Je sais parfaitement que nous avons une mémoire de poisson rouge et que l’on ne se souvient généralement de rien – surtout en finance – mais là, je dois dire que ça fait trois jours que je fouille dans mes souvenirs et je ne me rappelle pas que l’on se soit emmerdé à ce point dans les marchés. Mais je dois probablement me gourer, parce justement, on a une mémoire de poisson rouge. L’intérêt se concentre uniquement sur le plafond que l’on va se prendre en pleine figure et à pleine vitesse. Le reste est délaissé et je me demande si ça vaut encore la peine de se lever pour écrire. La dernière fois que j’ai eu ce sentiment, ça devait être… pour le dernier plafond de la dette.

L’Audio du 17 mai 2023

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Faire simple et penser à des choses tristes

Je vais tenter de faire simple : hier il ne s’est pas passé grand-chose mais il y avait tout de même deux-trois trucs qui avaient le pouvoir de stresser le marché dans un monde normal Mais comme nous ne sommes pas dans un monde normal, c’est plus compliqué de vraiment tirer quelque chose des mauvaises nouvelles de la veille. Et puis, pas grand-chose aussi parce que Biden et McCarthy devaient se rencontrer en fin de journée et qu’en attendant, personne ne veut vraiment prendre des risques de malades, sachant que si un accord tombe par surprise, toute tentative de faire baisser le marché serait immédiatement réduite à néant.

Et c’est là que la psychologie de marché est intéressante. Pour ne pas dire passionnante. Pendant quelques instants, nous allons nous projeter dans un monde imaginaire où Joe Biden et le Sénateur McCarthy seraient ressortis de la Maison Blanche hier soir en déclarant qu’ils avaient trouvé un accord et que le plafond serait immédiatement revu à la hausse de 5’000 milliards. Cette nouvelle aurait immédiatement fait bondir le marché de joie et il est fort probable que le S&P500 aurait terminé au-dessus des 4’200, sur le territoire des Bulls. Dès aujourd’hui on aurait oublié le sujet du plafond et nous nous serions reconcentrés sur les problèmes d’inflation ou de récession. Sujets que nous maitrisons depuis des mois. Sauf que…

Rien ne serait réglé

Oui, sauf que rien ne serait réglé. Réhausser le plafond de la dette ne va pas améliorer les conditions économiques, ne va pas guérir le cancer et ne va pas forcer Jerome Powell à baisser les taux. Il va simplement permettre à l’État Américain de continuer à payer ce qu’il doit et lui permettre de s’enfoncer un peu plus profond dans la panade, et laisser Wall Street continuer de croire que « tout va bien ». Mais fondamentalement, les USA vont continuer de fonctionner avec de l’argent qu’ils n’ont pas et à dépenser des sommes astronomiques dans des trucs inutiles sous prétexte que faire des coupes budgétaires, c’est trop dur. Si le gouvernement américain était un être humain, cela fait longtemps qu’on l’aurait mis sous tutelle et qu’il serait interdit bancaire.

Mais en attendant, nous, les experts en finance, on continue de suivre les tribulations des hommes politiques américains qui se prennent au sérieux et pensent qu’en endettant le pays encore un peu plus, ils sont investis d’une mission divine (God Bless America) alors qu’en fait, ils sont simplement en train d’accélérer un peu plus fort, un peu plus vite pour que le pays se fracasse à toute vitesse contre le mur de la dette… Histoire que ça fasse vraiment mal.

Rien de neuf, donc…

Donc hier soir les deux parties se sont recontrées et il « semblerait » qu’ils aient fait des progrès et qu’il y ait de l’espoir. McCarthy a déclaré que ça n’était pas si compliqué que ça de trouver un accord et il a même laissé entendre que si les Démocrates faisaient un effort (chose qu’ils n’ont pas du tout, mais alors pas du tout envie de faire), ils pourraient trouver un accord d’ici la fin de la semaine. Sauf que le Président grabataire part en voyage en Asie pour aller retrouver toute l’équipe de bras cassés du G7, histoire de faire la fête à Hiroshima. Et si la carte de crédit du commandant de bord d’Air Force One ne fonctionnait plus pour faire le plein de retour parce que le plafond a été atteint ?

