L'art de rédiger un prompt.

Par Maëlle Roulet, Avocate

 

Doit-on vraiment s’émouvoir des œuvres musicales, littéraires et d’art créées par l’intelligence artificielle?

En ce début d’année, ChatGpt, Aiva ou encore Dall-e font couler beaucoup d’encre et inquiètent. Ces intelligences nous font ressentir (oui, elles en sont capables!) une certaine nostalgie de l’art humain. Est-ce le début de l’obsolescence programmée de l’Homme?

Face à ces questions existentielles, le législateur est sollicité de part et d’autre: peut-on vraiment laisser les algorithmes remplacer l’âme artistique qui sommeille en chacun de nous?

Cela revient à se poser la question suivante: est-ce que donner des instructions à une IA (soit rédiger un prompt) est du grand art?

Tentez le coup et prenez votre courage à deux mains pour rédiger un prompt: pensez à une suite d’instructions à donner à l’IA Dall-e. Vous constaterez que, au gré des essais, votre imagination se déploie et que, pour arriver à un résultat que vous aimez, par exemple une peinture «digne de ce nom», de multiples tentatives et modifications de votre prompt seront nécessaires.

Alors, est-ce que ce travail – de rédaction, de recherche, de création – sur le prompt suffit pour qualifier votre résultat de grand art?

Bien que cette question soit vraisemblablement rhétorique, une analyse juridique peut avoir l’ambition d’y répondre, à tout le moins partiellement.

Selon la loi fédérale sur les droits d’auteur et les droits voisins (LDA), seules les œuvres créées par l’humain, à savoir la personne physique qui crée l’œuvre (art. 6 LDA), sont protégées. Cependant, pour être protégée par les droits d’auteur, l’œuvre créée par une personne physique doit être une «création de l’esprit».

Est-ce le cas d’un instrumental de rap ou d’une peinture inspirée du style de Van Gogh générés par une IA, dont le prompt a été vu et revu? A reprendre l’exemple de l’essai sur Dall-e, il apparait que c’est le cas. Selon la jurisprudence suisse, la création doit résulter de l’activité intellectuelle de l’être humain. Lorsque l’IA est utilisée comme outil et que l’humain y apporte une contribution, il s’agit donc d’une œuvre créée par un humain au sens du droit suisse.

Aussi, rédiger un prompt peut visiblement être qualifié d’art, de grand art, conformément au droit suisse.

Aujourd’hui, prévaut néanmoins un doux mélange d’excitation et de méfiance vis à vis des IA telle que Dall-e. Or si on peut s’attendre à ce que l’intelligence artificielle incarne la quatrième révolution industrielle, il n’est pas certain que nous assistions à un changement de paradigme aussi profond que certains le craignent. Pour autant que l’on garde le contrôle, que l’IA reste avant tout un outil et qu’on la maitrise. Il s’agit d’une opportunité à ne pas négliger pour les grands groupes mais aussi pour les PME. Les entreprises doivent précisément et désormais pleinement maîtriser l’IA, et investir en ce sens.

Rien ne sert d’attendre l’Etat. En effet, le contrôle n’est aujourd’hui pas synonyme de nouvelles régulations: selon le législateur suisse, pour l’instant, les normes dites neutres (qui ne dépendent pas d’une technologie ou d’un moyen en particulier), avec quelques légers ajustements et ajouts, sont suffisamment aptes à maîtriser les aspirations humaines des intelligences artificielles. L’avenir nous le dira. Cela dit, tel n’est pas la position de nos voisins européens.

La meilleure solution législative, à savoir une législation horizontale ou verticale, n’est pas aisée à déterminer. Il est incontestable que certaines normes déjà en vigueur permettent effectivement d’appréhender l’IA. Toutefois, il est permis de douter, par exemple, que notre bonne vieille loi sur la responsabilité du fait des produits, dont la dernière modification date de 2010, soit apte à déterminer le(s) responsable(s) de dommages corporels dus à un objet non identifié explosant dans nos mains qui a été créé par une IA et imprimée par le biais d’une imprimante 3D. On est en pourtant là.

Dans le suspense d’éventuels nouveaux développements législatifs, les entreprises doivent donc s’en remettre aux lois suisses en vigueur (Loi fédérale sur les droits d’auteur, Loi sur la concurrence déloyale, etc) ainsi que jongler avec les notions existantes en droit suisse (les œuvres dérivées, la responsabilité du fait des produits, et j’en passe).

Cela dit, la Suisse, consciente que l’IA est une technologie clé d’importance géopolitique sur le plan international, se dit aujourd’hui prête à “contribuer à établir une réglementation internationale appropriée de l’IA, qui permettra de relever les défis et d’exploiter les opportunités qui se présentent dans ce domaine de manière ciblée

En fait, elle n’aura à terme pas d’autre choix. A titre d’exemple, les prescriptions techniques suisses en matière de produits doivent être élaborées de manière à être compatibles avec celles de ses principaux partenaires commerciaux européens, selon la Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce. Par conséquent, le projet de règlement européen sur l’intelligence artificielle, qui sera en principe repris dans la législation de l’Union européenne sur les machines, contraindra la Suisse à s’adapter.

Tout porte donc à croire que, malgré les réticences actuelles à réglementer l’IA, la législation suisse va évoluer en la matière ces prochaines années.

On ne peut ainsi pas exclure à ce stade que, un jour, l’IA ne laisse plus la place à l’art du prompt et qu’elle détienne exclusivement des droits patrimoniaux sur une œuvre. L’IA, la nouvelle âme des artistes? Le cas échéant, l’humain aura-t-il pour autant vendu son âme au diable? Affaire à suivre …

 

Avocate en nouvelles technologies et cybersécurité, ROULET Avocats et Fondatrice de Code+.

Code+ est une plateforme suisse romande permettant aux entreprises d’accéder à des avocats et à des experts spécialisés en nouvelles technologies, internet et cybersécurité. Les avocats et experts de Code+ sont solidement implantés en Suisse romande et travaillent en étroite collaboration sur les projets et les litiges de leurs clients ou en cas de cyberattaque et de fuite/vol de données. Ils conseillent et défendent les entreprises dans toutes les affaires liées de près ou de loin à la technologie et à l’internet. Code+ offre également une solution simple aux entreprises afin d’externaliser leurs services juridiques et de cybersécurité.