C’est la 20ème fois de l’année. La 20ème fois de l’année que le S&P500 termine sa journée au plus haut de tous les temps. Si ça continue à ce rythme toute l’année, je sens que 2024 va être une année record sur bien des plans. En temps normal, on pourrait se poser des questions et se demander si cette hausse est totalement rationnelle et si nous ne sommes pas en train de marcher sur la tête. Mais à l’heure actuelle, remettre le Bull Market en question est encore plus mal vu que d’habitude. Dans le sillage de la FED de mercredi soir, les intervenants continuent de profiter de l’effet magique du fait que la FED a confirmé qu’elle va baisser les taux. Enfin, jusqu’à qu’elle en décide autrement.

L’Audio du 22 mars 2024

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Surf’in Wall Street

C’est ce que l’on appelle « surfer sur la vague ». Hier, les commentaires qui expliquaient que les bourses montaient parce que « la FED a confirmé son intention de baisser les taux et que tout le monde trouvait ça génial », étaient un peu partout dans les journaux. On ne va pas se refaire le film de mercredi soir, j’en ai largement assez parlé hier dans cette même chronique, mais n’empêche que depuis la publication du « dot plot » qui mentionne trois baisses de taux en 2024, les « experts » semblent avoir trouvé un nouveau souffle qui justifie des achats en masse et le fait que le S&P500 ait battu un nouveau record historique – le vingtième de l’année.

Pourtant, et je suis désolé de revenir sur le sujet ; la logique de la hausse actuelle me laisse tout de même un peu pantois et dubitatif. Si je reviens rapidement dans le passé ; on se souviendra que le rallye dans lequel nous sommes, trouve ses origines à la toute fin du mois 2023, lorsque la FED mentionne le fait que le cycle de hausse des taux et terminé et « qu’il est plus que probable que le prochain « move » se fera à la baisse ». Depuis cette date, les marchés du monde entier sont en feu par anticipation de la baisse à venir. Nous sommes donc montés de 28% sur le S&P500 « pour anticiper une baisse des taux multiple à venir ». Aujourd’hui, 174 jours après le début du mouvement haussier, nous trouvons encore la force de monter avec EXACTEMENT LE MÊME NARRATIF !!! Pas un mot n’a changé dans l’histoire de base et le plus fou dans tout ça, c’est que ça MARCHE COMME AU PREMIER JOUR !!!

Le remède à tous les maux

La baisse des taux est devenue le remède à tous les maux ; vous avez de la fièvre ? C’est pas grave, la baisse des taux va vous guérir. Votre femme ou votre mari vous a quitté ? C’est pas grave, lorsque la FED va baisser les taux, le retour de l’être aimé sera garanti. Votre voiture est en panne ? Aucun soucis, dès que la baisse des taux sera effective ; ça sera réparé. Vous avez des kilos à perdre ? Mieux que l’Ozempic, 25 basis point de baisse, devrait vous faire perdre 1 kilo par basis point… Non mais sans rire, c’est tout bonnement hallucinant de voir que peu importe la nouvelle, on se raccroche systématiquement au fait que : « ça va bien se passer parce que les taux ; ils vont baisser ». Et en plus dorénavant, vu que nous sommes convaincus qu’ils vont baisser TROIS FOIS en 2024, c’est encore plus évident.

Alors je sais bien que l’on ne peut pas faire des règles de trois pour dire que chaque baisse des taux de 0.25% correspond à une hausse de 10% du S&P500. Que ce genre de comparaison n’existe pas. Mais je me demande combien de pourcent de hausse nous sommes prêts à faire sur le S&P500 AVANT de nous rendre compte que pour justifier un mouvement pareil, il faudrait que les taux directeurs se dirigent en direction des « moins 5% » pour que tout ça soit réellement justifié et justifiable. Ce que je veux dire, c’est que nous anticipons des baisses de taux en série et qu’à ce rythme-là – en juin – lorsque nous aurons notre première baisse des taux (hypothétique), le S&P sera en hausse de 35% depuis les plus bas. Est-ce que ce niveau-là sera assez « élevé » pour que l’on commence à se dire : « tiens, peut-être que les baisses de taux sont dans les prix et si on prenait les profits ??? »…