Tout ça pour dire que Biden a son pays qui est au bord du gouffre financier, mais il préfère partir boire des cocktails avec ses potes. Le Président Américain a cependant annoncé qu’il allait écourter son voyage pour pouvoir trouver un accord avant le premier juin. Oui, parce que pendant ce temps, on a Yellen qui passe en boucle sur les chaînes d’infos pour dire « attention, le premier juin on n’a plus de fric, attention, le premier juin on n’a plus de fric, attention, le premier juin on n’a plus de fric »… Il paraît que Mattel va fabriquer des poupées à l’effigie de Yellen et quand on appuiera dans le dos, une voix électronique dira : « ON VA FAIRE DÉFAUT, ON VA FAIRE DÉFAUT, ON VA FAIRE DÉFAUT »…

En conclusion

Hier nous avons donc digéré l’absence de nouvelle sur le plafond de la dette et nous avons essayé de ne pas paniquer sachant que tant que rien n’est certain ; rien n’est certain. En revanche, ce qui est certain, c’est que les chiffres des ventes de détails ne sont pas au mieux de leur forme et que cela signifie clairement que l’économie est en train de ralentir, qu’on le veuille ou non. Alors il ne faut pas non plus peindre le diable sur la muraille, crier au loup et dramatiser plus que tant. Le consommateur va encore consommer et cet été il va tout de même faire le plein et faire péter les cocktails et les bouteilles de rosé à la plage – le rosé sera peut-être simplement meilleur marché et il fera un peu plus mal à la tête – mais il va continuer de consommer. Avec peut-être un peu plus de raison. En même temps avec un endettement maximum sur les cartes de crédit et des taux à 24% sur la dette, ça va pousser à boire un peu d’eau du robinet entre deux canettes de rosé pas frais.

Et puis, comme si les « mauvaises nouvelles » sur les ventes de détail ne suffisaient pas, nous avons eu également Home Depot qui a sorti des chiffres plus faibles que les attentes des analystes. Home Depot qui s’est également plaint de la baisse du prix du bois qui a un impact sur leurs marges et sur le fait que les barbecues et les patios se vendaient moins bien cette année. En même temps, quand tu vois cette météo de merde au mois de mai, t’as quand même plus envie d’acheter un four à raclette ou un caquelon à fondue qu’un barbecue de six mètres de long pour faire cuire des sangliers entiers. Le magasin de bricolage a également prévenu que les mois à venir ne seraient pas facile. Le titre était en baisse de 2.15% à la clôture. Ça n’est pas la fin du monde, mais ça ne laisse augurer rien de bon pour les chiffres de Wal-Mart demain. Notez bien que demain c’est congé, alors les chiffres de Wal-Mart, on y survivra, mais quand même.

Du côté de chez Kim

En Asie, c’est un peu « control c / control v » ces derniers jours. Le Japon s’envole et passe la résistance des 30’000, on entend dire que l’économie repart après le COVID et que les touristes reviennent. En revanche, en Chine on ne parle que du rebond post-COVID qui s’essouffle. Ce matin encore, la Chine est en baisse – légère – mais en baisse quand même et Hong Kong suit le mouvement. Pendant que tout le monde s’interroge sur le COVID et les rebonds qui vont avec, Kim Jong Un est toujours dans sa période « guerre froide » et est en train de tester son tout nouveau jouet : un satellite espion.

Pour ce qui est des matières premières, le pétrole se demande toujours s’il est un indicateur économique que l’on utilise pour confirmer la bonne santé d’une économie ou s’il n’est qu’un véhicule pour essayer de faire du pognon en anticipant le fait que l’économie va aller moins bien un jour. Ce matin le baril est à 70.95$. L’or est repassé pour la 112ème fois sous les 2’000$ et se traite à 1995$. C’est fou ce truc, chaque fois que j’ai l’impression qu’il va aller tout péter, il repart à la baisse. Pourtant, en ce moment, il y a tout ce qu’il faut pour en faire une valeur refuge ! Le Bitcoin est à 27’114$ et devient presque moins volatile que la volatilité elle-même.

