Le monde post-covid ne devrait pas connaitre d’innovation majeure dans l’immédiat. Par contre, dans certains domaines, les prémisses d’une véritable évolution pour ne pas dire révolution pourraient avoir débuté. Un signe de cette évolution pourrait-il être la hausse des actions des GAFAM durant la récente crise? Les investisseurs auraient-ils déjà tout compris et tout escompté?

 

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Le télétravail aura été l’un des grands changements expérimenté par beaucoup de personnes durant la période de confinement. Un certain nombre d’entre elles ont trouvé la pratique plaisante et commode, elles aimeraient donc la poursuivre. Les employeurs aussi y trouvent un avantage évident, à savoir la possibilité de réduire leur surface de bureau. Lorsqu’on connait le prix à la location de ceux-ci dans certains centres urbains, l’économie potentielle n’est pas négligeable. Le meilleur des mondes donc? Pas forcément si nous poussons un peu plus loin notre raisonnement.

Pas tous les employés sont égaux (on le savait déjà mais on ne pouvait pas le dire)

Certains ont commencé à constater qu’il existe une différence entre les employés, ou plutôt leurs fonctions au sein de l’entreprise. L’humain est ainsi fait qu’il apprécie les interactions avec ses semblables, de préférence face à face dans le monde réel plutôt qu’au travers d’un logiciel de visioconférence. Se pose alors la question de l’utilité non pas sociale mais économique de ces réunions «en présentiel» comme il semble qu’on les nomme dorénavant.

Pour les fonctions dirigeantes, la réponse est évidente. Pour d’autres fonctions nécessitant des échanges d’idées, le présentiel restera la norme, même si certains vous expliqueront que des logiciels comme Slack et consorts permettent aisément de travailler en équipe éclatée.

Par contre, qu’en est-il des autres fonctions, celles qui ne nécessitent pas de nombreuses interactions? Certaines tâches, même hautement qualifiées, ne relèvent que de l’exécution par un seul employé. Celui-là sera tout aussi efficace au siège de la société que chez lui ou ailleurs, la seule condition étant de disposer d’un ordinateur et d’une connexion internet de qualité. Tant que cet employé était dans les bureaux, ses collègues le croisaient de manière informelle, échangeaient avec lui. Par contre, lorsqu’il ne viendra plus au bureau, deviendra-t-il cette petite boule verte, jaune ou rouge indiquant aux autres qu’il est actif, non actif depuis 15 minutes ou non connecté? Sera-t-il encore connu sous un autre pseudonyme que support_CH@corp.com ? En réalité, il deviendra complètement interchangeable. «Il» sera peut-être 2, 10 ou 50 personnes différentes, à l’image des call center qui existent déjà.

Tout cela existe déjà

Prenons par exemple le call center qui est un service externalisé. Ces employés auxquels nous parlons ne sont en rien des salariés de l’entreprise auprès de laquelle nous avons acheté le produit. Le système existait donc déjà. L’acceptation à grande échelle du télétravail ne fait donc qu’accélérer une tendance qui était déjà latente.

Le concept s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la logique de plateformisation de l’économie. Rien ne ressemble plus à un télétravailleur qu’un autre télétravailleur. Comme pour le chauffeur Uber, ce n’est pas la personne que l’on veut, c’est le service. Un certain niveau de qualité pour un certain prix. Un chauffeur noté 5 étoiles plutôt que 3. N’importe lequel, celui qui sera sur place le plus rapidement ou le moins cher, ou un arbitrage entre les deux, au choix du client ou d’un algorithme d’IA.

Il est évident que dans un tel système, le travailleur perd la main. Il est en compétition permanente avec les autres chauffeurs afin de fournir le meilleur service au prix le plus bas. Si nous quittons l’univers du VTC pour revenir vers l’entreprise, cette approche permet – théoriquement – un découpage optimal des tâches et leur attribution à des prestataires offrant le meilleur rapport qualité/prix. Ce dernier est noté en continu sur la qualité de son travail, peut-être même par des algorithmes. Sa rémunération à la tâche dépend de la qualité et de la vitesse d’exécution. Cerise sur le gâteau, l’anonymisation et l’isolement des travailleurs découlant de l’organisation en plateforme empêcherait toute forme de syndicalisme, au plus grand plaisir des actionnaires. Cauchemard futuriste ? Pas vraiment. Amazon a lancé depuis quelques années déjà le site Amazon Mechanical Turk qui propose ce type de travail rémunéré à la tâche.

La fin du rêve

Le nouveau travailleur nomade pourrait évidemment trouver goût à cette flexibilité, surtout lorsqu’il s’agit de tâches complexes nécessitant des compétences de haut niveau, par exemple en programmation. Quel jeune ingénieur ne rêverait pas de développer du code face à la mer sur une plage en Asie, tout en étant payé grassement un salaire européen ou américain mais sans avoir à payer un loyer à Londres ou San Francisco ? Cela existe déjà aujourd’hui, à l’image de la plateforme Remotiv et la tendance pourrait s’accélérer.

Le rêve pourrait néanmoins déjà toucher à sa fin car ce style de vie trop confortable n’a pas échappé à Mark Zuckerberg qui a déjà annoncé que la rémunération des télétravailleurs pourrait dorénavant être liée à leur localisation géographique. Big Brother n’est décidemment pas un généreux bienfaiteur et doit rêver avec gourmandise à l’instauration d’un taylorisme digital, du nom de l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915) qui développa le premier une forme d’organisation scientifique du travail dans le but d’améliorer son rendement. Reste que dans le monde actuel ce type d’organisation et de rémunération du travail à la tâche rencontrerait de nombreux obstacles administratifs et réglementaires, que ce soit le statut fiscal ou les couvertures sociales… mais ne mésestimons pas la créativité néolibérale.

A la fin c’est le nuage qui gagne

Evidemment, de telles solutions technologiques sont basées sur le cloud. Les acteurs majeurs du secteur sont bien entendu les GAFAM (Amazon Cloud, Microsoft Azure, etc.) et une telle évolution de la dynamique du marché de l’emploi les mettrait au centre de l’infrastructure sur laquelle reposeraient nombre d’acteurs économiques et gouvernementaux (Swiss-Covid utilise Amazon Cloud, tout comme l’administration US d’ailleurs).

Big Brother sur son gros nuage deviendra encore plus incontournable et imbriqué dans tous les aspects de l’économie et les GAFAM représenteront une part de plus en plus significative du marché. Les investisseurs l’ont peut-être déjà compris, ce qui expliquerait la performance exceptionnelle de ces titres depuis le début de l’année.

 

Ceci n’était pas un nouvel épisode de Black Mirror, c’est la réalité et ça se passe aujourd’hui.