Certains ont rêvé durant leur confinement de l’avènement d’un monde différent et surtout meilleur. Leur réveil sera d’autant plus brutal.
Il était une fois
Il était une fois un pangolin et une chauve-souris qui, avec l’aide — affirment certains — de fourbes scientifiques, donnèrent naissance à un virus qui allait révolutionner le monde. Le virus mit la planète à l’arrêt, permettant aux gentils dauphins de revenir dans les canaux de Venise et à plein d’autres gentils animaux de reprendre possession de territoires confisqués de longue date par les méchants humains pollueurs.
La période de confinement permit surtout à chacun de se recentrer sur ses vraies valeurs, à savoir des macaronis, du papier hygiénique et Netflix. Ainsi s’enchainent les journées de douce quiétude bercées par le lent décompte des victimes et de leurs courbes exponentielles décroissant en harmonie vers le jour du grand déconfinement, le tout rythmé par de chaleureux applaudissements aux balcons, face au coucher de soleil (oui, mon lyrisme m’emporte quelque peu au-delà du scientifiquement raisonnable).
La grande utopie
Le voici donc enfin arrivé, ce premier jour d’une ère nouvelle. Fini les voyages en avion, la surconsommation, la malbouffe, la pollution. Oui, fini le pétrole qui ne vaut d’ailleurs plus rien. Tous à vélo ou en train électrique, en attendant que St-Elon nous dévoile les secrets de la téléportation quantique.
Fini la mondialisation qui a permis aux financiers de détruire la planète au nom des profits à court terme. Fini la mainmise des banques sur l’économie. Retour aux vraies valeurs et aux légumes bio de saison (et tant pis pour ceux qui n’aiment pas le chou et le céleri).
Bien entendu, il y aura des victimes. Héros sacrifiés économiquement au champ d’honneur en vue d’un monde meilleur. Qu’à cela ne tienne, nul ne sera laissé pour compte : revenu universel inconditionnel pour tous. Et en bitcoin, afin de se débarrasser en même temps de tous ces dangereux banquiers centraux! L’ancien monde ne se relèvera pas, la prise de conscience universelle nous ouvre les portes d’un avenir radieux. Utopistes de tous bords, le grand jour est enfin arrivé!
Reality check
Il serait faux, et totalement fou, d’affirmer que rien n’aura changé. Par contre la destruction du monde d’avant suivie de la reconstruction d’un nouveau monde utopique restera pour l’instant du ressort des studios hollywoodiens.
Ce que nous observerons, ce sont des tendances qui étaient déjà présentes avant la crise et qui ont trouvé un moment propice pour toucher un public plus large. Par exemple le télétravail, expérimenté par beaucoup d’entres nous par la force des choses, possède des avantages évidents pour nombre de personnes dès lors que les outils technologiques adaptés sont à disposition. Tendance qui n’avait point échappé aux investisseurs les plus sagaces, qui se sont empressés d’acheter le titre Zoom, sauf qu’ils ont confondu la société ayant créé leur logiciel de visioconférence préféré avec une small cap inconnue dont le cours s’est envolé au point que la SEC, peu désireuse de passer à des échelles de prix logarithmiques, a du intervenir promptement. Comme quoi, stupidité et cupidité sont bien de retour, mais en pire.
Et tant que nous sommes avec les petits investisseurs, revenons un instant sur la saga du pétrole. Aucun professionnel du secteur n’a jamais envisagé de “prix négatifs”. Ce qui s’est passé en avril avec le prix d’un contrat futur résulte du market timing parfait de petits investisseurs voyant dans les cours déprimés de l’or noir une opportunité historique de profiter d’une hausse qui surviendrait immanquablement dès le déconfinement annoncé. Manque de chance, le véhicule d’investissement choisi – le désormais célèbre ETF USO – n’ayant pas le droit de prendre livraison physique (obligatoire pour les contrats WTI) des barils à l’échéance des contrats devait absolument s’en débarrasser. Les professionnels du pétrole n’allaient pas laisser passer une telle occasion et ont accepté de “racheter” les contrats en faisant porter au vendeur les coûts de la réorganisation logistique, d’où au final un vendeur forcé qui paie l’acheteur afin de ne pas se retrouver dans une situation totalement illégale.
Reste que le prix du baril est effectivement bas pour l’instant, entre autres parce que 90% du trafic aérien est cloué au sol et que les citernes sont déjà bien remplies. Ce que nos chers utopistes n’ont pas compris, c’est qu’un pétrole peu cher n’encourage pas vraiment le développement d’énergies alternatives, souvent encore trop chères en comparaison. D’ailleurs les avions redécolleront bientôt en brulant du kérosène et les jeunes continueront à plébisciter les croisières, comme a déjà pu le constater l’opérateur Carnival Cruises qui a vu les réservations pour août 2020 atteindre le double de celles d’août 2019, époque à laquelle personne ne parlait encore de virus.
Les voitures majoritairement non électriques reviendront en nombre sur les routes, chacun préférant se confiner en sécurité dans sa voiture pour aller au MacDo plutôt que de risquer un contact rapproché avec le souffle d’un potentiel corona-vérolé dans les transports publics. La pollution urbaine sera donc présente comme avant, elle aussi, mais en pire.