La hausse appelle la hausse

Quoi qu’il en soit le moindre espoir de voir les taux baisser fait monter les marchés comme au premier jour. On est aussi motivé que nous l’étions le 1er novembre. Loin de moi l’idée de trouver ça désagréable, mais disons que si l’on regarde la « photo globale », il y aurait de quoi avoir un peu peur. Mais comme nous avons des œillères que nous sommes capables de trier le bon grain de l’ivraie dans n’importe quelle news qui est publiée, ça continue de monter dans une sérénité absolument inouïe. Et c’est encore une fois ce qui s’est passé hier. Que ce soit aux USA où en Europe, les indices montent sur le fait que les taux vont baisser et personne n’aborde le fait que nous avons peut-être ÉNORMÉMENT anticipé cette bonne nouvelle de « baisse des taux à venir » qui est utilisée à toutes les sauces.

Hier, en plus de la thérapie des taux qui vont baisser et du soulagement de voir que la FED était VRAIMENT notre amie. Nous avons encore eu droit à pas mal de choses. Tout d’abord, la Banque d’Angleterre a fait comme la FED : elle n’a pas changé le niveau de ses taux directeurs et laisse entendre qu’elle aimerait bien les baisser, mais qu’elle ne sait pas quand et que ça serait quand même pas mal que l’on sache si la Princesse de Galles est toujours vivante, histoire qu’elle ne soit pas à Paris en train de faire des pointes de vitesse sous le pont de l’Alma. Dans la foulée de la BOE, il y a la BNS qui a trouvé le moyen de faire parler d’elle en BAISSANT les taux. Oui, la Suisse qui a toujours été épargnée par l’inflation en comparaison du reste du monde a décidé de frapper un grand coup que l’on n’avait pas tous vu venir : baisser les taux de 0.25% pour donner un coup de main aux exportatrices, pendant que les banques centrales du reste du monde pinaillent à ne rien faire. Définitivement, y en n’a point comme nous.

Le DOJ est de sortie

Et puis, du côté des actions, c’était de la folie, puisqu’il a fallu gérer la nouvelle IPO de Reddit qui faisait feu de tout bois pour son premier jour de trading. Le titre avait été pricé à 34$ et à la clôture était en hausse de 47% après avoir fait un pic à plus de 70%. La société perd de l’argent et on se pose pas mal de questions sur la valorisation qui est déjà à plus de 8 milliards. Mais pour être franc, je crois que la hausse est parfaitement justifiée parce que, hé.. : la FED elle va baisser les taux.

Ensuite il y avait Apple. Alors Apple, ça fait un moment qu’ils sont en discussion avec le département de la justice – le DOJ – pour éviter de se prendre un procès pour « position dominante et monopolistique » et hier les discussions se sont terminées, puisque ces abrutis de fonctionnaires ont donc décidé de passer la vitesse supérieure d’attaquer Apple en justice. Non seulement c’est ridicule et pathétique, mais en plus, on a l’impression de se retrouver 25 ans en arrière quand le MÊME DOJ avait attaqué Microsoft pour le MÊME problème de position dominante. C’est d’ailleurs ce qui est absolument hallucinant aux États-Unis; on regarde croître une société en se pâmant de bonheur et en encensant la créativité et le fait que cette boîte est en train de devenir la meilleure du monde et QU’EN PLUS ELLE EST BORN IN THE USA. Et puis plus on la regarde croître plus on trouve qu’ils sont trop forts, trop beaux et trop géniaux. Et un matin, y a un fonctionnaire qui se réveille et qui dit :

« Oui, non, mais là c’est trop. Ils sont trop gros, il faut faire quelque chose ».

