Cela commence par une nouvelle étude académique et se termine en théorie du grand complot. Sauf que c'est la réalité.

Introduction

L’étude de novembre 2017 parue sous le titre «Do ETFs Increase Volatility?», par Itzhak Ben-David (The Ohio State University, NBER), Francesco Franzoni (USI Lugano, Swiss Finance Institute) et Rabih Moussawi (Villanova University, WRDS, University of Pennsylvania) se base sur des données relatives au marché des actions américaines constituant l’indice S&P 500 pour la période allant de 2000 à 2015 et démontre que l’activité des arbitrageurs influence les prix des titres sous-jacents aux ETF.

Alors que les ETF connaissent depuis quelques années un succès croissant de par le monde auprès de tous types d’investisseurs, leurs détracteurs leur ont souvent reproché d’être à la base de mouvements d’achat et de vente indiscriminés puisque les investisseurs agissent simultanément sur l’ensemble des titres détenus par l’ETF. A l’inverse, les partisans de ce type de produit soutiennent qu’ils offrent une liquidité accrue dans les marchés ainsi qu’une large diversification à bas coût sur de nombreuses classes d’actifs. La présente étude irait plutôt dans le sens des détracteurs puisqu’elle se penche sur les effets néfastes de ce type d’instrument sur la volatilité des marchés financiers.

Notons que le débat n’est pas nouveau, même s’il s’étend dorénavant aux ETF. Depuis la fin des années ’80, de nombreuses études se sont penchées sur les impacts positifs ou négatifs des marchés de futurs et autres dérivés sur les titres sous-jacents. La présente étude n’analyse que des ETF à réplication physique mais les auteurs estiment que les mécanismes décrits amèneront à des conclusions similaires dans le cas d’ETF synthétiques.

Le mécanisme d’arbitrage

Les ETF sont des instruments financiers qui s’échangent en temps réel directement sur les marchés (d’où leur nom, mais c’est néanmoins trompeur comme on le verra plus loin). Comme tout actif, son prix sera déterminé par l’offre et la demande. Mais contrairement à une action dont le prix «exact» n’existe pas et dépend des résultats futurs de l’entreprise, du contexte économique, ainsi que d’un tas d’autres facteurs plus ou moins facilement estimables, l’ETF doit théoriquement représenter à chaque instant le prix des titres qui le composent, sans prime ni décote.

Dès lors, si par les mécanismes du marché le prix de l’ETF devait diverger du prix de ses sous-jacents, il y aurait une opportunité d’arbitrage. Ce dernier s’effectue en prenant simultanément des positions opposées dans l’ETF et dans l’ensemble de ses sous-jacents et en attendant que les prix convergent afin d’encaisser la prime. Notons en passant que ce type d’arbitrage permet de réduire la tracking error de l’ETF et participe donc à l’efficience du marché. Evidemment, ce n’est pas à la portée de n’importe qui vu que les primes se chiffrant à seulement quelques points de base réservent ce segment de marché à de gros acteurs spécialisés, mais l’on estime que la moitié du volume sur les ETF répliquant l’indice S&P 500 serait générée par de telles stratégies d’arbitrage. Les données de l’étude démontrent ainsi que les titres les plus détenus au travers d’ETF voient leur volatilité non fondamentale augmenter de manière significative comparativement aux titres moins détenus, résultats corroborés par les modifications de régime de la volatilité des titres entrant ou sortant de l’indice répliqué par l’ETF.

L’approche retenue se base donc sur une décomposition de la volatilité en 2 composantes, avec d’une part la volatilité fondamentale qui représente les mouvements de prix résultant de l’arrivée de nouvelles informations (p.ex. un profit warning), et d’autre part une composante «bruit» n’ayant pas de cause fondamentale et provenant donc du comportement des acteurs de marché, typiquement l’augmentation des volumes d’achats et ventes par les arbitrageurs. Il est donc important de comprendre que la volatilité non fondamentale peut aussi augmenter durant des périodes de baisse de la volatilité totale observée, comme ce fût typiquement le cas ces dernières années.

Les implications

Alors que l’étude portait exclusivement sur les titres du S&P 500, considéré comme le marché le plus liquide, il semble raisonnable d’envisager un impact similaire sur n’importe quel autre marché investissable au travers d’instruments passifs, voire amplifié si la liquidité y est moindre. Par ailleurs, l’étude estime que le risque pour l’investisseur provenant de cette hausse de volatilité n’est pas diversifiable et impactera plus fortement les investisseurs ayant un horizon de court terme.

Ce type d’opportunités d’arbitrage et leurs conséquences sur les marchés sous-jacents pourraient potentiellement provoquer des mouvements de prix beaucoup plus importants dans le cas de produits à levier ou plus exotiques, aujourd’hui largement détenus par les investisseurs, à l’instar des ETF sur la volatilité et de certains produits de type smart beta qui connaissent un succès croissant et sont malheureusement souvent mal compris par leurs détenteurs.

En pratique : ils sont déjà parmi nous

Evidemment nombreux sont ceux qui rétorqueront que tout ceci n’est que pur délire académique, sans aucune chance de le voir un jour dans le monde réel. Qu’ils se détrompent, certains acteurs sont très actifs sur ce segment de marché depuis quelques années déjà, à l’instar de Flow Traders basé à Amsterdam et plus gros acteur européen sur ce type de stratégie. La société a traité depuis le début de l’année un volume mensuel en ETF de 140 milliards de dollars, ce n’est pas rien (et oui, il s’agit bien de milliards mensuels, ce qui fait que les 2 à 3 points de base encaissés en moyenne représentent tout de même un profit substantiel).

C’est d’ailleurs la nouvelle réglementation MiFID II qui a permis de lever un coin de voile sur les pratiques de ces traders à haute fréquence (les flash boys) qui opèrent souvent via d’autres canaux que ceux visibles des places de bourse officielles, à savoir les nouveaux systematic internalizers régulés par MiFID et semble-t-il moins opaques que les dark pools. Ces places de marché «secrètes» sont évidemment en compétition avec les places de bourse officielles et ont l’avantage d’offrir des règles plus souples et des frais moins élevés, ce qui ne fait évidemment pas le bonheur d’Euronext et consorts. D’après Bloomberg, on retrouve parmi les candidats désirant mettre sur pied leur systematic internalizer des sociétés comme Virtu Financial Inc., Citadel Securities LLC, JPMorgan Chase & Co., Deutsche Bank AG, UBS Group AG, Goldman Sachs Group Inc., BNP Paribas SA, Bank of New York Mellon Corp., Flow Traders NV, ou encore Bloomberg LP. Rien que du beau monde… et comme écrit plus haut, tous sont bien entendu très motivés de contribuer ainsi à l’amélioration de l’efficience des marchés.

Dorénavant, la réglementation européenne oblige donc à divulguer les volumes traités au travers de ces plateformes hors-marché. Toujours d’après Bloomberg les volumes échangés en mai 2018 sur les 2 plus importantes de ces plateformes ont atteint 65 milliards d’euros, dépassant les 61 milliards traités sur les places de bourse officielles. Les experts estiment cependant qu’une part importante des volumes traités hors bourses le sont encore de manière non visible. Comme quoi, efficience et transparence ne vont pas forcément de pair.

Pistes de réflexion

La finance évolue de manière radicale grâce aux avancées technologiques et ce type d’étude académique permet de comprendre l’apparition de nouveaux risques pour les investisseurs. La question – actuellement sans réponse et suscitant de gros débats – est de savoir si les autorités de contrôle des marchés financiers devraient intervenir, et de quelle manière, afin d’éviter la propagation de chocs au travers de ce type de mécanisme.