Une autre chose que cette crise nous aura appris, c’est que l’on ne prête encore et toujours qu’aux très riches. Nombre de petits commerçants et entrepreneurs auront du mal à se relever de 2 ou 3 mois d’arrêt, ou leurs économies disparaitront pour que survive leur commerce ou entreprise. Idem pour des sociétés de taille plus importante mais pas too big to fail: arrêt des entrées de cash mais certains paiements ne peuvent être repoussés, à commencer par les remboursements d’un emprunt bancaire existant. A moins de l’octroi d’un prêt supplémentaire, elles seront techniquement en faillite suite au défaut de paiement. Malgré les garanties étatiques promises, les banques rechignent toujours à accorder de nouveaux crédits.
Tout ceci ne peut mener qu’à une seule chose : plus de chômage à court terme (on ne voit que ça, même si cela n’affole guère les marchés) et une précarisation de l’emploi à plus long terme. Cette tendance est également déjà présente depuis des décennies et ira en augmentant. La perte d’emplois plus ou moins qualifiés amène tôt ou tard les chômeurs à considérer une reconversion vers les secteurs qui recrutent. Je ne parle pas d’être data analyst ou développeur d’applications à la mode pour mobiles. Non, je parle du renforcement de l’économie de plateformes, comme Amazon ou Uber. Des emplois par définition mal payés. Ca aussi ce sera pire qu’avant.
Alors, serons-nous tous sauvés par le revenu universel inconditionnel ? Si jamais une initiative de ce genre devait voir le jour à grande échelle, ce serait probablement la fin de la classe moyenne. Ce revenu ne sera rien d’autre qu’un revenu de survie et, par son ampleur et ses effets probablement inflationnistes si assimilables à un QE perpétuel, réduira la valeur de l’argent. Riches et pauvres seront impactés mais seuls les riches détiennent du capital qui conservera sa valeur (1 Picasso = 2 villas = 20 voitures), alors que les moins riches n’ont que les revenus de leur travail qui représentera de moins en moins de pouvoir d’achat. L’écart croissant entre riches et pauvres existait aussi depuis un moment, maintenant ce sera pire.
Vers un nouveau populisme?
Evidemment, le tableau n’est pas très rose. Un changement d’ampleur, comme nous l’enseigne l’histoire, nécessiterait une révolution mais pour une multitude de raisons, il n’y aura pas de révolution.
Par contre, la situation actuelle est propice à l’émergence d’un nouveau populisme. Non pas basé sur les ethnies ou les religions (on a déjà), ni un nouveau racisme anti-chinois (économiquement impossible), ni a priori sur les classes sociales (Marx n’a plus la cote), ni sur l’écologie (ça coûte cher et Greta va passer de mode) mais basé sur la lutte des générations (quelle ironie pour les ex-soixante-huitards).
Il suffit de regarder une pyramide des âges pour comprendre la source d’un problème allant croissant: avec le vieillissement de la population dans les pays développés, les tranches d’âge ayant un emploi donc supportant le poids fiscal du système, sont minoritaires ou en passe de l’être vu l’évolution démographique. Moins de travail, lui-même moins bien rémunéré ,mais plus de prélèvements afin de financer les tranches d’âge plus âgées dépendant des prestations sociales (couvrant entre autres des frais croissants liés à la santé), sans oublier les plus jeunes qui – même s’ils ne votent pas – ne génèrent pas de revenus.
La majorité des plus âgés ne voteront pas contre leurs acquis (bien que…). Certains plus jeunes voudraient voir le système évoluer mais se heurtent à la démographie de l’électorat et à l’immobilisme des partis politiques traditionnels. Voici le véritable risque d’assister à l’éclosion d’une forme nouvelle de populisme qui – comme tous les populismes – joue sur des contrastes binaires (jeunes vs vieux), facilement compréhensibles par une catégorie de la population de moins en moins encline à la réflexion critique comme l’a démontré une étude publiée dans la prestigieuse American Economic Review.
Même s’il resterait beaucoup à dire, je m’arrêterai ici et laisserai à Michel Houellebecq le mot de la fin:
“Un autre chiffre aura pris beaucoup d’importance en ces semaines, celui de l’âge des malades. Jusqu’à quand convient-il de les réanimer et de les soigner ? 70, 75, 80 ans ? Cela dépend, apparemment, de la région du monde où l’on vit ; mais jamais en tout cas on n’avait exprimé avec une aussi tranquille impudeur le fait que la vie de tous n’a pas la même valeur ; qu’à partir d’un certain âge (70, 75, 80 ans ?), c’est un peu comme si l’on était déjà mort.
Toutes ces tendances, je l’ai dit, existaient déjà avant le coronavirus ; elles n’ont fait que se manifester avec une évidence nouvelle. Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire.” (France Inter, Lettres d’intérieur, 4 mai 2020).
Le Nasdaq est redevenu positif depuis le début de l’année… The show must go on !