Vive le pays de la liberté. Enfin, comme Microsoft en son temps, Apple se prend de plein fouet la rançon de son succès, tout comme Nvidia va se la prendre le moment venu. Le plus drôle dans cette histoire, c’est comment le DOJ explique qu’ils veulent aider le monde à être plus juste face à Apple, alors qu’en fait, ils veulent juste du pognon. D’ailleurs à l’époque où ils avaient attaqué frontalement Microsoft pour les forcer à se fractionner en plusieurs divisions, Bill Gates avait envisagé d’aller s’installer au Canada, subitement, les roquets du DOJ étaient retournés à la niche. On ne doute pas de l’issue du procès, mais une chose est certaine, si les USA avaient compté sur les capacités entrepreneuriales des clowns du DOJ, le chemin de fer ne traverserait même pas le pays.

Le reste

Ce matin le Japon se maintient dans le vert, mais de justesse et c’est le bain de sang à Hong Kong. Le Hang Seng recule de près de 2.7% et la Chine est en baisse de 1.2%, les dernières données économiques chinoises pointent toujours en direction d’une économie qui a l’air aussi dynamique qu’un Conseiller Fédéral et on a l’impression que les mesures de stimulus mises en place par le gouvernement, n’ont de l’utilité que dans les médias pendant les 48 premières heures. Le pétrole est à 80.48$, l’or est à 2175$ et le Bitcoin est à 66’000$.

Du côté des nouvelles du jour, on notera les bons chiffres de FEDEX qui veulent se montrer optimistes pour l’avenir, même si la situation reste « challenging » pour les mois à venir. Le titre prenait 13% after close et ils n’ont même pas mentionné leur intention de faire appel à l’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE. C’est pas la même mayonnaise chez Nike qui ont l’air totalement embourbés dans leur stratégie à venir. Ils mentionnent l’envie de mettre en avant leurs partenaires qui font de la vente de détail – comme FootLocker – mais franchement, au-delà des chiffres qui sont plutôt déprimants, on a vraiment l’impression qu’ils nagent dans les sables mouvants et qu’elle est bien loin l’époque de Michael Jordan et Tiger Woods. Le titre plongeait de 6% after close.

L’histoire drôle du jour et les chiffres

Pour conclure cette semaine, on retiendra quand même que Vanguard qui est un des plus gros provider d’ETF’s de la planète, vient de déclarer que – selon eux – la FED ne BAISSERA PAS LES TAUX EN 2024. Mais pour être franc on s’en fout. On s’en fout, parce que les marchés SAVENT que les taux vont baisser. Un jour. Et même si c’est en 2034, tant que l’on monte « en attendant que les taux baissent », ça nous fera un joli BULL MARKET SÉCULAIRE. Et puis alors la plus belle des nouvelles de ces dernières 24 heures – et peut-être même depuis le jour où la FED a décidé de ne PLUS MONTER LES TAUX, c’est les États-Unis qui viennent de demander à l’Ukraine de ne plus attaquer les raffineries pétrolières russes, parce que « tu comprends
Volodymyr, quand tu fais péter les raffineries, ça fait monter le prix du pétrole et ça nous arrange moyen du côté du prix à la pompe aux States et en plus ça pourrait énerver Poutine ». Nous en sommes donc arrivés à un stade où les Américains demandent aux Ukrainiens de faire la guerre gentiment et de ne tirer que sur des cibles qui ne posent pas de problème à l’inflation américaine. Après les frappes chirurgicales qui avaient été inventées en Irak, voici la guerre « politiquement et énergétiquement correcte » en résumé, une bonne guerre ESG pour ne pas perturber la consommation de Joe American.

Du côté des chiffres du jour, nous aurons le sommet des pays européens, l’IFO en Allemagne, ainsi que Powell et Bostic qui parleront. On ne devrait pas apprendre grand-chose, si ce n’est que « pour l’instant », ils continuent de persister dans leurs projets de baisse des taux, ce qui est de toutes façons, merveilleux pour les bourses mondiales. Bref, que du bonheur pour conclure cette semaine – qui était encore une fois à la limite de la perfection.

Passez une très belle journée, un très beau week-end météorologiquement pourri et on se retrouve dès lundi matin pour la suite du Bull Market Forever dans lequel nous sommes.

À lundi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Buy not on optimism, but on arithmetic.” Benjamin Graham