Voilà presque 1 mois jour pour jour que Facebook dévoilait sa crypto-monnaie Libra. Depuis, on a pu lire sur le web une multitude de commentaires complètement déconnectés du bon sens le plus élémentaire.
Ces fameux commentaires qui me font ainsi réagir ne sont pas uniquement l’œuvre de quelques inconnus avides de partager leurs idées et d’éventuellement faire le buzz. Non, il s’agit également de personnes habituellement beaucoup plus éclairées sur des sujets financiers pointus.
Je laisserai de côté, dans ce billet d’opinion un brin provocateur, les débats techniques qui divisent également les experts pour ne m’intéresser qu’aux aspects liés à sa sphère financière.
Libra et les lois
N’en déplaise aux libertaires de tout poil, notre société – je parle des démocraties occidentales – est gouvernée pas un ensemble de lois et par des institutions veillant à ce qu’elles soient appliquées. La création monétaire ne peut donc pas être décidée par Facebook (FB). Crédits et épargne relèvent dans nos économies d’acteurs répondant à des critères précis et détenant les autorisations requises. Les transferts d’argent et les paiements électroniques aussi.
Même si FB a déjà obtenu certaines autorisations dans certains pays, l’entreprise reste soumise à toutes les lois applicables. Donc non, FB ne va remplacer ni les banques centrales, ni les banques commerciales, juste parce que Mark Zuckerberg a lancé sa monnaie électronique. Le Congrès américain a d’ailleurs demandé à la société de venir expliquer son activité liée à Libra et d’en suspendre le développement. D’autres pays suivront.
En effet, la création monétaire est la prérogative des Etats et des banques. Pas celle de Facebook. Alors ceux qui s’imaginaient que Big Brother Zuckerberg allait révolutionner tout le système n’ont juste pas bien compris qui fait les lois, qui les applique et qui est le maître du jeu. Rappelons-nous, en Suisse, il n’y a pas si longtemps, l’initiative “monnaie pleine”. Il s’agissait «simplement» de retirer aux banques leur prérogative de création monétaire et de laisser celle-ci à la seule BNS. Le peuple a voté contre. Et demain on accepterait que Facebook vienne tout révolutionner? Non… franchement, non.
Libra et pouvoir d’achat
Les mêmes petits rigolos s’imaginent aussi que FB va sauver le pouvoir d’achat mondial. Rien que ça! Ont-ils seulement compris que Libra sera un stable coin, ce qui veut dire que la cryptomonnaie sera 100% adossée à un panier de devises, des vraies, émises par des banques centrales. On parle d’un mix dollar/euro/yen/sterling (vu le chaos du Brexit, je ne comprends pas, mais ce n’est pas le propos ici). Bref, Libra c’est un panier de monnaies. Donc le pouvoir d’achat de Libra sera celui du panier de monnaies, corrigé du risque de change.
Nuançons le propos. Pour le Vénézuélien, l’Argentin ou le Zimbabwéen, c’est sûr que Libra va les intéresser. Dans ces pays frappés d’hyper inflation, le but est d’échanger le plus rapidement possible sa monnaie locale contre n’importe quoi: des dollars, des diamants, une Rolex… même des Bitcoins. Alors pourquoi pas des Libra si c’est facile à mettre en œuvre. Et les banques locales, elles vont contempler cette hémorragie de capitaux sans réagir? Et le FMI, il va attendre que la situation du pays soit encore plus mauvaise avant d’intervenir? C’est sûr que Libra aurait dans de telles situations un gros potentiel perturbateur. Et c’est pour cela précisément qu’on mettra en place des interdictions.
En revanche, l’Européen ou l’Américain, lui n’a pas ce type de préoccupation donc pourquoi irait-il échanger ses euros ou ses dollars contre un panier de devises qui ne lui amènera que du risque de change? Et le Suisse, dont la devise est la meilleur du monde à ses yeux? Pourquoi irait-il s’exposer à du dollar, de l’euro et je ne sais quoi d’autre? Peut-être pour se protéger de la prochaine crise d’urticaire des dirigeants de la BNS qui décideraient sur un claquement de doigts de faire revenir le CHF/EUR à 1.20? Suisse – Venezuela, ce n’est pas vraiment le même combat, mais pourquoi pas.
Et tant qu’on parle du risque de change, le petit marchand qui compte vendre via la plateforme FB, il devra maintenant composer avec la volatilité du panier de devises par rapport à sa propre devise. Combien lui coûtera la couverture? Libra n’étant a priori pas traité comme une devise par les banques, celles-ci lui proposeront une protection via produit structuré. Avec les frais habituellement associés à ce type de produit. Et à la fin, il fait quoi le commerçant? Il intègre tout ça dans ses prix. Au lieu de faire baisser les prix, Libra pourrait bien les faire augmenter!
Libra et Facebook: de qui parlons-nous déjà?
FB est tout de même la société qui a le plus fait parler d’elle concernant la non-protection des données personnelles et qui devrait d’ailleurs se ramasser une amende de 5 milliards de dollars de la part du régulateur américain pour manquements divers. Alors, entre la vente délibérée de ses données et les piratages, l’utilisateur veut-il réellement déposer une partie de son argent auprès d’une telle société? Sans rire, si une banque – dont c’est le métier de conserver de l’argent – se faisait pirater de la sorte ou vendait vos données à n’importe qui, elle n’aurait plus un seul client.
Libra et la transparence
Voici un dernier point dont on a fort peu parlé. Tout le monde (du moins à Genève) semble s’extasier de l’implantation de la Libra Association dans la cité de Calvin. Association, pas Fondation. Je n’y connais rien sur ce sujet mais les experts semblent dire qu’une association est une structure beaucoup plus opaque qu’une fondation. Ethereum a sa fondation. Libra son association. Clairement un mauvais signal envoyé du point de vue de la transparence. Quant à la dénomination « à but non lucratif », elle laisse plus que songeur lorsqu’on observe la liste des membres.
Finalement, aviez-vous constaté que pas une seule banque n’a demandé à rejoindre la Libra Association? Elles n’auraient pas les moyens de payer le ticket d’entrée de 10 millions? Elles ne seraient pas intéressées par cette technologie qui va complètement les disrupter? Ou bien avaient-elles compris dès le départ que FB allait droit dans le mur avec son projet Libra (d’où l’image d’illustration)?
Libra, game over ?