Les nouvelles du jour

Côté nouvelle du jour, on notera que Pfizer vient d’emprunter 31 milliards de dollars sous forme d’obligations. Mais l’histoire ne réside pas uniquement dans l’effet d’annonce. Ce qu’il faut également retenir, c’est que comme la plupart des grosses entreprises sont en train de flipper à l’idée de voir les USA faire défaut et se voir couper certaines de leurs subventions, on se précipite sur toutes les mannes de cash possibles et imaginables histoire de ne pas se retrouver à poil au cas où les grands de ce monde ne parvenaient pas à mettre leurs égos de côté et s’acharnaient quand même à laisser couler la dette. Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais ça n’est sûrement pas une marque de confiance vis-à-vis du monde pathétique de la politique.

On notera également que Tesla a tenu son assemblée générale durant laquelle Musk a annoncé que, pour la première fois, Tesla allait se lancer dans des spots publicitaires pour la marque. La foule a adoré, Musk a été surpris de la réaction de la foule et les analystes ont simplement constaté que plus Tesla grandit, plus la marque se comporte comme une autre marque de voiture. Et le ton sur lequel cela a été exprimé, ça n’est pas un compliment. On retiendra également que la FTC a bloqué le rachat d’Horizon par Agmen. Le titre de la compagnie de biotechnologie s’est pris 14% dans les dents. Au-delà du fait que le take over a été bloqué par la commission de la concurrence, on notera que cela confirme qu’aux USA, IL Y A BIEN UNE COMMISSION DE LA CONCURRENCE. Ce qui n’est pas le cas en Suisse, si vous voyez ce que je veux dire…

Dans les autres trucs qu’il faut retenir ce matin, il y a aussi le fait que les CEO’s des banques régionales qui ont disparu, refusent tous en bloc de rendre leurs bonus. Ça se comprend et ça se passe de commentaire en même temps. Il y a aussi Krugman, prix Nobel de son état qui déclare que l’économie US est en meilleure forme qu’on le pense et que la récession n’aura pas forcément lieu, bien au contraire. Ses déclarations font suite à un sondage qui laisse entendre que 93% des CEO’s des sociétés US pensent que l’on va vers une récession dans les 18 mois et le même sondage fait état du fait que 110% des CEO’s refuseraient de rendre leurs bonus si on le leur demandait. Tout ça pour dire qu’entre Krugman et les CEO’s, on verra qui du théoricien ou qui des praticiens aura raison. Et puis, on terminera avec la rumeur qui dit qu’il y a 70% de chances que Musk quitte son poste de CEO de Tesla dans les 12 mois à venir. Oui, je sais, ça vous fait une belle jambe, mais c’est pas moi qui le dit.

Chiffres du jour

Côté chiffres économiques, nous aurons le Trade Balance en Suisse, puis les chiffres du chômage en France – chiffres qui devraient être excellents vu que, selon les déclarations de leur Président Élu à vie, il ne suffit plus de traverser la route pour trouver un job, mais que dorénavant, avancer d’un mètre serait suffisant. Il y aura ensuite les chiffres du CPI en Europe et les ventes de voitures en Allemagne. Ensuite aux USA nous aurons les inventaires pétroliers, les permis de construire et les nouvelles demandes d’hypothèques.

Pour le reste, les futures sont légèrement en hausse, le plafond de la dette ne sera pas réglé tant que l’autre est en vacances et, à propos de vacances, demain c’est congé et d’après ce que j’entends, tout le monde va se barrer pendant 4 jours. Perso, je serai quand même là vendredi par pur sacrifice. D’ici-là, je vous souhaite une excellente journée et un très bon week-end prolongé, parce que je sens que je vais me retrouver seul devant mon clavier vendredi matin !

Que la force soit avec vous et à vendredi !

Thomas Veillet
Investir.ch

« Tell a man there are 300 billion stars in the universe and he’ll believe you. Tell him a bench has wet paint on it and he’ll have to touch to be sure. » – Murphy’s Law