En presque 15 ans de chroniques boursières, je me suis retrouvé souvent devant ce même écran en train de me dire : « mais putain qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter ? ». Sur ces presque 4'000 réveils matinaux je me suis souvent raccroché à des petits détails pour arriver à écrire mes 4 pages matinales. Et puis il y a eu le11 août. Le 11 aoûts 2020, en dehors du fait que les Russes ont pris tout le monde de vitesse avec un vaccin contre le COVID qui a été annoncé hier par le Président à vie Vladimir Poutine – il y a eu tellement de choses à analyser et à interpréter qu’à la fin on a préféré tout vendre tellement ça devenait incompréhensible. Il y avait une espèce de cacophonie politico-économico-financièro-médicale que les intervenants ont totalement craqué en fin de séance, tellement ils n’y comprenaient plus rien.

L’Audio du 12 août 2020

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Le vaccin russe, c’est bien ou c’est pas bien ?

Il s’est passé tellement de trucs que ce n’est vraiment pas facile de remonter le puzzle des évènements. C’est même carrément kafkaïen. Le plus compliqué c’est de savoir où tout a commencé. Si l’on rembobine la cassette VHS de la journée – tout avait pourtant bien commencé. On avait l’impression que les executives orders deTrump allaient pouvoir donner cette dernière impulsion qu’il fallait pour que le S&P500 batte ses records historiques et mette définitivement un point final aux dégâts causés par la pandémie – du point de vue boursier en tous les cas – on savait bien que ces ordres ne valaient pas grand-chose fondamentalement, mais qu’ils permettraient peut-être aux politiciens de se prendre le coup de pied au cul qu’ils méritaient pour finaliser une fois pour toute ce plan de stimulus version 2.0 et d’arrêter de nous balader comme ils le font depuis 3 semaines-1 mois.

En tous les cas, l’Europe était plutôt motivée en début de séance et on sentait comme un parfum d’euphorie qui aurait pu nous permettre de voir une clôture épique en fin de séance américaine. Pour couronner le tout, en fin de matinée Poutine nous annonçait qu’il avait trouvé un vaccin tout seul dans sa cuisine et qu’après avoir joué pendant six semaines à docteur Maboule et au petit chimiste, il avait finalement réussi à prendre de vitesse, les Moderna, Astra-Zeneca et autres Pfizer. C’est fou. Ça fait des semaines que l’on se chauffe comme des fous sur les avancées de Moderna et de Pfizer, que l’on est tous devenus experts en phase une, en phase deux et en phase trois après s’être formé intensément sur Facebook et avec quelque tutos YouTube, tout le monde était chaud bouillant sur le vaccin de Moderna et on avait presque fini d’imprimer les t-shirts « je me suis vacciner par Moderna, vous pouvez m’embrasser » – le gouvernement Suisse venait juste de passer son ordre de virement pour réserver ses 4.5 millions de doses de vaccin qui n’existait pas encore que Poutine débarque et fout tout par terre. Un plan qui se déroulait sans accro qui venait d’être remis en question. Sont forts ces Russes.

Et c’est à ce moment très précis que la journée est partie en vrille

Quoi qu’il en soit et si l’on est très honnête avec nous-mêmes, on se fout pas mal de savoir qui a trouvé le premier vaccin et qui va le vendre à qui. Le principal c’est que ça fonctionne. Je crois que vu la prise de tête que nous cause ce foutu virus, même si le vaccin était fabriqué par Kim Jong Un, soutenu par Bill Gates et aidé par les Francs-Maçons et Daesh, on s’en foutrait pas mal, tant que l’on peut retourner en boîte de nuit sans masque et que l’on peut envisager de retourner à Ibiza l’année prochaine. C’est en tous les cas comme ça que les marchés Européens ont pris la chose et c’est ce qui nous a permis de voir le DAX en hausse de 2% et même le CAC40 qui bondissait de 2.4% – le vaccin et l’Euro/Dollar qui repartait en direction des 1.17 – parce que faut pas déconner quand même.

