Nous sommes en Suisse en 2026, il est 12h et vous êtes victime d’un accident sur l’autoroute Genève - Lausanne. L’autre conducteur impliqué est un véhicule: une voiture autonome de niveau 3.

Par Maëlle Roulet, Avocate

 

Bien évidemment, aussi intelligente soit-elle, la voiture autonome n’a pas la capacité de lui répondre. Pas plus que son passager d’ailleurs, qui ignore tout des systèmes implémentés dans sa voiture lui permettant de manger son sandwich dans les bouchons sur l’autoroute.

Comment expliquer que son véhicule autonome se soit déporté sur votre voie? Obsolescence programmée? Défaut de construction? Problème de mise à jour du logiciel? Qui donc est responsable du dommage causé à votre véhicule ? Allez-vous attaquer le constructeur ou encore le concepteur du logiciel qui permet à la voiture de suivre les lignes du tronçon de l’autoroute?

Soyez raisonnable: le passager est une cible bien plus atteignable et bien moins préparée.

La législation suisse prévoit en effet que le passager doit redevenir conducteur lorsque sa voiture l’y invite. Selon le Conseil fédéral, «dans tous les cas, ils devront rester attentifs en permanence et être en mesure non seulement de réagir à temps et de manière appropriée aux invitations du système d’automatisation à reprendre le contrôle du véhicule mais aussi de s’exécuter». En d’autres mots, pour autant que sa voiture l’y invite, le passager/conducteur est responsable des inattentions, des choix, des dérives et de l’éthique de sa voiture «autonome».

Pourquoi perdre son temps et son argent dans le but de poursuivre le constructeur ou le concepteur du logiciel pour vous faire rembourser vos frais de réparation? Le passager n’a pas repris le volant lorsque sa voiture a changé soudainement de voie sans explication mais l’a invité à reprendre le contrôle. Il est fautif selon la législation suisse. Point.

Vous déposez ainsi plainte pénale contre le passager et obtenez la reconnaissance de sa responsabilité civile dans l’accident. Vous emmenez votre véhicule au garage, il est remboursé par l’assurance responsabilité civile du passager et l’affaire est réglée.

De son côté, le passager n’a plus beaucoup de choix. Soit il accepte la sentence, aussi injuste soit-elle. Soit il se retourne contre le constructeur ou le concepteur du logiciel, tentant d’expliquer et de prouver tant bien que mal qu’il n’a en fait pas été invité à reprendre le contrôle du véhicule.

Bonne chance à lui!

Il s’agit là d’un cas d’accident tout à fait probable en Suisse dans quelques années. En effet, un projet de législation sur les voitures autonomes de niveau 3, voire de niveau 4, est en voie d’être adopté. A priori, le niveau 3 sera admis sur les routes suisse, lequel assure le guidage du véhicule pendant un certain temps dans des conditions spécifiques, mais oblige le conducteur à reprendre le volant si le système l’y invite.

Si le projet est adopté, cela sera au Conseil fédéral de définir dans quels cas le conducteur sera déchargé partiellement de sa responsabilité. Toutefois, lorsque l’on sait qu’en matière de nouvelles technologies, le législateur suisse est frileux à l’idée de développer de nouvelles bases légales et préfèrent se rattacher à celles existantes, tout porte à croire que le système actuel de responsabilité continuera de s’appliquer, à tout le moins dans les grandes lignes. De plus, il sera particulièrement difficile de prouver que le constructeur, le développeur du logiciel et tout autre personne morale impliquée dans l’automatisation du véhicule sont fautives.

En résumé, le passager/conducteur d’une voiture autonome sera souvent responsable par défaut.

Il n’est donc pas surprenant que les constructeurs automobiles, tels que Ford ou encore Tesla, qui rappellent en ce moment plus de 300’000 véhicules aux Etats-Unis qui sont dotés du logiciel avancé de conduite autonome «Full Self-Driving» (FSD), fassent aujourd’hui machine arrière sur le développement de voitures totalement autonomes.

L’absence de rentabilité à court terme du développement de la voiture entièrement autonome n’en est pas la seule cause. Si les voitures complètement autonomes se retrouvent sur les routes du monde, leurs dérives et leur éthique seront prioritairement de la responsabilité des constructeurs.

Au vu des développements législatifs en Suisse et ailleurs, il est en effet bien plus intéressant d’investir sur l’automatisation de niveau 2 ou 3, sur des outils d’assistance comme la régulation de la vitesse, le changement de voie sur l’autoroute ou l’aide au parking, qui ne restreignent pas réellement la responsabilité du passager/conducteur.

A bon entendeur.

 

Avocate en nouvelles technologies et cybersécurité, ROULET Avocats et Fondatrice de Code+.

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