Le nombre de variables à prendre en compte rend aujourd’hui impossible d’avoir une vue globale et de mesurer correctement les conséquences d’une modification des paramètres sur l’ensemble du système.

 

Mon précédent article abordait la taxation des robots. Pour le résumer en une phrase, j’arrivais à la conclusion qu’il fallait taxer plus les entreprises car cela permettrait en partie de rééquilibrer le système.

Les nombreuses personne qui m’ont fait part de leurs commentaires sont d’accord sur le principe que le modèle capitaliste actuel pose problème. Beaucoup d’entre elles travaillent dans la finance, par contre aucune n’a commenté publiquement sur LinkedIn, preuve que le sujet reste tabou.

Certaines personnes ont relié mon point sur le partage non équitable des richesses à d’autres sujets, tous en connexion avec la finance ou l’économie. Ceci démontre à quel point le système économique forme un tout regroupant à la fois des aspects micro et macroéconomiques. Le problème étant que plus personne n’est en mesure d’avoir une vision globale du système.

La problématique de la modélisation

En effet, de nombreuses modélisations existent et nous disposons aujourd’hui de données sur presque tout. Ceci permet d’étudier les effets de la modification de l’un ou l’autre paramètre sur les autres variables du modèle. Néanmoins, chaque modélisation ne s’attache qu’à certains aspects très spécifiques de l’économie. Et comme chaque fois que l’esprit humain se retrouve face à trop de paramètres, nous avons tendance à simplifier (le fameux ceteris paribus) et à conserver uniquement les éléments qui soutiennent notre thèse.

Un autre aspect à prendre en compte est que le monde réel n’est pas un laboratoire de physique. Il n’est pas possible de recommencer 10’000 fois la même expérience, dans les mêmes conditions optimales d’observation. Dans la vraie vie, chaque situation est unique, même s’il est vrai que la théorie statistique permet de regrouper des éléments semblables et d’en tirer certaines conclusions plus générales.

Il n’empêche que, dans beaucoup de cas, les observations sont uniques. Un choc comme la crise de 2008 est unique. Certaines similitudes existent d’une crise à l’autre, comme l’ont expliqué C. Reinhart et K. Rogoff dans “This time is different”. La période que nous traversons est cependant unique, que ce soit du point de vue de la globalisation des échanges, de la vitesse de circulation de l’information, du vieillissement de la population, du poids de l’endettement des Etats, des taux négatifs, de l’inversion de la courbe, des volumes investis en produits dérivés ou encore de l’impact des algorithmes sur la formation du prix des actifs financiers. Néanmoins, tous ces éléments sont reliables, mais aucun modèle n’est actuellement en mesure de le faire.

Chaque contexte est unique

Source : Economic Policy Institute.

Pour en revenir aux éléments mis en avant dans les messages reçus, il en est qui sont revenus plus fréquemment. Par exemple le fait que le marché de l’emploi connait actuellement une structure inédite. Ubérisation, difficulté à retrouver un emploi après 50 ans alors que l’âge de la retraite recule, allongement de la durée des études et obligation de se former en continu, précarisation des travailleurs, délocalisations, immigration, etc. L’accès au marché de l’emploi est devenu plus difficile et surtout plus cher. La productivité en a bénéficié, les travailleurs beaucoup moins (graphe du haut).

L’augmentation de la productivité a logiquement mené à l’augmentation des bénéfices des entreprises, qui ont enrichi leurs actionnaires. Les 0.1% les plus riches des Etats-Unis possèdent aujourd’hui plus que les 90% les moins riches. Les profits des entreprises n’ont de toute évidence pas bénéficié à l’ensemble de la population (graphe du bas). Ces faits sont connus et représentent l’une des conséquences du capitalisme néolibéral qui s’est développé ces dernières décennies.

source: Bridgewater Associates

Le déséquilibre dans le partage des richesses peut également être mis en rapport avec les difficultés auxquelles font face les systèmes de pension. L’excuse qu’une taxation plus élevée des entreprises réduira de facto les dividendes versés aux gros actionnaires que sont les caisses de pension et que celles-ci en ont besoin afin de répondre à leurs obligations n’est à mon avis que l’expression d’autres problèmes – antérieurs et actuels – mal gérés. Reste que reculer l’âge de la retraite pour des personnes incapables de retrouver un emploi après 50 ans demandera de réfléchir un peu plus sérieusement au financement des retraites.

Certains intervenants ont également mis en avant que la taxation seule n’était pas une réponse adéquate et que l’Etat se devait de mener une politique monétaire d’un genre nouveau via la distribution directe d’argent aux ménages (helicopter money). Les injections massives de liquidités dans le système au moyen de QE successifs ont démontré que les conséquences effectives d’une telle approche n’étaient pas correctement comprises, ni contrôlées. L’helicopter money ne sera qu’une expérience de plus dont les conséquences réelles ne sont pas connues, même si l’idée est intellectuellement séduisante et pourrait produire des effets positifs.

Conclusion

Il y aurait encore de nombreux aspects à développer mais ceux abordés modestement dans cet article démontrent à suffisance que le système capitaliste est devenu extrêmement complexe. Les interconnexions entre différents facteurs sont difficiles à appréhender. Il apparait cependant évident pour un nombre croissant de personnes que des réformes sont nécessaires.

La globalisation ne facilite en rien ce type de réflexion car tout durcissement des règles de la part d’un pays ne fera que provoquer une fuite de capitaux et d’emplois. A l’inverse, offrir des conditions fiscales plus attrayantes aux entreprises est vu comme un bon moyen de développer l’économie locale. C’est ce que les anglo-saxons nomment “race to the bottom”. Une solution séduisante à court terme mais dont la collectivité paiera le prix à plus long terme. Lorsqu’on se sera écrasé au fond.