Sauf que ce vaccin allait avoir des conséquences inattendues pour le reste de la journée. Tout d’abord, il faut bien comprendre que le vaccin – russe, nord-coréen ou fabriqué à base d’herbe ou de principes vaudou EST une bonne nouvelle. Bon, à écouter les experts en vaccins qui ont déboulé sur les plateaux télé pour dire que c’était très louche et mettre en doute les techniques de tests et l’efficacité de ces derniers ; ce n’est pas encore gagné. Mais dans la finance on a rarement besoin de certitudes, une bonne rumeur suffit souvent. Et très largement. Alors la parole d’un chef d’état élu démocratiquement (ou presque), vous imaginez bien que c’est plus qu’on ne peut en rêver. Donc c’était une bonne nouvelle, on attendait plus qu’Amazon annonce la commercialisation du vaccin sur leur site et on pouvait s’emballer. Le problème, c’est que si c’est une bonne nouvelle, ça veut dire que l’économie va enfin repartir pour de vrai, que l’on va pouvoir ressortir, se rouler des pelles, cracher par terre et lécher les poignées pour se tenir à l’intérieur du bus. Même pire : reprendre le bus à 17h30 au mois d’octobre quand tout le monde tousse sans masque.

Mais si l’économie repart, il va y avoir de l’inflation, on va devoir monter les taux, investir dans l’obligataire sera à nouveau une solution. D’ailleurs le rendement du 10 ans américains vient de remonter à 0.65%, n’est-ce pas une opportunité inouïe d’investir avec des rendements pareils ? 0.65% par année, c’est presque la performance de Tesla cette année – à 400% près. Du coup, les marchés américains ont commencé à douter. Mais l’or aussi a commencé à douter. Oui parce que si Poutine sauve le monde avec son vaccin et nous débarrasse à lui tout seul de cette merde, il n’y aura plus jamais besoin d’or comme valeur refuge. Le métal jaune s’est donc offert sa pire journée depuis 7 ans. Vendredi dernier nous étions à 2075$ au plus haut de tous les temps et à l’heure où je vous parle, on frise les 1900$. Ça fait quand même 10% en quelque jours. Bon, je vous rassure tout de suite, les convaincus de l’or à 4’000$ estiment que vous êtes en train d’assister à l’opportunité d’achat de toute une vie, on vous conseille largement de casser la tirelire du petit dernier pour tout mettre en or, parce qu’une fois que le métal jaune aura consolidé entre 1900 et 1950, il va repartir tellement vite, tellement haut que vous ne le verrez même pas passer.

Chart de l’Or – Source : Tradingview.com

Et puis il y a la mère de toutes les rotations de secteurs

Et puis, pour terminer cette salade de news tous azimuts qui nous est tombé dessus hier, il fallait encore démêler la fin de la journée à Wall Street avec ce que l’on nous livrait en vrac depuis le début de la séance. Au passage, Joe Biden annonçait qu’il avait choisi une vice-présidente noire, ce qui est vraiment une « énorme » surprise. Après s’être fait des amis dans la communauté durant le week-end, il n’avait pas d’autre choix que de frapper un grand-coup, ce qui ne laisse plus trop le choix à Trump, il va devoir proposer le job de VP à Kanye West ou à n’importe quel autre rappeur noir qui sait aligner trois mots sans faire une faute d’orthographe ou de syntaxe. Mais là n’était pas le souci, il nous restait à résoudre l’équation du « qu’est-ce que je fais avec mon portefeuille de techs si grâce à Poutine l’économie mondiale redémarre, le tout pendant que l’or se pète la gueule ?? » – il faut avouer que l’on a mis un peu de temps à trouver la réponse, mais à force de réfléchir – ce qui ne nous arrive non plus pas tous les jours ; la lumière fût.

La stratégie de base aura été de :

  • Virer les techs pour prendre les profits – en même temps ça fait trois jours que tout le monde tape dessus, ça ne se verra pas.
  • On va racheter toutes les daubes qui n’ont rien foutu depuis le mois de mars parce que, justement, c’était des daubes
  • En gros on était en mode « buy the losers and sold the winners ».

