Changement climatique : une prise de conscience et des opportunités d’investissement.

Les thématiques d’investissement étiquetées ESG ou durables rencontrent un succès croissant, au point que nous avons créé une section dédiée sur notre site. La place financière genevoise qui bénéficie de la présence des institutions onusiennes ainsi que du WEF se positionne d’ailleurs comme centre d’expertise au niveau mondial et accueille également depuis cette année le secrétariat du réseau FC4S (Financial Centres for Sustainability).

A côté des promoteurs historiques de l’investissement durable, nombre de gestionnaires d’actifs ajoutent à leur arc la corde ESG. La demande est effectivement croissante tant du côté des investisseurs institutionnels tels les caisses de pension, que du côté des investisseurs retail, parmi lesquels les millennials sont particulièrement sensibles aux aspects non financiers de leurs investissements.

Prise de conscience

Il est en revanche beaucoup plus rare d’assister au «coming out environnemental» d’une star de l’investissement. C’est cependant ce qui vient d’arriver cet été avec Jeremy Grantham – le «G» de la société de gestion GMO qu’il a cofondée en 1977 – et certainement l’un des investisseurs les plus respectés par ses pairs. Célèbre pour ses prévisions exactes quant aux chutes des marchés de 2000 et 2008, l’homme était moins connu comme supporter de la green economy.

Parallèlement au fait que GMO propose depuis une année un mandat de gestion sur le thème des changements climatiques, J. Grantham en a fait la promotion à la fois dans sa dernière lettre trimestrielle aux investisseurs et lors de diverses conférences. L’investisseur de bientôt 80 ans fait-il preuve d’un intérêt tardif pour les problématiques environnementales? Certainement pas puisque ses activités philanthropiques l’ont amené à soutenir des projets environnementaux et le développement de technologies vertes depuis plus de 20 ans. Mais probablement que le moment était prématuré pour arrêter de surfer sur la vague des énergies fossiles, véritable moteur de l’économie américaine depuis plus d’un siècle.

Vu qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire et qu’à son âge avancé – lorsque plus rien n’est à prouver et que l’on peut donc dire ce qu’on a envie de dire – le moment était venu d’alerter la communauté financière sur les dangers du réchauffement climatique.1 Et lancer un appel à la prise de conscience et aux changements qui devraient l’accompagner. La première version du document «The Race of Our Lives Revisited» totalisait 35 pages, une lecture probablement indigeste pour nombre de lecteurs et dont un résumé a été proposé moins d’un mois plus tard afin de mieux faire passer le message.

Le document se base sur la série habituelle de sources scientifiques illustrant le réchauffement climatique et ses conséquences désastreuses sur la montée des eaux ou l’érosion des sols, dont l’impact sur l’agriculture n’est pas négligeable puisque la diminution des terres arables serait de 0.5% par année. En fonction des régions, les récoltes seront insuffisantes d’ici 30 à 70 ans et dans 80 ans l’agriculture telle que nous la pratiquons aujourd’hui aura disparu par manque de terres arables. En parallèle, les réserves d’eau diminueront. Cette situation impose donc selon J. Grantham de complètement repenser notre modèle agricole.

Cependant, repenser l’agriculture ne sera pas suffisant. Le problème principal provient en effet de la pollution découlant des énergies fossiles. J. Grantham insiste d’ailleurs sur la responsabilité du lobby pétrolier anglo-saxon qui depuis des décennies a influencé tant la politique que l’opinion publique.2 Le moment est donc venu de changer cette situation et l’impulsion devra venir des gouvernements. Malgré que ce choix ne puisse que heurter son esprit libéral, J. Grantham estime que le problème a atteint une telle ampleur que seule une action étatique pourra inverser la tendance au travers de la mise en place d’un cadre réglementaire adapté.

Chassez le naturel…

Après des envolées quasiment lyriques sur la possible disparition de l’espèce humaine, le financier retrouve tout de même ses esprits et propose d’analyser les opportunités d’investissements qui découleraient des évolutions climatiques et de l’obligation de décarboner nos investissements. Sans surprise, le positionnement sectoriel proposé fait la part belle aux énergies renouvelables, à l’efficience énergétique et à l’agriculture, sans oublier l’eau et le cuivre (métal indispensable dans un monde reposant plus largement sur l’énergie électrique). Bien entendu, comme toujours avec des thématiques à la mode, il s’agira d’être sélectif et de ne pas uniquement acheter de belles histoires sans analyser leur viabilité économique.

A ses détracteurs qui prétendront que se priver d’investir dans le secteur de l’énergie serait trop pénalisant pour la performance des portefeuilles, J. Grantham oppose les graphiques ci-dessous qui démontrent que sur longue période, il est tout à fait possible de se passer d’un secteur, quel qu’il soit! [ndlr: graphique qui en surprendra plus d’un]

Est-ce suffisant ?

Pour terminer, l’expert donne deux conseils aux investisseurs, le premier étant de réaliser la gravité de la situation et de voter pour des hommes et femmes politiques soutenant la cause environnementale. Ensuite de mettre la pression sur les sociétés de gestion afin qu’elles adoptent une approche environnementale durable.

Même si l’on ne peut que louer ce type de communication qui aide à la prise de conscience de la problématique environnementale, on pourra regretter que le focus soit uniquement sur la green economy, soit le E de ESG. Quid des aspects sociaux et de gouvernance? Il est vrai que le S et le G apparaissent moins clairement comme thématiques d’investissement. Cependant, l’aspect environnemental est étroitement lié aux énergies fossiles et ces dernières sont au centre d’un énorme jeu de pouvoir (et donc aussi de corruption) dirigé par le lobby pétrolier, comme l’a justement évoqué J. Grantham. Son appel à soutenir des politiciens défendant la cause environnementale pourra peut-être à terme influer sur les aspects sociaux et de gouvernance, cependant, l’horizon de temps nécessaire à la mise en place de réformes politiques radicales ne correspondra malheureusement pas à l’urgence environnementale soulignée dans cette lettre aux investisseurs.

Même si les investisseurs gagneront de l’argent grâce au E, les véritables changements ne seront possibles qu’au travers des réformes de S et de G.

 


1. Le réchauffement climatique a été identifié comme méga-tendance N°1 dans « The Big Book of SI » de Robeco/RobecoSAM publié début octobre 2018

2. Lire sur ce sujet « Or noir – la grande histoire du pétrole » par Matthieu Auzanneau (2016)