Considéré par de nombreux analystes comme totalement imprévisible, le président américain pourrait néanmoins suivre un scénario bien rodé.
Une vie avant d’être président
Mis à part jouer (et surtout tricher) au golf, Donald Trump a fait 2 choses avant d’occuper le bureau ovale à Washington. Il a mené une carrière de promoteur immobilier mais également une carrière d’animateur d’émission de téléréalité. Voilà qui n’est pas courant chez un politicien, surtout à un tel niveau. Evidemment, les Américains avaient déjà eu comme président Ronald le cowboy dans les années 80 et ensuite une espèce de clown texan dans les années 2000. Ce dernier avait d’ailleurs placé la barre très haut (ou très bas, cela dépend sous quel angle on considère la chose) en matière de stupidité présidentielle. Mais c’était avant Donald, l’homme de tous les records.
Téléréalité
Mais revenons plutôt au sujet qui nous intéresse afin de mieux décrypter le comportement erratique de l’homme vu comme le plus puissant du monde. Je ne suis pas un grand connaisseur des émissions de téléréalité et je n’en ai même jamais regardé une seule. La raison en est fort simple: je ne regarde jamais la télévision. Je me suis cependant rappelé avoir lu il y a quelques temps déjà un article – que je n’ai malheureusement pas retrouvé – expliquant en quoi Donald Trump se comportait comme dans une émission de téléréalité.
Pour ce que j’en ai compris, la trame narrative de toute téléréalité repose sur un fil extrêmement fin. On a un certain nombre de candidats et à chaque émission, l’un d’entre eux sera éliminé, de préférence de manière humiliante. Bien entendu, les scénaristes ont déjà décidé de l’ordre d’élimination et de facto du vainqueur. Reste à broder autour de cela, en donnant quelque épaisseur aux protagonistes stéréotypés qui semblent tous avoir été recrutés parmi des apprentis coiffeurs en mal de reconnaissance.
La logique narrative n’a bien entendu aucune cohérence et repose sur l’empilement de propositions plus ou moins débiles du genre: Kevin a trompé Samantha parce qu’il pensait qu’elle lui préférait Jason, qui lui-même était secrètement amoureux de Jennifer parce qu’il n’avait pas encore appris de la bouche de Mike que cette dernière était peut-être sa demi-cousine secrète vu que sa grand-mère Loana avait eu une liaison dans un jacuzzi avec un inconnu dont la révélation du prénom allait modifier toute l’organisation amoureuse du petit groupe enfermé dans une cabane (avec jacuzzi, très important) au milieu de nulle part dans le but d’identifier qui serait la nouvelle star de la pâtisserie…
Il faut intéresser les spectateurs
Evidemment, ce genre d’intrigue lasse assez rapidement et il est donc nécessaire d’y introduire des éléments narratifs capables de tenir le spectateur en haleine. Nul besoin d’être un minimum cohérent, ce qui importe, c’est le rebondissement. Ainsi Jennifer sera au départ la meilleure amie de Samantha. Et ensuite elles ne seront plus amies. Et ensuite à nouveau amies. Et Kevin est méchant. Ensuite Kevin s’excuse et redevient gentil. Puis il redevient méchant. Le principe est donc pour chaque personnage de prendre à chaque épisode une posture diamétralement opposée à celle de l’épisode précédent. L’avantage de tels scénarios complètement incohérents est que le spectateur fini par s’y perdre et en oublie même la finalité de l’émission et de son processus de sélection drastique: identifier le meilleur pâtissier capable de confectionner une forêt noire dans un jacuzzi sur une ile déserte en n’ayant sous la main qu’un couteau suisse et 2 boites de haricots sauce tomate.
Virez le macroéconomiste et appelez Kim Kardashian
Le problème avec Trump, c’est exactement cela. Il a peut-être quelques fils conducteurs ainsi que l’un ou l’autre objectif à moyen ou long terme (Make America Great Again) mais il n’y a là rien de passionnant pour la ménagère du Kentucky qui a perdu son job dans une aciérie ou l’agriculteur du Dakota qui a peur que des Mexicains viennent lui voler sa ferme. Il faut donc rendre l’intrigue de “Donald in da House” passionnante pour son public (donc ses électeurs). Et comme Donald ne sort pas de Harvard et n’a pas passé sa vie dans les couloirs des administrations de Washington ni dans ceux d’un grand cabinet d’avocats, il n’applique pas les stratégies habituelles des politiciens.
Son école à lui, c’est la téléréalité et les 15 saisons de “The Apprentice”. A chaque épisode, il fait exactement l’opposé de ce qu’il a fait précédemment et le commente abondamment à coups de tweets. Ce ne sont pas des mensonges, ce sont des rebondissements. Cela plait à son public et énerve ses adversaires. Succès garanti!
Pour comprendre ce comportement – et le cirque permanent qui entoure le président – il ne faut pas un doctorat en économie. Il faut être scénariste de téléréalité. Ou au-moins faut-il avoir saisi les ressorts narratifs de ce type d’émission.
Prenons par exemple Xi le fourbe (objectif à long terme: éviter que la Chine ne devienne la 1e puissance mondiale). Donald se dispute avec Xi, redevient copain avec Xi, prépare un plan pour anéantir Xi, retire son plan parce que c’est trop méchant, mais comme Xi est encore plus cruel (et fourbe comme tous les Asiatiques), on réactive le plan, on en invente un 2e, puis un 3e, puis on refait copain, mais pour mieux le poignarder dans le dos. L’objectif à long terme ne change pas, mais à chaque nouvel épisode, on essaie de tenir le spectateur en haleine, parfois en faisant habilement diversion, par exemple en annonçant vouloir acheter le Groenland… On occupe l’espace médiatique et donc on capte l’attention.
Bien entendu, on trouve d’autres personnages tel Vladimir le militaire macho, Kim le scientifique fou qui construit des fusées, Jerome le souffre-douleur, Hassan le terroriste, et les deux nouveaux venus cette saison: Bojo le clown et Jair le pyromane. Par contre, la série comprend assez peu de personnages féminins, qui sont d’ailleurs essentiellement cantonnés à des rôles de faire valoir des acteurs masculins.
Conclusion
Trump suit probablement quelques objectifs plus ou moins identifiés. Tout le reste, ce ne sont que broderies narratives. Du bruit, toujours plus de bruit. L’investisseur fait donc face à deux choix très clairs. Soit il suit les fondamentaux en se bouchant les oreilles. Soit il s’immerge dans le bruit ambiant jusqu’à perdre tous ses repères.