Le problème ce que les “winners” comme Apple, Amazon & co, ils pèsent tellement lourd dans le S&P500 que quand on les vend, on a beau acheter le reste ; ça se voit. Et donc tout ça a fini en sell off général et le S&P500 n’a PAS terminé au plus haut de tous les temps alors que l’on était à « ça » de sabrer le champagne. La mauvaise nouvelle c’est que l’on a fini en baisse, mais la bonne c’est que l’on est en train de racheter le reste et il pourrait y avoir de jolies surprises en terme de rebonds individuels ces prochains temps. Par contre, on espère que le sell-off en technologie va pas trop durer, parce qu’on se rend compte que quand t’as des journées où Apple, Amazon, Facebook, Microsoft, Netflix et Google perdent toutes en moyenne 2% – ça fait bizarre. Pour être franc, je préfèrerais être en vacances le jour ou Amazon et Apple font un « profit warning » ensemble, le même jour.

En Asie on suit le mouvement

Ce matin en Asie, on suit le mouvement. On n’a pas trop été regarder ce qui a été vendu ou acheté hier – il faut dire qu’il y avait tellement et probablement trop à digérer, que ce matin on s’est dit qu’il valait mieux choisir un sujet et vendre là-dessus. Le sujet qui justifie la faiblesse des marchés asiatiques ce matin, c’est le fait que les Républicains et les Démocrates ne se sont toujours pas mis d’accord sur le plan de stimulus que Trump essaie de faire passer à grand-coups de forceps. Histoire de ne pas faire comme tout le monde, le Japon est en hausse de 0.5%, mais le reste c’est 2% dans les dents en Chine et 0.19% de baisse à Hong Kong.

Le pétrole est à 41.71$ et l’or n’en finit plus de baisser, puisqu’entre le début de la rédaction de cette chronique et maintenant, il a encore perdu 17$ et se traite à 1883$. Allez, plus que 2117$ avant les 4’000$.

Les nouvelles du jour

Dans les nouvelles du jour, on parle donc de la nomination de Kamala Harris comme Vice-Présidente. Ce qui veut dire que si Biden est élu et que s’il meurt durant son mandat, nous aurons donc notre première femme noire et présidente, le tout d’un seul coup. Ça n’a pas vraiment d’influence sur les marchés là tout de suite, mais c’est une nouvelle qui est bien accueillie par les médias. Pendant que Poutine lance la commercialisation de son vaccin et qu’il repart dans son labo pour éradiquer le cancer et résoudre le problème de la faim dans le monde, le gouvernement américain vole au secours de Moderna en lui achetant 100 millions de doses de leur vaccin qui n’est pas encore terminé, le tout pour la modique somme de 1.5 milliard de dollars. C’est pas mal comme métier, fabricant de vaccin, surtout fabricant de vaccin anti-COVID, parce que les gens sont tellement désespérés de voir arriver un vaccin que les gouvernements paient en avance un truc dont on n’est même pas sûr que ça fonctionne.

C’est un peu comme une Tesla – tu paies d’abord et on te livrera un jour une voiture – Moderna prenait 11% after close sur la nouvelle et Tesla prenait 7%, mais eux c’est parce qu’ils ont annoncé un split par 5 de leurs actions. Donc ceux qui avaient un objectif à 300 sur Telsa vont pouvoir écrire partout qu’ils nous avaient prévenu, mais c’est juste à cause d’un split malheureusement. Au passage, on notera que le nombre de contamination est en baisse aux USA, tout comme le nombre de décès. On a presque l’impression que ça commence à aller mieux. Juste au moment où on va nous obliger à porter le masque 24 heures sur 24 et même dans nos chambres à coucher.

Les futures sont en hausse pour le moment, légèrement, mais en hausse quand même. Aujourd’hui il y aura les chiffres du GDP anglais, mais aussi leur Trade Balance, la production industrielle en Europe et le CPI aux USA Il y aura aussi le budget américain et les inventaires pétroliers. Mais je crois surtout que l’on va passer une bonne partie de la journée à se rejouer la séance d’hier, tellement il s’est passé de trucs que l’on n’a pas très bien compris. En attendant, passez une très bonne journée et on se retrouve demain pour décoder tout ça.

À demain !

Thomas Veillet

Investir.ch

« Life is ours to be spent, not to be saved. » -D. H. Lawrence