Au cours des derniers cycles économiques et boursiers, il y a un facteur qui traverse le temps et les époques, c’est la fascination des investisseurs pour tel ou tel indicateur économique.
On se rappelle des données du déficit commercial des États-Unis qui provoquaient le vacillement du dollar. Ces dernières années ce sont plutôt les chiffres de l’emploi, voire ceux du commerce mondial. Tout récemment, on commence à parler de plus en plus souvent du fret. C’est une industrie très cyclique, fournissant potentiellement des informations sur l’ensemble de l’économie. Cet indicateur serait particulièrement intéressant au moment où l’on cherche à savoir si l’oncle Sam va juste ralentir ou plutôt entrer en récession!
En effet, la décélération de l’activité macroéconomique est en cours pour le T2. De nombreuses statistiques et autres enquêtes (ISM par exemple) l’attestent. Parmi elle, les dernières données sur le fret routier. En fait, le volume du fret aux États-Unis a diminué de 6,0% en mai par rapport à 2018, ce qui correspond au sixième mois consécutif de baisse et à la plus forte contraction annuelle depuis novembre 2009. De même, l’Association American Railroads (AAR) a annoncé le mois dernier une baisse de 4,1% du volume global du transport ferroviaire de marchandises par rapport à l’année précédente. Alors, récession en vue, ou pas?
Prenons un peu de recul. Le marché du fret américain a déjà connu une crise en 2016, liée à la décélération de la Chine et la baisse du yuan. Il s’est vite redressé et a même surchauffé en 2018, grâce à la réforme fiscale de Trump. Les prix du fret ont flambé et, conséquence logique, les capacités se sont reconstituées au point de devenir excédentaires en fin d’année. Cela ressemble à un cycle d’expansion-récession classique, à l’image d’autres industries très cycliques (semi-conducteurs). Dans un contexte plus large, on notera que la croissance du PIB américain avait stagné autour de 2% en 2015-2016, alors que le fret américain traversait une véritable récession. La comparaison entre mai 2019 et mai 2018 est également trompeuse: a) le volume en mai 2018 avait enregistré une croissance extrême; b) la tendance depuis le début de l’année 2019 reste bien orientée.
Il ne faut donc pas exagérément extrapoler les vicissitudes de cet indicateur de fret, très volatil, au reste de l’économie américaine! Sa forte saisonnalité empêche des comparaisons simples, à court terme.
Au niveau global, le commerce mondial va continuer d’être affecté par les prémisses d’une guerre commerciale. A partir du T4 2018, les agents économiques s’étaient d’ailleurs déjà adaptés à la menace des droits de douane. Au T1 2019, les grandes multinationales ont également procédé à un examen approfondi de leurs chaînes d’approvisionnement délocalisées. La décision de les déplacer / démanteler à grande échelle n’est pas encore prise. Cela dépendra notamment de l’intensité capitalistique du secteur, ainsi que de la part de marché relative chez le consommateur chinois. Une guerre commerciale totale entre les États-Unis et la Chine aurait des conséquences dramatiques.
Conclusion
Bien sûr, l’activité manufacturière mondiale ralentit. Cela mérite une surveillance accrue. Mais il est prématuré de craindre une récession imminente. Ce « coup de mou » pourrait même disparaître, à condition qu’une trêve commerciale se matérialise à court terme. Malgré les tensions croissantes entre Chine et États-Unis, nous nous attendons toujours une sorte de trêve commerciale à partir du T3 ou T4.
Certains indicateurs macro-économiques font le buzz, dont le fret. Ne surestimons pas leur pouvoir explicatif et prévisionnel. N’oublions pas que le commerce mondial, et donc en aval le fret aux États-Unis, seront impactés par les développements géopolitiques à court terme, qui provoquent d’importants stockages préventifs des directeurs d’achat.
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