ces bombes. Mais la principale raison est davantage liée à la course à la présidentielle et à son niveau de popularité.
La décision de Biden tombe à un mauvais moment pour Israël. Le gouvernement a accumulé une facture de 60 milliards de shekels (16 milliards de dollars) après 7 mois de guerre. Son déficit budgétaire est sur le point de dépasser l’objectif de l’année en l’absence d’une action gouvernementale pour stabiliser les finances. Le déficit budgétaire a déjà franchi 7% du PIB en avril, plus que l’estimation du gouvernement de 6,6% pour 2024. Les dépenses ont bondi de près de 36% ces 4 premiers mois de 2024, tandis que les recettes ont reculé de 2,2%, principalement en raison d’une baisse des impôts.
On suivra de près la visite du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed bin Salman au Japon à la fin du mois. Officiellement, le royaume cherche à stimuler les flux de capitaux étrangers pour alimenter sa vaste stratégie Vision 2030. Mais des discussions plus larges, sur le pricing du pétrole et le mode de règlement de la facture nippone pourraient aussi être à l’agenda.
MBS étend son influence et prend le relais des Etats-Unis comme gendarme régional
Il se profile aussi comme acteur de référence en Asie
Les États-Unis sont prêts à de nouveaux compromis pour maintenir le leadership du dollar
- Biden tente de protéger le statut international du dollar. Douleurs à court terme (compromis) pour gains à long terme (leadership du dollar)
- Le retour de l’Arabie Saoudite sur la scène internationale se confirme et s’accélère
- L’augmentation des dépenses en matière de défense / armement, au niveau mondial, va inéluctablement se poursuivre
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