La disparité des approches ESG et le manque de données historiques font qu’il n’est pas encore possible aujourd’hui de démontrer la supériorité d’une gestion bas carbone. Mais la situation devrait évoluer et nous verrons probablement apparaitre un "facteur vert" dans les prochaines années.
Investir de manière plus responsable est dans l’air du temps. Nous avons donc choisi de renommer la rubrique dédiée de notre site «Finance responsable» afin d’englober un maximum des nouvelles terminologies à la mode, que l’on parle ESG, ISR, impact investing ou décarbonisation des investissements.
Ce foisonnement de terminologies démontre d’ailleurs qu’il n’y a ni uniformisation, ni consensus parmi les différentes approches proposées. Cela n’a néanmoins pas freiné le monde académique dans la recherche d’un «facteur vert».
Mathématiques vertes
L’investissement factoriel connaissant également un succès croissant depuis quelques années, il est logique de tenter d’identifier de nouveaux facteurs explicatifs au côté des bien connus facteurs valeur, taille, momentum, qualité et volatilité. Scientific Beta a ainsi publié en décembre 2019 une étude intitulée «The DeCarbonisation Factor – A New Academic Fiction?» qui se penche sur l’existence d’un facteur lié à la décarbonisation des entreprises cotées et son potentiel pouvoir explicatif des rendements boursiers desdites sociétés.
L’auteur, Abraham Lioui, PhD, Professeur de Finance à l’EDHEC Business School analyse les résultats de 2 publications récentes dédiées au facteur décarbonisation et constate que les auteurs sont arrivés à des conclusions opposées, bien que les 2 études se soient basées sur des ensembles de donnés similaires relatives aux mesures d’émissions de carbone par des entreprises américaines et européennes.
L’idée n’est pas ici de reprendre les critiques de ces 2 études ce qui nécessiterait une exploration détaillée des modèles économétriques utilisés, et ce n’est absolument pas le propos de cet article, mais plutôt de nous pencher sur les conclusions du Pr. Lioui.
La principale conclusion est donc que l’existence d’un facteur lié à la décarbonisation ne peut pas être démontrée. Voilà qui est dit et ne plaira assurément pas à tout le monde. Ceux qui maintiennent qu’un tel facteur existe trouveront bien évidemment de la littérature soutenant leur hypothèse. Leurs détracteurs en trouveront tout autant démontrant l’inverse. C’est justement ce manque de consensus, combiné à des choix méthodologiques pas toujours des plus orthodoxes qui amène l’auteur de l’article qui nous intéresse ici à affirmer qu’on ne peut pas – aujourd’hui – conclure à l’existence d’un tel facteur, ni même à l’existence d’une source d’alpha liée à la décarbonisation des entreprises. En d’autres mots, il n’existe actuellement aucune preuve mathématiquement solide que sur le long terme les sociétés à faibles émissions surperforment les sociétés à fortes émissions.
Néanmoins, selon le Pr. Lioui, de tels résultats proviendraient du fait que les considérations climatiques sont intégrées par les entreprises, les marchés et les investisseurs de manière progressive. De plus, les niveaux d’émission sont fortement corrélés au secteur d’activité, qui possède également sa propre dynamique en termes d’évolution face aux nouvelles contraintes principalement d’ordre réglementaire. Donc non seulement les conclusions des études actuelles se basent sur des périodes d’observation courtes, mais aussi, la dynamique de la décarbonisation n’a pas été constante sur la période. Sur la base de telles hypothèses, il est donc illusoire d’espérer identifier un facteur ou même une source d’alpha constante.
Une lumière verte au bout du tunnel
Comme toujours, on pourra voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. La thématique mérite pourtant un accueil plus optimiste, à savoir que, s’il est impossible aujourd’hui de lier performances supérieures et efforts de décarbonisation, il est tout autant impossible de lier performances inférieures et décarbonisation, ou à l’inverse, performances supérieures et émissions de carbones importantes. Dès lors, rien n’empêche de choisir la décarbonisation comme thématique d’investissement puisque celle-ci ne nuira pas aux performances. La communication aux investisseurs devrait d’ailleurs mieux expliquer ce choix de plus en plus observé dans les portefeuilles, car s’il n’est pas possible de prouver la supériorité des stratégies bas carbone, il est totalement envisageable d’expliquer de tels choix de portefeuille et de recevoir l’adhésion d’investisseurs soucieux de bonnes performances mais également d’environnement.
La naissance du facteur vert
Comme expliqué, le manque de données et la dynamique très évolutive de la décarbonisation ne permettent pas encore de prouver de manière définitive l’existence d’un facteur vert à prime positive. Mais le monde évolue très rapidement et la récente lettre de Larry Fink, CEO de BlackRock, demandant aux dirigeants des entreprises cotées de mieux prendre en compte les risques climatiques est probablement une étape des plus importantes. Un effet, BlackRock est le plus gros gestionnaire d’actifs au monde. Dès lors, s’il indique que sa sélection de titres prendra en compte des facteurs climatiques, et que les entreprises devront dorénavant divulguer une série d’indicateurs standardisés, il apparait évident que les sociétés se plieront à ce nouveau diktat.
Des mesures standardisées apparaitront et les sociétés les respectant le mieux seront dès lors favorisées par les gestionnaires d’actifs. Dans un tel environnement, nous verrons certainement apparaitre sans aucune contestation possible un facteur vert. Et sa recette officielle sera très certainement celle imposée par Larry Fink et adoptée par un certain nombre d’autres gérants d’actifs. Pensée unique, recette standardisée et couleur uniforme… ceci soulèvera d’autres interrogations, mais en attendant, ce sera une grosse impulsion vers des investissements plus verts. Des arguments dont la beauté mathématique a de toute évidence échappé aux activistes d’ultra-gauche qui ont saccagé hier les bureaux parisiens du gérant d’actifs.